mercredi 9 janvier 2013

Les étudiants universitaires américains de plus en plus nombreux à se croire au-dessus de la moyenne

Une étude suggère que de plus en plus d'étudiants universitaires américains croient qu'ils sont au-dessus de la moyenne, qu’ils sont en quelque sorte spéciaux. Une haute estime de soi est généralement considérée comme une bonne chose — mais se pourrait-il qu’en avoir trop soit plutôt dommageable ?

Près de neuf millions de jeunes ont participé à l’American Freshman Survey (Enquête sur les étudiants américains de première année) depuis sa création en 1966.

Celle-ci demande aux étudiants d'évaluer la façon dont ils se mesurent par rapport à leurs pairs dans un certain nombre de compétences de base. Depuis quarante ans, on a pu observer une augmentation spectaculaire du nombre d'étudiants qui se décrivent comme étant « au-dessus de la moyenne » quant à leurs compétences universitaires, leur volonté de réussite, leurs compétences mathématiques et leur confiance en soi.

C'est ce que révèle une nouvelle analyse des données de l'enquête par la psychologue américaine Jean Twenge de l’Université de Californie à San Diego et ses collègues Brittany Gentile et Keith Campbell.

L’auto-évaluation de traits moins individualistes — tels que l’esprit de collaboration, la compréhension des autres et la spiritualité —  a peu changé ou a même diminué au cours de la même période.

Twenge ajoute que, bien que l’Enquête Freshman montre que les étudiants sont de plus en plus susceptibles de se dire doués en rédaction, les résultats de tests objectifs indiquent plutôt que leur capacité réelle à rédiger des textes a diminué depuis les années 1960.




Et, alors que dans les années 1980, près de la moitié des étudiants disaient étudier pendant six heures ou plus par semaine, ce chiffre n’était plus que d'un peu plus tiers en 2009 — un fait paradoxal puisque le nombre d’étudiants qui se disent déterminés à réussir a fortement augmenté entre-temps (voir graphique ci-dessus).

Une autre étude réalisée par Twenge suggère que, depuis 1979, 30 % supplémentaires des étudiants états-uniens sont enclins au narcissisme.

« Traditionnellement, notre culture encourageait la modestie et l'humilité, et non la vantardise », ajoute la professeur Twenge. « La prétention et la vanité étaient mal considérées. »

Toutes les personnes qui ont une haute opinion d’eux-mêmes ne sont pas nécessairement narcissiques. Parfois, cette haute opinion peut être inoffensive et même tout à fait justifiée.

Mais, récemment, un étudiant sur quatre ayant répondu à un questionnaire, L'Inventaire de la personnalité narcissique, l’a fait d'une manière qui trahit une opinion narcissique de lui-même.

Bien que d’aucuns ont fait valoir que le narcissisme est un trait essentiel, la Dr Twenge et ses collègues considèrent celui-ci comme négatif et destructeur.

Dans son ouvrage L'Épidémie de narcissisme, coécrit avec Keith Campbell, Twenge attribue la montée des attitudes narcissiques à une série de modes — parmi lesquelles le type d’éducation dispensé par les parents, le culte des célébrités, les médias sociaux et l'accès au crédit facile qui permet aux gens de se faire passer pour plus riches qu’ils ne le sont.

Dans un article récent, Jean Twenge a étudié les changements dans l'utilisation des pronoms dans les livres américains publiés entre 1960 et 2008, en utilisant la base de données Ngram de Google Books.

Elle a constaté que l’utilisation des pronoms de la première personne du pluriel (nous, nôtre, nos) a diminué de 10 %, alors que l’utilisation de pronoms de la première personne du singulier (je, moi, mien, etc.) a augmenté de 42 %.

« Ce qui est vraiment devenu prédominant au cours des deux dernières décennies c’est l'idée que d’être très confiant en soi – de s'aimer, de croire en soi – c’est la clé du succès. Maintenant ce qui est intéressant à propos de cette croyance, c'est qu’elle est très populaire, qu’elle est très profondément ancrée, mais également qu’elle est fausse. »

Cette idée séduisante — que la vie des gens s'améliore avec leur estime de soi — a donné naissance à ce qu’on a nommé « le mouvement de l’estime de soi ».

Un nombre incalculables de guides pratiques a répandu l'idée que chacun d’entre nous peut réaliser de grandes choses – si seulement nous étions plus confiants en nous.

Plus de 15 000 articles de revues scientifiques se sont penchés sur les liens entre une haute estime de soi et des résultats mesurables dans la vie réelle, comme le niveau d'instruction, les possibilités d'emploi, la popularité, la santé, le bonheur et le respect des lois et des codes sociaux.

