lundi 2 avril 2018

ECR — Dix ans plus tard, le ministère considère corriger les manuels qu'il a pourtant approuvés

Le Québec est un des rares États dans le monde occidental qui approuvent les manuels scolaires (ce n’est pas, par exemple, le cas de la France, pas depuis le régime de Vichy).

Officiellement, c’est pour en assurer la qualité et la conformité au programme officiel imposé à toutes les écoles publiques comme privées (encore une particularité du Québec...) En pratique, le Bureau d’approbation du matériel didactique (BAMD) s’intéresse à des aspects matériels (le manuel est-il de bonne facture ?), pédagogiques comme l’enseignement par compétences ainsi qu’aux aspects « socioculturels » des matériels, c’est-à-dire que le BAMD s’assure que le contenu des manuels est politiquement correct. Tiré du site du BAMD :
Représentation démocratique et pluraliste de la société

Il s’agit de s’assurer de retrouver : une juste représentation (25 p. 100) des personnages des groupes minoritaires ; des rapports égalitaires entre les personnages des deux sexes ; une représentation diversifiée et non stéréotypée des caractéristiques personnelles ou sociales ; une interaction des personnages de groupes minoritaires dans des situations de la vie courante ; une rédaction non sexiste des textes.

Selon, le journaliste Christian Rioux du Devoir, le BAMD s’est mérité le sobriquet de « politburo » chez les éditeurs de manuels scolaires québécois.

« La situation des manuels [d’éthique et de culture religieuse, ECR] qui circulent est très problématique. Il faut recommencer, on en est là », affirme sans détour Louis Rousseau au Journal de Québec, professeur au département de sciences des religions à l’UQAM. Des ouvrages présentent des représentations simplistes, presque caricaturales, des religions à travers leurs symboles, déplore-t-il. Ces critiques sont apparues dès l’approbation des manuels il y a près de dix ans (le programme a été imposé avec très peu de manuels approuvés). Georges Leroux, professeur émérite en philosophie à l’Université du Québec à Montréal, a aussi été irrité de constater que des « feuilles maladroites » circulent parfois en classe. « Les critiques nous ont rendu service en débusquant les dérives et les dérapages », affirme-t-il. Stricto sensu, c’est un problème distinct des manuels, les « feuilles maladroites » sont de la responsabilité des professeurs pas des éditeurs ni du Ministère (BAMD).

Rappelons que, dès le début de l’imposition du programme ECR, la Table de concertation des protestants et les évêques catholiques du Québec avaient attiré l’attention du gouvernement sur les lacunes présentes dans les manuels d’ECR. Voir Synthèse de la TCPE sur le matériel didactique pour le programme ECR (décembre 2009) et Évêques québécois inquiets quant à la mise en œuvre du programme ECR (septembre 2009).

Sept. 2009 : Évêques catholiques prédisent échec du cours ECR si de sérieux correctifs ne sont pas apportés.

Georges Leroux est un chaud partisan de l’imposition du cours unique d’ECR, il est allé jusqu’à le défendre devant deux tribunaux différents et a admis adopter une vision jacobine de l’État qui impose d’en haut ce que les enfants des autres doivent assimiler comme vision du phénomène religieux.

Au secondaire, le programme devrait faire une plus grande place aux positions critiques, le tout « dans le respect des religions », affirme-t-il, tout comme d’autres experts consultés par le Journal de Québec. Les experts cités par le Journal de Québec sont toujours les mêmes et ils approuvent dans l’ensemble l’idée de ce programme unique imposé à tous les élèves. Georges Leroux poursuit : « Il ne faut pas seulement regarder la beauté des religions, comme la non-violence ou la charité. Il y a aussi un angle mort de la religion qu’il ne faut pas nier, c’est très important. [Georges Leroux a déjà écrit pour les deux tribunaux mentionnés que les religions engendrent la violence.] Le sexisme est très important aussi. Toutes les religions sont sexistes parce qu’elles sont patriarcales. » On voit que le professeur émérite ne s’effraie à généraliser et à mettre dans le même sac de toutes les religions. Voir Le mythe de la violence religieuse et le professeur Rémi Brague qui récuse ces amalgames faciles à la mode dans certains cercles (voir note 1).


