jeudi 11 juin 2009

Troisième journée du procès de Loyola contre la ministre Michelle Courchesne

Mercredi 10 juin, témoignage de Georges Leroux, expert philosophe (voir son témoignage lors du procès à Drummondville).

Le professeur émérite Georges Leroux a réfuté les accusations d'« amalgame » au sujet des contenus religieux et éthiques, parlant plutôt de complémentarité.

Il a ensuite parlé de la nécessité de trouver un langage commun, une culture publique commune « par recoupage » des systèmes de croyances. Rappelons qu'à Drummondville, il s'était nettement plus avancé, parlant de l'éthique comme l'étude des universaux moraux et que, grâce de la confrontation des différents systèmes religieux et philosophiques, on allait pouvoir progresser dans notre connaissance de ces universaux sans jamais, bien sûr, atteindre la vérité dans le sens scientifique. Et tout cela en classe avec de jeunes élèves...

M. Leroux a tenu à préciser que l'approche adoptée envers les religions n'était pas « phénoméniste », mais pouvait plutôt être qualifiée de « phénoménologique ».

La culture que veut donner ECR consiste en une « grammaire de base » pour la compréhension des religions.

[Rappelons à ce sujet la réponse du philosophe Gérard Lévesque quand, la veille, Me Boucher avait souligné que le cours cherchait à offrir une culture religieuse commune à tous. Le philosophe Lévesque avait répondu que le cours ECR prétend traiter de culture religieuse, et il en contient certains éléments, mais il va beaucoup plus loin. Ainsi, lorsqu'on traite de Jésus comme d'un personnage inventé analogue à d'autres personnages mythiques, il s'agit bien d'un cours d'inculture. Le cours engendre l'inculture, et une attitude irrespectueuse et de dérision à l'égard des religions.]

Le professeur Leroux a admis que le programme ECR véhiculait des « normes », mais il s'agissait, selon lui, des normes de la démocratie, et des vertus de la démocratie. On rappellera ici la critique sévère apportée par des gens comme le professeur Charles-Philippe Courtois sur la conception particulière de cette démocratie arbitrée par le philosophe pluraliste — et non plus le peuple. Interrogé sur la capacité du programme, dans une situation de classe, de donner la prévalence à certaines valeurs chrétiennes, comme, par exemple, la fidélité dans le mariage, M. Leroux a dit que le programme d'ECR ne doit absolument pas faire la promotion d'aucune « morale particulière substantielle », à savoir les religions. Cette expression de « morale particulière substantielle » est revenue à plusieurs occasions dans la bouche du philosophe.

Georges Leroux a insisté pour dire qu'une école comme Loyola a toute la liberté de contredire ou corriger la neutralité du cours d'ECR dans un cours de religion, mais jamais dans le cours même d'ECR.

Me Phillips lui a demandé combien de minutes devaient séparer les cours d'ÉCR et le cours de religion, le professeur Leroux a répondu qu'il fallait laisser aux jeunes le temps de faire la réflexion voulue par le programme ÉCR...

Il s'est même exclamé par la suite dans son témoignage : « Nous avons trop souffert, trop souvent et trop longtemps, de la domination des "morales substantielles" ! »

Le programme d'ECR veut « faire prendre conscience aux jeunes de leur liberté, de leur autonomie, et leur donner des "outils" pour cette liberté. »

Le professeur s'est défendu de l'accusation selon laquelle le programme impose aux jeunes un cadre idéologique : le programme ne veut promouvoir aucun principe moral ni éthique, sauf ceux des chartes, et des lois actuelles.

Il a précisé que le gouvernement, le système d'enseignement, n'est plus mandataire des Églises, même si on a bel et bien consulté des autorités religieuses pour l'élaboration du programme ECR. Rappelons que le gouvernement n'a pas tenu compte de la préférence de ces mêmes autorités : le maintien d'un cours de religion confessionnel.

M. Leroux a cité son livre tout au cours de son témoignage, pour insister sur ce fait nouveau et innovateur : le gouvernement est le seul propriétaire de ce programme.

Les avocats de Loyola auraient aimé poursuivre le contre-interrogatoire de M. Leroux jeudi, mais celui-ci a déclaré ne pas être disponible ce jour-là à la grande déception du juge et des avocats du collège jésuite.

