mardi 25 novembre 2014

Najat Belkacem, la ministre de l'Éducation en France, vue du Québec

Najat Belkacem, ministre de l’Éducation en France
Par Mathieu Bock-Côté dans le Figaro Vox :

Il y a quelques jours, au nom de l’expérimentation scolaire, un terme codé qui sert à masquer tout en les avançant les initiatives liées à la pédagogie progressiste, Najat Vallaud-Belkacem (à gauche) envisageait le remplacement des notes chiffrées, dans les bulletins scolaires, par des notes en couleur. Elles risqueraient moins de stigmatiser les enfants réussissant moins bien. Il faudrait passer de l’évaluation-sanction à l’évaluation positive, et les couleurs permettraient ce passage.

« L’establishment pédagogique poursuit la conversion de l’école québécoise à cette philo­so­phie qui présup­pose la décons­truc­tion de la culture classique. »

Les mauvaises idées circulent bien. Trop bien. Et elles traversent aisément l’Atlantique. À la fin des années 1990, certains avaient pensé im­planter l’éva­luation par couleurs au Québec, jusqu’à ce que le Premier ministre de l’époque, Lucien Bouchard, à la tête d’un gouvernement du Parti Québécois, stoppe la mesure, dans laquelle il voyait très justement une autre de ces niaiseries pédagogiques à la mode.

Il n’en demeure pas moins que la philosophie de l’éducation qui inspirait ce virage s’est graduellement implantée, en remplaçant la transmission des connaissances par l’apprentissage des compétences. Les parents ont beau se méfier de cette approche, et les enseignants lui résister le mieux qu’ils peuvent, l’establishment pédagogique poursuit la conversion de l’école québécoise à cette philosophie qui présuppose la déconstruction de la culture classique.

L’école est devenue un champ de bataille où s’affrontent non seulement deux idées de l’éducation mais deux idées de sa place et de son rôle dans la société. C’est la querelle de la culture générale qui l’exemplifie le mieux. Pour le camp conservateur, la culture générale représente les grands repères d’un patrimoine de civilisation à transmettre, à la manière d’un héritage sans lequel l’enfant sera jeté dans le monde

L’école pendant la Grande Noirceur (à gauche) et les s’auto-apprenants dans l’école d’aujourd’hui (à droite) selon un cahier d’activités ECR
Mais elle a été sévèrement critiquée. Selon la vulgate bourdieusienne, on l’accusait d’imposer les références sociales des élites bourgeoises aux catégories populaires. La culture générale masquerait en fait un rapport de colonialisme social. Sans surprise, cette accusation a été reprise par les théoriciens-militants du multiculturalisme. La culture générale imposerait aux enfants de l’immigration les références occidentales, ce qui pousserait à l’exclusion identitaire.

« Tôt ou tard, on en viendra probablement à l’auto-évaluation. À tout le moins, il faudra congédier la pos­sibi­lité même de l’échec. »

D’ailleurs, on demandera à l’école de travailler à déconstruire cette culture générale, en l’assimilant, pour l’essentiel, à un ensemble de stéréotypes xénophobes, sexistes ou homo­phobes. L’école voit donc sa mission renversée : elle ne doit plus transmettre la culture, mais empêcher sa transmission. Il faudrait libérer l’enfant d’une culture adulte toxique, et miser sur son authenticité pour créer une nouvelle culture sans aliénation, délivrée d’une mémoire pesante et pathologique.

On comprend mieux les assises idéologiques de la nouvelle pédagogie. Il ne s’agit pas simplement, comme le disent ceux qui relaient sa propagande, de proposer des techniques plus fines d’évaluation adaptées à la complexité de l’école contemporaine. Il s’agit plutôt de révolutionner la mission de l’école, pour qu’elle serve non plus à la transmission culturelle, mais bien à la fabrication d’une société nouvelle formée dans la matrice de l’égalitarisme radical.

Cancre, ministre et président.
Il n’y a donc plus d’évaluation objective possible, puisqu’il n’y a plus de culture à transmettre. On passe des notes aux couleurs, pour infantiliser ce qui reste de l’évaluation, et couper le plus possible les liens avec le monde adulte, qui ne devrait plus se poser comme une norme à laquelle se plier, extérieure à la subjectivité de l’enfant. Tôt ou tard, on en viendra probablement à l’auto-évaluation. À tout le moins, il faudra congédier la possibilité même de l’échec.

En fait, l’évaluation est révolutionnée : elle doit surtout concerner des compétences, souvent définies de manière idéologique, pour fabriquer une génération compatible avec le vivre-ensemble multiculturel et postmoderne. L’enfant est d’ailleurs appelé, selon les préceptes du socioconstructivisme, à construire son propre savoir, à partir de son propre univers de sens, ce qui contribue à légitimer et à accentuer la tendance individualiste qui défait déjà le lien social.

« Ceux qui ne communient pas dans cet enthousiasme déconstructeur ne devraient plus tolérer la confiscation par les idéologues de la nouvelle pédagogie. Un certain humanisme doit redire son nom, en dénonçant les tares fondamentales de la nouvelle pédagogie, et non seulement ses dérives. »

On ne sera pas surpris, dès lors, de voir l’establishment pédagogique souhaiter et annoncer en même temps la disparition du cours magistral, qui conserverait, par sa forme même, un rapport d’autorité entre le maître et les élèves, alors qu’il faudrait plutôt démocratiser l’école par la formation de communautés d’apprentissage, une utopie que certains s’imaginent rendue possible par la technologisation de la pédagogie.

Il n’est d’ailleurs par inintéressant de noter qu’un congrès mondial de « spécialistes » en pédagogie (le WISE) dénonçait récemment la persistance du cours magistral en France, à la manière d’un résidu empêchant pleinement son ralliement à la nouvelle modernité pédagogique. Même si elle subit la pédagogie progressiste, la France demeure, pour les tenants d’un humanisme véritable, un pôle de résistance traditionnel, dont elle devrait s’enorgueillir plutôt que se désoler.

Chose certaine, ceux qui ne communient pas dans cet enthousiasme déconstructeur ne devraient plus tolérer la confiscation par les idéologues de la nouvelle pédagogie. Un certain humanisme doit redire son nom, en dénonçant les tares fondamentales de la nouvelle pédagogie, et non seulement ses dérives. Encore doit-il cesser de vouloir être moderne à tout prix. Peut-être en redécouvrant les vertus de la tradition et de l’éducation classique ?

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