mercredi 6 juillet 2016

Pourquoi Maurice Duplessis remporta quatre élections successives

Nous reproduisons ci-dessous des extraits d'une réponse de Conrad Black à un journaliste anglophone qui répétait la doxa progressiste et libérale sur le Québec à l’époque de Maurice Duplessis.

Conrad Black est diplômé en droit à l’Université Laval à Québec (1970) et d’histoire de l’université McGill à Montréal (1973). Il y fit une dissertation de maîtrise d’histoire sur Maurice Duplessis, ancien Premier ministre du Québec. Cette dissertation se transformera plus tard en biographie, qui sera publiée et traduite, reconnue maintenant comme la référence sur Maurice Duplessis.


Voilà déjà quelque temps que je m’étais vaguement dit que je devrais réfuter un article de John Ivison publié dans le National Post le 24 juin 2014, à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste. Ivison y affirmait que Duplessis avait dépassé tout homme politique canadien actuel pour son usage sans scrupules du vitriol et du dénigrement oratoire de ses adversaires. Ivison écrivait également que Duplessis s’était entendu avec le clergé catholique pour maintenir le Québec dans un état d’arriération politique. « Avec le solide soutien de l’Église catholique romaine, écrivait Ivison il y a deux ans, une forte popularité dans les zones rurales et son opposition à la conscription, [note de Conrad Black : en 1917 alors que les libéraux furent les principaux opposants à celle-ci] Duplessis a pu survivre à la transition vers l’ère moderne d’après-guerre qui fit tomber des figures aussi imposantes à leur époque que Winston Churchill ».

Maurice Duplessis, fleurdelisé à la main, célèbre une victoire électorale en 1952

Jamais, dans l’histoire de ce pays, il n’y eut plus bel exemple que l’histoire n’est, comme le disait fameusement Napoléon, qu’« une fable convenue » [Mémorial de Saint-Hélène de Las Cases, 20 novembre 1816]

Afin de rafraîchir mon modeste souvenir de l’époque, j’ai regardé sur YouTube les remarques de Duplessis qui s’exprimait devant des dizaines de milliers de ses partisans sur les marches de sa maison à Trois-Rivières (qu’il a rarement habitée). Il y dit : « Il s’agit maintenant d’oublier les discordes et les causes de discordes. […] Les injures dont j’ai été l’objet pendant la lutte du pouvoir, croyez-moi, je les oublie. Je pardonne à ceux qui les ont dites et j’espère qu’ils ne s’en rappelleront pas plus que moi, car je suis sûr qu’en s’en rappelant ils auraient des remords que je voudrais leur éviter. » Cet oubli général, toutefois, s’est rapidement abattu sur Duplessis après son décès et celui de son successeur désigné, Paul Sauvé, à moins de quatre mois d’intervalle (le 7 septembre 1959 et le 1er janvier 1960).



Quant à la phrase d’Ivison citée ci-dessus, l’Église catholique romaine, qui était fortement respectée par près de 85 pour cent de l’ensemble de la population du Québec, représentait politiquement le peuple et non l’inverse. Contrairement à un mythe largement répandu, le Québec francophone n’était pas composé de paysans illettrés qui peinaient en travaillant inlassablement à la main dans les champs pour n’être interrompus dans leur labeur que par les cloches que sonnaient des prêtres aux soutanes noires pour les appeler à prier toutes les trois heures pendant le jour.

Ivison, né au Royaume-Uni, aurait dû savoir [quand il cite Churchill] que les Britanniques n’avaient pas eu une élection entre 1935, lorsque les conservateurs de Stanley Baldwin et Neville Chamberlain leur avaient assuré que la guerre serait évitée, jusqu’à ce que Churchill, sans programme politique aucun si ce n’est son comportement respecté par tous lors de la guerre, ait déclenché des élections en 1945 afin de mettre en place une vision britannique post-impériale pour ce qui est de l’étranger et une société moins déchirée par les conflits de classes au niveau intérieur. Duplessis avait été dans l’opposition pendant la guerre et ne revint au pouvoir qu’en 1944 avec comme programme électoral la récupération de pouvoirs attribués à Ottawa pendant la guerre et la reconnaissance par le fédéral du droit du Québec d’également lever des impôts directs. Les événements politiques ne sont pas plus comparables que les juridictions ou les personnes en question.

