dimanche 25 février 2024

L'impact différencié de la crise du logement sur la natalité


L’essai récent d’Éric Lombardi pour The Hub sur la façon dont la crise du logement au Canada risque de transformer le pays en une société néo-féodale a certainement touché un point sensible. Il reflète un point de vue de plus en plus répandu (et convaincant) que l’on pourrait qualifier de « théorie universelle du logement », selon laquelle les prix élevés du logement en sont venus à expliquer diverses tendances économiques, sociales et même psychologiques dans le Canada moderne.

Sa thèse de base — l’incapacité de nombreux jeunes Canadiens à accéder au marché du logement sans le soutien financier de leur famille crée une nouvelle source de bifurcation sociale — est simple et étayée par des preuves. Des sondages récents en Colombie-Britannique et en Ontario, par exemple, ont révélé que 40 % des acheteurs d’un premier logement dans ces deux provinces ont dépendu du soutien financier de leur famille.  Notons que la natalité du Québec est supérieure à ces deux provinces et que les maisons sont justement relativement plus abordables au Québec que dans ces deux provinces à la fécondité déprimée.

Ces chiffres concordent avec la nouvelle étude de Statistique Canada qui montre que le taux d’accession à la propriété des millénariaux et des membres de la génération Z dont les parents sont eux-mêmes propriétaires est plus de deux fois supérieur à celui des personnes dont les parents ne le sont pas. En d’autres termes, la richesse immobilière engendre de plus en plus de richesse immobilière.

Le constat le plus important — l’inégalité basée sur le logement est une grille d’interprétation pour comprendre des tendances plus vastes, y compris le sentiment général de malaise du public — est un constat que le gouvernement Trudeau a probablement compris trop tard pour sa propre survie politique et que les décideurs politiques canadiens, plus généralement, n’ont pas compris, au détriment des générations actuelles et futures.

L’une des façons indirectes, mais puissantes dont ces problèmes d’accessibilité au logement se sont manifestés est sous la forme d’un retard dans la formation des familles et d’une baisse des taux de fécondité. La relation entre les prix du logement et la planification familiale est quelque peu intuitive. Les coûts du logement — en particulier dans les localités où ils sont élevés — constituent une dépense majeure pour les ménages et influencent donc nécessairement nos attentes à court et à long terme, notamment en ce qui concerne le moment de fonder une famille et le nombre d’enfants que les familles devraient avoir en fin de compte.

Un article économique reconnu de 2014 l’a formulé de la manière suivante :

L’augmentation de la valeur des logements a un impact négatif sur les taux de natalité parce qu’elle représente, en moyenne, la composante la plus importante du coût de l’éducation d’un enfant : plus importante que la nourriture, la garde d’enfants ou l’éducation. Cela signifie que lorsque le prix du logement augmente, le prix à payer pour avoir des enfants augmente également. Cette augmentation de prix incite les couples à retarder la procréation ou à avoir moins d’enfants.
Cette interaction entre le logement et la formation des familles a des effets pervers au Canada. Contrairement à la plupart des autres pays, les bébés sont devenus au Canada, pour reprendre les termes du démographe Lyman Stone, un « produit de luxe ». Ses recherches montrent que les familles canadiennes à revenu élevé ont tendance à avoir des taux de fécondité souhaités et réels plus élevés. Comme il l’a dit en 2023 : « Le Canada est un pays où la fécondité est uniquement et positivement corrélée au revenu, ce qui veut dire que le Canada est un pays où la famille est un signe de richesse et de classe sociale. Si vous êtes riche, vous pouvez acheter le droit d’avoir des enfants ».

Le logement joue un rôle important dans ce domaine, d’autant plus qu’il est devenu un indicateur majeur du revenu et de la richesse au sein de la société canadienne. Une analyse précédente de Steve Lafleur a par exemple montré qu’un ménage doit désormais se situer dans les 10 % de revenus les plus élevés pour pouvoir prétendre à un prêt hypothécaire dans la ville de Toronto. De même, des recherches menées par TD Economics ont montré que l’inégalité des richesses au Canada est, dans l’ensemble, une fonction des résultats différents entre les propriétaires et les non-propriétaires, à la fois au sein d’une même génération et d’une génération à l’autre.

Ce n’est donc pas une pure coïncidence si l’essai de M. Lombardi a été publié la même semaine que de nouvelles données de Statistique Canada indiquant que le taux de fécondité du pays a atteint son plus bas niveau historique en 2022. Avec 1,33 enfant par femme, le pays est non seulement 0,76 point de pourcentage en dessous du taux de remplacement, mais sa baisse d’une année sur l’autre est l’une des plus importantes dans les pays à revenu élevé et dans l’histoire même du Canada. La même analyse a révélé que l’âge moyen des femmes qui accouchent pour la première fois est passé de 27,6 ans en 1976 à 31,6 ans en 2022.

Bien que ces évolutions aient sans aucun doute des causes multiples, il est remarquable que les femmes canadiennes disent systématiquement aux sondeurs qu’il y a un écart entre leur taux de fécondité souhaité et leur taux de fécondité réel. Elles préféreraient en fait avoir un nombre d’enfants proche du taux de remplacement, mais différents obstacles se dressent sur leur chemin, notamment le coût élevé du logement.

Comme Stone l’a déjà écrit :

Si les jeunes sont coincés dans des maisons plus petites que par le passé, ou dans des situations de logement plus instables ou plus coûteuses, cela pourrait réduire la fécondité… Il existe de bonnes preuves suggestives que c’est peut-être le cas… à chaque étape, la situation du logement pour les jeunes défavorise la procréation plus que par le passé, ce qui est presque certainement un facteur majeur de la faible fécondité actuelle.
Même si l’on admet que les affirmations de Lombardi sur le néo-féodalisme peuvent sembler un peu provocatrices, sa description du contexte socio-économique du Canada, dans lequel l’accession à la propriété et l’éducation des enfants sont de plus en plus des expressions de la richesse (héréditaire), pourrait résonner avec nombre de jeunes qui voient ces deux aspects devenir l’apanage de leurs pairs plus riches et plus favorisés.
 
Voir aussi 
 
L'American Community Survey nous apprend que le type de logement a un impact considérable sur les taux de fécondité, les grandes tours affichant le taux de fécondité le plus bas de tous. Il se pourrait, toutefois, que cette corrélation s'explique (en partie?) par la préférence des familles de même âge mais sans enfant pour de grands ensembles.

Enquête sur la communauté américaine 2021
 
Taux de fécondité par type de logement :
  • Maison mobile ou caravane : 2,12 enfants par femme
  • Maison unifamiliale isolée : 1,95
  • Maison unifamiliale mitoyenne : 1,93
  • Maison à deux logements :  1,74
  • Bâtiment à 3-4 appartements : 1,80
  • Bâtiment à 5-9 appartements : 1,53
  • Bâtiment à 10-19 appartements : 1,52
  • Bâtiment à 20-49 appartements : 1,39
  • Bâtiment à 50 appartements ou plus : 1,33