Georges Leroux parle d'éthique et de culture religieuse : « S'interroger sur quelque chose qui pourrait s'apparenter à de la folie [...] Actuellement, personne au Québec ne mesure l'amplitude du changement et ses conséquences réelles »

Plus grande place pour les non-croyants

Comme certains détracteurs du cours d’éthique et culture religieuse, des artisans de la première heure estiment que le contenu devrait faire une plus grande place aux positions des non-croyants, même si le programme le permet déjà. « Je pense que les positions de non-croyance devraient être abordées au même titre que les autres religions », ce qui n’est pas le cas actuellement, affirme Nancy Bouchard, professeure au département de sciences des religions de l’UQAM. Cette dernière rappelle que le programme a fait l’objet d’un « compromis » lors de sa création et qu’il est pertinent, dix ans plus tard, de réfléchir à nouveau aux choix qui ont été faits. Patrice Brodeur, professeur à l’Institut d’études religieuses à l’Université de Montréal, considère aussi que les positions non religieuses pourraient occuper une plus grande place dans le programme, tout comme Spencer Boudreau, professeur retraité de l’Université McGill, qui rappelle que la société a beaucoup évolué à ce chapitre. « Avant, le religieux était puissant et attaquait le non religieux. Maintenant, c’est l’inverse. » Admettons que cette évolution se soit produite en dix ans (nous en doutons, à moins de confondre la critique de l’islam en forte progression avec la critique de toutes les religions), pourquoi un programme scolaire devrait-il renforcer cette attaque du « non religieux » envers le religieux amalgamé ? Si ce n’est bien sûr que ce professeur partage cette critique contre ce « religieux »...?

Des manuels en révision, un ministre en réflexion

Plutôt que d’avoir entrepris une révision en bonne et due forme du programme d’éthique et culture religieuse, le ministère de l’Éducation travaille à la révision du matériel scolaire pendant que le ministre Sébastien Proulx consulte différents intervenants afin d’alimenter sa réflexion à ce sujet. On ne sache pas qu’il ait contacté les critiques religieux du cours d’éthique et de culture religieux comme les parents qui ont traîné le gouvernement du Québec jusqu’en Cour suprême... Mais bon, rien de nouveau au Québec, les mêmes experts seront à nouveau sollicités, semble-t-il.

En décembre 2016, alors que le programme d’éthique et culture religieuse était la cible de nombreuses critiques, le ministre Proulx avait indiqué que le cours « était en révision auprès du ministère ».

Interrogé récemment à ce sujet par Le Journal, M. Proulx a plutôt indiqué qu’un travail de révision était en cours au ministère concernant le matériel scolaire, conçu par les éditeurs et approuvé par les fonctionnaires. « J’ai demandé au ministère de faire une réflexion à l’égard du matériel, parce que les premiers enjeux qui sont ressortis touchaient au matériel », a-t-il affirmé.

À son cabinet, on précise que « plusieurs scénarios ont été regardés [lire : envisagés] par le ministère » cet automne afin d’améliorer les manuels scolaires, « dont le remplacement de certaines pages ». La proposition soumise a toutefois été jugée insatisfaisante et les fonctionnaires ont été renvoyés à leur planche à dessin, explique-t-on.

« Il y a des interrogations à l’égard du matériel et il faut avoir une réflexion sur le rendu. J’ai moi-même des enfants qui reçoivent des cours d’ECR en 4e et 6e année et je suis convaincu que ce qu’ils reçoivent comme information et matière à réflexion diffère d’une autre école », a affirmé M. Proulx, qui s’interroge sur « ce qui pourrait être amélioré pour respecter l’esprit du programme initial ». On se rappellera que M. Proulx (quand il était encore à l’ADQ) avait offert une critique fort molle contre l’imposition du programme ECR (voir l’encadré ici).