Duplessis a remporté les suffrages de la classe ouvrière francophone du Québec lors de six des sept élections générales qui eurent lieu alors qu’il était chef de parti et les quatre dernières malgré l’opposition de la plupart des directions syndicales. Il découragea l’agitation ouvrière, mais il légiféra des augmentations de salaires et d’avantages sociaux.
De 1944 à 1959, le Québec et l’Ontario bénéficièrent tous deux d’augmentations dans la production intérieure brute et industrielle d’environ 8,5 pour cent par an. En dépit du fort taux de natalité du Québec, le salaire moyen y augmenta de 160 pour cent alors qu’il n’augmentait que de 140 pour cent en Ontario. Le nombre d’automobiles au Québec bondit à cette époque de 850 pour cent, comparativement à 300 pour cent en Ontario. Le nombre d’étudiants universitaires du Québec tripla, pour dépasser le nombre d’étudiants de l’Ontario, alors que le Québec ne représentait que 80 pour cent de la population de l’Ontario.

Tous les indicateurs pertinents du progrès économique et social ont suivi le même schéma. Duplessis fit construire 3000 écoles, tous les campus universitaires, à l’exception de McGill, toutes les premières autoroutes et l’électrification des zones rurales permit de relier à 97 pour cent des foyers alors que seuls 20 pour cent des foyers à la campagne l’étaient en 1944.
Malgré les grandes familles québécoises, le revenu personnel par habitant au Québec passa de 65 pour cent de l’Ontario en 1944 à 87 pour cent de l’Ontario en 1959. Québec avait le système de garde la plus complète de toutes les provinces dès le milieu des années cinquante.

Ces faits et d’autres connexes faits expliquent que Duplessis ait remporté quatre mandats successifs à partir de 1944. Il n’y avait pas de complot ourdi avec le haut clergé. L’Église du Québec n’était pas monolithique et cette théorie, débitée comme un fait historique par Ivison, est tout simplement une fable devenue tradition, l’excuse de libéraux et de la gauche pour expliquer leurs défaites répétées face à Duplessis. Mais dans un sens, l’analyse d’Ivison est correcte : Duplessis a joué sur la paranoïa des évêques ruraux qui maintenaient qu’il fallait du personnel religieux dans les écoles et les hôpitaux francophones et irlandais du Québec français pour éviter que la province ne perde son caractère chrétien. Avec la croissance progressive des services éducatifs et médicaux (l’écart dans l’espérance de vie des Québécois avec celle des Ontariens passa de quatre ans de moins à quelques mois de 1944 à 1959), l’Église est devenue progressivement plus dépendante financièrement de l’État. Duplessis a résumé cette situation dans sa célèbre expression, « Les évêques mangent dans ma main ».

École réelle pendant la prétendue Grande Noirceur. Région de Lanaudière, années 1950.

La clé du succès de Duplessis tenait dans deux stratégies. En maintenant le personnel religieux dans la plus grande partie des réseaux de l’enseignement et de la santé, il épargna d’immenses sommes d’argent qui auraient dû être payées à des enseignants, des infirmières et des administrateurs laïques. Cela lui permit d’équilibrer le budget, de réduire les impôts tout en restreignant le syndicalisme militant grâce à des hausses de salaire pour les travailleurs. Cela permit au Québec d’attirer d’immenses quantités d’investissements extérieurs, en particulier dans les secteurs miniers et industriels. C’est la source d’une grande partie de l’énorme augmentation de la prospérité et Duplessis s’assura que celle-ci soit généreusement distribuée dans la population. Sa deuxième technique consistait à exiger plus de compétences pour le Québec au sein de la fédération. Il adopta le drapeau fleurdelisé et força en fin de compte le gouvernement de Saint-Laurent à concéder au Québec le droit de lever une partie des impôts directs. Il réalisa ainsi le double exploit politique de se concilier les voix des nationalistes et des conservateurs. Cela nécessita un grand doigté : ne pas être trop nationaliste pour les conservateurs ni trop conservateur pour les nationalistes. Sa formule consistait à exiger avec fermeté qu’Ottawa cède tout en expliquant qu’il ne réclamait que ce que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prévoyait : un poing nationaliste sur la table pour obtenir le respect de la lettre de la loi.