Programme pour jeudi le 11 juin : témoignage de Jacques Pettigrew, responsable du programme ECR au Monopole de l'Éducation, qui édulcorera, aseptisera, présentera le programme ÉCR

Voir son témoignage lors du procès ECR à Drummondville.

Vendredi 12 : les plaidoiries.

Pour assurer un programme de culture religieuse de qualité

Texte transmis au Devoir par le témoin expert Gérard Lévesque au procès de Loyola, ce texte n'a pas encore été publié.

Pour assurer un programme de culture religieuse de qualité

L’État se doit de soutenir l’enseignement confessionnel


Pour échapper au réductionnisme, au populisme, au phénoménisme, le savoir culturel d’ordre religieux doit prendre soin de transmettre le sens profond des expressions du sentiment religieux. Cela est manifeste dans le cas des faits et gestes du culte, comme la posture de prière, telle celle de l’adepte de la religion musulmane, la tenue vestimentaire du sikh et les coutumes alimentaires de la religion juive ou hindoue. Toutefois, il pourrait sembler qu’un soin aussi attentif ne soit pas requis dans le cas où l’on rapporte un récit ou texte sacré puisqu’il peut sembler que l’expression écrite du religieux est en elle-même suffisamment porteuse de sens. En d’autres mots, on pourrait penser, comme le croit le programme Éthique et culture religieuse (ÉCR), que le sens des textes sacrés tombe sous le sens.

Mythes et récits énigmatiques

Or tel n’est pas le cas. Qui, en effet, peut prétendre connaître le sens véritable des mythes et légendes dont le programme ÉCR fait un abondant usage, dans un contexte superficiel et trompeur, dont la légende amérindienne de Glouskap, né de la poussière sur la main de Tabal-dak, l’être créateur, et qui enseigna par subterfuges aux humains l’art de chasser et pêcher ? Qui peut prétendre détenir le sens originel de récits aussi ésotériques qui relèvent, nous dit le dictionnaire, de cette « connaissance qui se transmet par tradition orale » et, de plus, « à des adeptes initiés » et « dont le sens est caché et réservé à des adeptes qualifiés » (Le Nouveau Petit Robert, 2009, au mot ésotérique) ? Quant à la religion musulmane, qui peut avoir la certitude de saisir la véritable teneur de textes aussi fondamentaux que le Coran, alors que les spécialistes de cette religion ne s’entendent pas eux-mêmes entre eux sur l’interprétation qu’il faut en faire, comme le montre Sami Aoun dans L’Islam entre tradition et modernité ? Ne pensons qu’au voile islamique, à son sens et à l’obligation ou non de le porter.

Qui oserait affirmer qu’on peut, sans longues études approfondies, arriver à comprendre le sens d’un livre aussi ancien et fondamental que la Genèse et pouvoir éclairer aisément ses révélations centrales, mais énigmatiques, dont celle qui déclare que nos premiers parents « virent qu’ils étaient nus » à la suite d’une faute originelle qui impliquerait les humains de tous les temps ? Qui pourrait anticiper toutes les questions dont ce texte sacré est porteur et prétendre avoir fait le tour des questions qui s’imposent à la recherche théologique dont la récente problématique du créationnisme ? Même au sujet d’une prière en apparence aussi simple que le Notre Père, prière pourtant souvent récitée par le chrétien pratiquant, qui pourrait avoir sans étude une connaissance distincte de ses demandes ? Qui pourrait par exemple donner le sens de cette étonnante sixième demande « Ne nous soumets pas à la tentation », comme si Dieu lui-même nous exposait à faire le mal ?
[Note du carnet : Plusieurs exégètes pensent d'ailleurs que la phrase est mal traduite en français. Jusque dans les années 1970, la traduction catholique (non officielle) en était « ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Les orthodoxes francophones se sont prononcés en 2005 pour l'emploi de la formule « Ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve ».]
Quel chrétien peut prétendre ne pas avoir à approfondir sa foi grâce aux exposés de la richesse profonde de ces récits pourtant fort simples que sont les Paraboles, dont celles-là mêmes que nous croyons les plus connues, tel le Fils prodigue alors qu’une interprétation de premier niveau nous en cache le sens profond, comme le montre éloquemment Frédéric Marlière ?