À la lumière de ceux-ci, il existe très peu de preuves que l'augmentation de l'estime de soi conduit à des résultats concrets et positifs.

« S'il existe un effet, il est assez négligeable », explique Roy Baumeister de l’Université d’État de Floride. Il a été le principal auteur d'un article publié en 2003 qui scrute des dizaines d’études sur l'estime de soi.

Il a constaté que, même si une haute estime de soi est souvent corrélée positivement avec le succès, il est difficile de déterminer le sens de la causalité. Ainsi, accorde-t-on notes élevées accordées aux gens ayant une haute estime d’eux-mêmes ou obtenir de bonnes notes développe-t-il une haute estime de soi ?

En outre, une troisième variable peut influencer à la fois l'estime de soi et un résultat positif : «Venir d'une bonne famille peut conduire à la fois à une haute estime de soi et à la réussite personnelle», explique Baumeister.

« La maîtrise de soi est une cause nettement plus décisive et bien documentée dans la réussite personnelle. Malgré mes années passées dans la recherche sur l'estime de soi, je dois conseiller à contrecœur aux gens de ne plus y penser. »

Ce qui ne signifie pas que les gens ayant peu confiance en eux-mêmes auront plus de succès à l'école, dans leur carrière ou dans le sport.

La génération nombriliste...
« Vous devez croire que vous pouvez réussir, mais ce n'est pas la même chose que de penser que vous êtes génial », ajoute la professeur Twenge. Elle donne l'exemple d'un nageur qui essaie d’apprendre la technique du virage :  il doit croire qu'il pourra acquérir cette compétence, mais croire qu’il est déjà un superbe nageur ne lui est d’aucun secours.

Forsyth et Kerr ont étudié l'effet d’une rétroaction positive sur les étudiants universitaires qui avaient reçu des notes faibles (C, D, E et F). Ils ont constaté que les élèves les plus faibles avaient en fait de moins bons résultats après avoir été encouragés à la suite de ces mauvais résultats afin d’accroître leur estime de soi.

« Une intervention qui vise à encourager [les étudiants] pour qu’ils se sentent bien dans leur peau, quel que soit leurs résultats, peut les priver d’une raison de travailler dur », écrit Baumeister.

Les jeunes pensent-ils donc être meilleurs qu'ils ne le sont ? Si c’est le cas, peut-être vaut-il mieux en avoir pitié plutôt que de les stigmatiser.

Les narcisses décrits par Twenge et Campbell sont souvent d'un dehors charmant et sympathique. Ils nouent facilement des liens, sont très confiants au niveau social et lors des entretiens d'embauche. Pourtant, leur pronostic n'est pas bon.

« À long terme, ce qui tend à se produire c’est que ces personnes narcissiques ont des problèmes tant dans leurs relations personnelles que professionnelles », d’ajouter Mme Twenge.

Les narcissiques diront peut-être tout ce qu’il faut, mais leurs actions révéleront en fin de compte leur égoïsme foncier.

Ces personnes narcissiques ne se rendent souvent pas compte avant la quarantaine que leur vie a été parsemée par un nombre inhabituel de relations qui se sont soldées par un échec.

Mais ce n'est pas chose facile à corriger : les narcisses sont connus pour leur abandon lors de traitements.

« C'est un trait de personnalité », dit la docteur Twenge. « C'est par définition très difficile à changer. C’est ancré dans la génétique et dans un environnement culturel précoce, choses qui ne sont pas tout ce qui malléable. »

Les choses ne sont guère mieux pour ces nombreux jeunes qui — bien qu’ils ne soient pas classés comme narcissiques — ont une opinion démesurée d’eux-mêmes.

Une étude de 2006 menée par John Reynolds de l’Université d’État de Floride a constaté que les étudiants sont de plus en plus ambitieux, mais aussi de moins en moins réalistes quant à leurs attentes, créant de la sorte ce qu'il appelle « l'inflation d’ambition ».

« Depuis les années 1960 et 1970, quand cette ambition a commencé à augmenter, on a assisté à une augmentation de l'anxiété et de la dépression », de conclure Twenge.

« Nettement plus de gens ne vont pas atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés. »


Voir aussi

La pédagogie de l'estime de soi

Inflation des notes dans les universités nord-américaines ?

Mark Steyn dans After America sur l'éducation américaine

Recension de Economic Facts and Fallacies de Thomas Sowell (3e partie sur l'université américaine)

La bulle universitaire aux États-Unis va-t-elle crever ?




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