mercredi 22 juillet 2015

France — L'instruction gratuite et universelle ne date pas de Jules Ferry ni de la République

Texte de Jean-Baptiste Noé, historien et écrivain.

Les libéraux [Note du carnet: classiques] français ont bâti l’éducation du pays, en permettant à chaque commune d’avoir son école, et à chaque enfant de s’y rendre. Ce système de liberté scolaire a perduré jusqu’aux lois Ferry des années 1880, qui ont éteint toute concurrence et ont mis l’école au service d’une idéologie politique ; nous leur devons les problèmes actuels de l’enseignement. Après les 25 ans de révolutions qui ont causé le démantèlement des congrégations religieuses enseignantes, l’école en France est à rebâtir. Cette reconstruction se fonde sur les concepts essentiels de liberté et d’universalité. Deux hommes illustrent ce combat pour l’école : François Guizot (ci-contre) et Alfred de Falloux, tous deux ministres de l’Instruction publique. Au premier, on doit la loi de 1833 qui oblige tous les départements à créer une école normale pour former les instituteurs. Chaque commune de plus de 500 habitants doit financer une école (publique ou confessionnelle), laquelle doit recevoir tous les garçons. Les plus pauvres se voient dispensés de frais d’inscription. Le deuxième a donné la loi Falloux de 1850. Celle-ci porte création d’écoles publiques pour les filles dans chaque commune. Elle reconnaît et garantit la liberté d’enseignement, en facilitant la création d’écoles et en laissant une grande autonomie aux instituteurs. Ces lois de liberté assurent l’essor de l’instruction en France, si bien qu’en 1870 l’analphabétisme est quasiment vaincu, et tous les Français peuvent recevoir une instruction libre et gratuite. Guizot et Falloux s’attellent aussi aux programmes scolaires en insistant sur la lecture, l’écriture et les mathématiques. Ils introduisent également des disciplines pratiques.

Une floraison d’écoles. L’originalité du système est d’assurer la saine concurrence entre les écoles publiques et les écoles libres. Dans le grand mouvement d’essor industriel du pays, nombreux sont les chefs d’entreprise qui financent la construction d’écoles afin d’instruire les enfants de leurs ouvriers. Ces financements sont accordés à des associations qui s’occupent de la gestion de l’école. Oui, la France a connu une époque où l’école était libre. Les patrons ont tout intérêt à former la jeunesse française et à faire en sorte qu’elle reçoive une très bonne instruction, n’en déplaise aux antilibéraux. Wendel, Michelin et d’autres patrons ont financé les écoles de leur ville. Victor Duruy, ministre sous le Second Empire, amplifie les lois Guizot et Falloux. Il introduit des méthodes modernes de pédagogie, notamment dans l’organisation des cours. De très nombreux enfants se rendent dans les écoles gérées par les Frères des écoles chrétiennes, fondées au XVIIe siècle par Jean-Baptiste de la Salle. Les jésuites s’occupent davantage du secondaire : ils ont 20 collèges en 1870, pour 6500 élèves. C’est important, mais on est loin d’une domination. En 1870 toujours, les congrégations religieuses enseignantes gèrent 13 000 établissements, ce qui représente 20 % des élèves. C’est le même chiffre que l’enseignement sous contrat aujourd’hui. Napoléon Ier avait imposé le monopole de l’Université, un « communisme intellectuel » selon Charles de Montalembert. Les Libéraux y mettent un terme et instaurent la liberté jusque dans le supérieur. Jules Ferry reviendra sur cette liberté, pour des motifs d’embrigadement politique.

Voir aussi

France — « L’école laïque, gratuite et obligatoire » constitue un mythe fondateur

Guizot et la politique — L’Instruction publique

Mythe — C’est grâce à la République que l’enseignement est devenu obligatoire, public et gratuit


Chine — Contourner la carte scolaire

Écoliers chinois qui apprennent
à se servir d'internet
Pendant des années, les autorités chinoises ont théoriquement exigé que les enfants fréquentent uniquement une école de leur quartier. Les écoles n’ont guère prêté attention à cette exigence. Les pots-de-vin et de bonnes relations comptaient nettement plus. Il en allait de même des examens d’entrée qui visent à exclure les moins doués (à moins qu’ils ne soient riches, car même avec de mauvais résultats ils pouvaient toujours s’acheter une place).

En mars de cette année, cependant, le ministère de l’Éducation chinois a de nouveau tapé du poing : au début de la nouvelle année scolaire, en septembre, tous les élèves du primaire et 90 % de ceux du secondaire inférieur devront fréquenter l’école la plus proche de leur domicile officiel. Certains organismes d’État seront encore autorisés à réserver des places pour les enfants de leurs employés. Les écoles semblent prendre cet ordre plus au sérieux que les précédents.

Il semble en aller de même pour les parents. Ces derniers mois, le prix des maisons s’est stabilisé dans la plupart des régions après plusieurs années d’effervescence, mais ce n’est pas le cas près des bonnes écoles. Maintenant, même les appartements les plus miteux dans ces quartiers peuvent coûter dix fois plus cher au mètre carré que la moyenne des prix dans la même ville. Ces logements, peu importe leur manque de cuisine ou de toilettes, ne servent qu’à « prouver » la résidence des parents.

Cela permet de conserver les privilèges de la fortune. Et cela convient parfaitement aux meilleures écoles, puisque cela renforce encore leur statut. Celles qui sont capables d’attirer les enfants nés dans les familles les plus riches ou aux meilleures relations – ainsi que les plus doués – sont en mesure de recruter les meilleurs enseignants, et – grâce aux cotisations et autres dons des parents – de s’offrir du matériel et des locaux dernier cri. L’État ferme les yeux sur ces inégalités criantes entre les écoles qu’il administre. Ce que de nombreux parents chinois prisent le plus ce sont les relations que ces écoles permettent de tisser. Les réseaux d’anciens élèves des meilleures écoles publiques chinoises ouvrent aussi bien les portes que ceux des écoles privées britanniques.

Les élèves les plus doués bénéficient d’un avantage ; d’où la concurrence effrénée à laquelle se livrent les parents pour placer leurs enfants dans les meilleurs jardins d’enfants (garderies) afin de préparer leur progéniture aux examens d’entrée à l’école primaire (fréquents, même s’ils ne sont pas officiellement autorisés). Mais les ruses parentales sont toujours cruciales. Les autorités de Pékin disent qu’elles veulent uniformiser les règles du jeu : elles encouragent les écoles chics de l’État à partager leurs installations avec celles qui sont moins bien dotées et à ouvrir des annexes dans d’autres quartiers pour en faciliter l’accès.