Qui peut prétendre ne pas avoir à s’interroger sur les sens du message de Jésus annonçant, il y a plus de deux milles ans, rien de moins que l’imminence du Royaume de Dieu en affirmant que « le règne de Dieu est tout proche » (Marc, 1, 14-20) ? Les textes sacrés de quelque religion que ce soit abondent en passages qui prêtent flanc à l’incrédulité et même à la dérision et qui n’y échappent que grâce à la difficile saisie de leur sens profond.

Ces exemples devraient suffire pour prendre conscience que la formation confessionnelle approfondie est nécessaire, non seulement pour procéder à un choix éclairé des textes représentatifs, mais nécessaire à leur compréhension. Et donc, là même où il pourrait sembler qu’un authentique savoir culturel religieux est facilement accessible grâce aux textes sacrés, il ressort que même ce savoir est entre les mains des adeptes et spécialistes autorisés de la religion concernée. Et ces docteurs en leur matière ont la tâche de toujours approfondir davantage les textes et récits de leur confession religieuse. Bref, ici encore, nous sommes forcés de reconnaître que, tout comme au niveau des gestes du culte et des préceptes de la morale religieuse, le fait de manifester la compréhension du phénomène religieux par ses expressions écrites, comme le programme ÉCR dit vouloir le faire, n’est possible qu’en dépendance avec un cadre autorisé de doctrine et de recherche confessionnelles. Seule la connaissance éclairée de sa foi peut permettre au croyant de donner à d’autres un accès culturel et respectueux à sa religion et éviter d’en présenter des simulacres.

Nécessité de l’enseignement confessionnel

En matière religieuse, le savoir culturel est donc tributaire du savoir confessionnel. Cette dépendance fait qu’on n’est pas ici en présence de raisons de convenance, de quelque chose de simplement souhaitable ou facultatif, mais face à une exigence qui découle de la nature des réalités en cause et qui s’impose à nous. Nous ne sommes pas en matière arbitraire, laquelle se définit comme étant ce « qui dépend de la seule volonté, du libre choix… qui ne tient pas compte de la réalité, des exigences de la science ». (Le Nouveau Petit Robert, 2009 ).

Or, comme en tout savoir, français, histoire ou mathématique, en matière religieuse, pour avoir des spécialistes autorisés et des chercheurs avisés, comme le sont les théologiens, les rabbins et les imams, il faut les former. Ce sont d’eux que des enseignants compétents et leurs manuels peuvent tirer la validité de leurs connaissances. Comme dans les autres disciplines, cette formation religieuse est d’abord reçue de façon embryonnaire dans la famille et doit être complétée par l’école pendant de nombreuses années subséquentes, jusqu’à l’université. Il n’y a là rien de bien étrange. Ce n’est rien d’autre que le processus normal de formation. Les véritables spécialistes de confession religieuse le sont devenus grâce à ce long parcours. Cette formation particulière, formation doctrinale, ne peut être transmise par la famille, ni par l’enseignement catéchétique dispensé par la communauté de croyants. Même religieux, ce savoir ne tombe pas du ciel !

Le système scolaire a donc comme responsabilité de dispenser l’enseignement confessionnel pour contribuer à assurer l’acquisition de la formation doctrinale que requiert son intention de transmettre un savoir culturel religieux authentique. Nous sommes ici en présence d’une nécessité telle que, si ce qui est nécessaire ne s’impose pas de façon absolue ou en toute circonstance, cela s’impose néanmoins de façon conditionnelle, en ce sens que si l’on veut une chose, il est nécessaire de faire telle autre chose. Ainsi, il n’est pas absolument nécessaire de vivre, mais si l’on veut vivre, il faut manger. Et, davantage en rapport avec notre sujet, si l’on veut enseigner, il faut apprendre, quel que soit le savoir que l’on veut transmettre, qu’il soit religieux ou profane. De même, il n’est pas de nécessité absolue que l’école transmette une culture religieuse authentique et respectueuse de diverses croyances. Mais si l’on veut que l’école le fasse, il est tout à fait impérieux qu’elle contribue à l’apprentissage du savoir confessionnel qui est nécessairement requis à cette transmission. Il ne peut être que contraire aux lumières de la raison, et donc déraisonnable, que l’on supprime l’enseignement confessionnel scolaire pour que l’école transmette, comme veut le faire le programme ministériel ÉCR, une culture religieuse visant à « manifester la compréhension du phénomène religieux » !