Il déclara que « Les nationalistes québécois sont un poisson de 10 livres mordant à l’hameçon d’une ligne de cinq livres, vous devez les ramener avec soin. Je les ai contentés pendant 10 ans avec un drapeau [“la sainte étoffe”]. Ils se tairont dix autres années en ouvrant les relations avec la France » — avec le général Charles de Gaulle, il refusa de prendre la Quatrième République au sérieux — « et une décennie ensuite avec une Exposition universelle ». Et il dit au cardinal de Montréal, Paul-Émile Léger, en se référant à l’Église du Québec : « Si vous serrez trop le poisson, il s’en ira. » Le cardinal répondit : « Je ne presse pas le poisson, vous le faites. » C’était bien sûr ce qu’il faisait et le Québec n’aurait pas pu rester encore longtemps une société sous la coupe du clergé. Mais Duplessis, Paul Sauvé et Daniel Johnson auraient assuré une transition beaucoup plus progressive et réussie vers la modernité que le chaos qui se nomma avec satisfaction la Révolution tranquille.

L'école de la Grande Noirceur et d'aujourd'hui selon un cahier d'ECR...
Page 56 — cahier-manuel d'éthique et de culture religieuse Entretiens II pour la 1re secondaire des éditions La Pensée

La principale caractéristique de cette époque [la prétendue Révolution tranquille] a été que le même personnel enseignait aux mêmes élèves le même programme, prodiguait les mêmes soins aux hospitalisés dans les mêmes édifices à 10 puis 20 fois plus cher pour les contribuables. La liberté d’expression a été restreinte au nom de la culture [note du carnet : pas clair si c’est une allusion à la loi 101 qui ne brime pas la liberté d’expression, mais il est vrai que par ailleurs la liberté d’expression est de plus en plus brimée], 425 000 francophones et autant de non-francophones ont quitté le Québec, enfin le taux de natalité s’est effondré et cet effondrement est péniblement caché par l’immigration haïtienne, libanaise et maghrébine. Duplessis déclara : « Quelqu’un prendra ma place, mais vous ne me remplacerez jamais ! » Il avait raison.

Source : The National Post

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France — Des correcteurs invités à signaler les «propos antisémites, racistes, djihadistes » dans les copies

L’alerte, comme le rapporte Le Monde ce mercredi, est venue du SNES-FSU : le 22 juin, le principal syndicat des professeurs du secondaire tweetait ce message : « Consigne de l’inspection générale d’histoire-géographie aux correcteurs : faire remonter les propos antisémites, racistes et djihadistes trouvés dans les copies. » Puis ce commentaire acerbe : « Les enseignants sont des fonctionnaires responsables et compétents qui n’ont pas besoin d’appel à la délation pour accomplir leur travail. »


Contacté par le quotidien, l’entourage de la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem reconnaît que des inspecteurs pédagogiques auraient « peut-être péché par excès de zèle, faisant preuve de maladresse dans leurs conseils », mais dans le but de faciliter la tâche des enseignants.

« Nous aider dans le travail d’évaluation, ce n’est pas une mauvaise idée », réagit une correctrice aguerrie du bac auprès du « Monde ». « Mais pourquoi, alors, nous demander de scanner la portion des copies contenant les propos en question, et de l’envoyer à l’inspecteur pédagogique régional avec le numéro d’anonymat du candidat ? [...] Ce n’est pas à nous d’alimenter les fichiers S ! »

« L’inquiétude sociale vis-à-vis des phénomènes de radicalisation de certains jeunes se reporte, comme d’habitude, sur les enseignants », déplore Amélie Hart-Hutasse, coresponsable du groupe histoire-géographie au SNES-FSU.

Source : L’Obs qui ne semble s’offusquer que du fait qu’il faille dénoncer à la hiérarchie les propos « djihadistes », seuls mentionnés dans son titre, pas des propos antisémites ni racistes (aucun guillemet). Le syndicat SNES-FSU ne met entre guillemets que le mot « djihadistes ».