Or comprendre, comme nous le dit le dictionnaire Multi de la langue française, ce n’est pas apprendre de façon quelconque ou simplement acquérir la connaissance de quelque chose, c’est connaître avec une certaine profondeur, c’est saisir le sens de quelque chose, et non pas n’en voir que les apparences. Quiconque fait une analyse sérieuse du programme ÉCR et ses manuels constate que les cas abondent où les expressions du religieux ne découlent pas d’un savoir confessionnel authentique, mais sont plutôt présentées aux élèves de façon réductrice et fort trompeuse. Il en est ainsi du fait de mettre sur le même pied, sans aucune distinction, des êtres dits surnaturels comme le Christ ou Bouddha avec Glouskap et le Cerbère de la mythologie grecque, un chien à trois têtes qui garde la porte des enfers, ou encore l’Ange Gabriel avec Vénus, déesse de la mythologie romaine. Pareils programme scolaire et manuels peuvent-ils représenter un véritable savoir de culture religieuse à transmettre à nos jeunes Québécoises et Québécois ?


Gérard Lévesque
Philosophe et éthicien

« Un cours qui viole la liberté de conscience des hassidim »

Extrait d'une lettre ouverte de Pierre Anctil, professeur titulaire au département d'histoire de l'Université d'Ottawa, publiée aujourd'hui dans le Devoir :
Il en va tout autrement de l'obligation de donner un cours d'éthique et de culture religieuse dont les prémisses et les objectifs pédagogiques violent la liberté de conscience des Juifs de confession hassidique.

À n'en pas douter, cette réaction est difficile à comprendre dans un contexte occidental où il est généralement admis, depuis le Siècle des lumières, que toutes les traditions religieuses se valent et qu'un individu éclairé peut se renseigner à leur sujet sans subir de préjudice particulier. Il reste que les hassidim rejettent cette perspective rationaliste, car ils craignent qu'elle n'équivaille à un déni de leur droit à une vie religieuse en conformité avec leur interprétation du judaïsme. Compte tenu de leurs valeurs, il serait fort étonnant que les membres de ces communautés hassidiques changent d'avis sur une question semblable.

Bataille juridique

Nous vivons dans une société où l'ensemble des lois est sujet à la Charte des droits et libertés de la personne, notamment à l'article 3 qui affirme le caractère [inaliénable de la liberté de conscience et de religion]. En ce qui concerne les écoles hassidiques et les autres maisons d'enseignement animées par des valeurs religieuses précises, l'État ne devrait-il pas reconnaître la volonté des croyants de se soustraire à une approche pédagogique qui heurte leurs croyances profondes ?

Comme lorsqu'il s'agit de litiges mineurs, le ministère de l'Éducation pourrait certes imposer sa volonté dans ce cas en s'appuyant sur une interprétation stricte et littérale de ses responsabilités. Mais en agissant ainsi, l'État risque de déclencher une bataille juridique dont il pourrait fort vraisemblablement sortir perdant. Il aurait aussi à porter l'odieux d'envoyer ses agents dicter aux enfants et à leurs parents des opinions qui leur répugnent en tant que membres d'une communauté de foi.

Mission de l'État

Qui plus est, il y a fort à parier qu'à l'instar des jeunes filles voilées, une stratégie d'affrontement faite d'ordres péremptoires ne ferait que marginaliser davantage des collectivités faisant déjà l'objet de préjugés et trouvant difficilement à être entendues hors du cercle étroit de leurs membres. On peine à imaginer une manière aussi peu pédagogique d'inculquer aux Québécois une approche respectueuse de la diversité, quelles que soient l'origine, la couleur ou les croyances des citoyens concernés.

Dans cette situation, il ne fait aucun doute qu'il y a urgence pour l'État de prendre contact avec les communautés concernées afin de négocier des ententes de bon aloi et de mesurer le chemin qu'il reste à parcourir à la lumière des droits fondamentaux auxquels les Québécois tiennent tant. De plus, il serait sans doute utile de rappeler ouvertement les raisons qui motivent notre tolérance au pluralisme religieux, en particulier dans le domaine scolaire. Car l'affaire qui nous préoccupe comporte des enjeux qui vont au-delà des querelles administratives habituelles, et qui relèvent de la mission éducative de l'État au sens le plus noble.