Consultations informelles

En parallèle, le ministre affirme avoir consulté plusieurs personnes à ce sujet, tant dans les rangs des opposants (Ah ! qui ? Parents les anti-religieux du MLQ ? Les parents catholiques de l’APCQ n’ont pas été convoqués à notre connaissance) que des défenseurs du cours d’ECR. « Nous avons convié des gens à une conversation, mais de manière informelle », précise le ministre, qui admet qu’« il n’y a pas une opération formelle » de révision des contenus en cours au ministère de l’Éducation ». « Il faut, par une démarche personnelle, que je mette au jeu une réflexion », a-t-il précisé.

Cette réflexion mènera éventuellement à une révision en bonne et due forme du cours, à laquelle seront invités à participer plusieurs acteurs du réseau de l’éducation, à commencer par les enseignants d’éthique et culture religieuse, dit-il. Il n’y a toutefois aucun échéancier qui a été fixé jusqu’à maintenant.

État des lieux et évaluations absents

Des experts consultés par Le Journal de Québec insistent de leur côté sur l’importance de faire un « état des lieux » de ce qui est enseigné en classe, avant d’entreprendre une révision des contenus. « On n’a pas d’infos sur ce qui se passe sur le terrain, on n’a aucun portrait de la situation », déplore Nancy Bouchard, professeure au département de sciences des religions de l’UQAM.

Pour notre part, nous aimerions savoir quels sont les objectifs du cours par lequel on jugera de l’efficacité du cours. Quels seront les critères objectifs ? Une plus grande ouverture à l’« autre », à l’immigrant ? Comment les comportements que l’on cherchait à faire apparaître chez les élèves (voir ci-dessous) seront-ils évalués ? Rappelons que les connaissances ne sont pas un des objectifs du programme. Pour reprendre la prose de Georges Leroux :
Dans l’univers très riche des programmes formulés selon des compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés : les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion, ou doctrine morale.

LEROUX, Georges, « Orientation et enjeux du programme d’éthique et de culture religieuse ». Formation et profession, mai 2008

Pour le professeur Lucier, « il ne s’agira pas davantage d’un enseignement de type encyclopédique sur le contenu ou l’histoire des doctrines et des traditions religieuses ». Ce qui est attendu de l’élève n’est pas la maîtrise de connaissances. ECR vise plutôt « l’adoption d’attitudes et de comportements ». Le programme prescrit que l’enseignant doit évaluer « des comportements observables ou des actions attendues chez l’élève qui témoignent du niveau de développement des compétences » Pour le professeur Lucier, cette compétence est liée aux objectifs sociaux et visées éducatives 10 du programme qui consistent à « favoriser la construction d’une véritable culture publique commune » à la fois sur le plan religieux et sur le plan éthique. Plus de détails ici.

Si cette « réflexion » est menée à terme, on peut craindre que les parents conservateurs, chrétiens ou nationalistes anti-multiculturalistes risquent une fois de plus d’être les dindons de la farce des « experts » consultés et de l’imposition d’un programme idéologique unique à tous.



Critique des manuels et cahiers d'ECR par la CLÉ (présentée en public une vingtaine de fois en 2008-2009) le défilement est rapide, n'hésitez pas à mettre en pause la vidéo.



Note

1. « Je m’oppose à ce qu’on mette les religions dans le même panier pour les soumettre à une même appréciation de valeur : selon les modernes, toutes les religions seraient également fausses, violentes, sexistes, etc. Sur le problème de la violence, on ne peut pas mettre sur le même plan des religions qui admettent le sacrifice humain et celles qui prêchent le respect de la vie sous toutes ses formes. Pourquoi refuser de comparer ? Comparons le Sermon sur la montagne à la sourate IX, la plus tardive du Coran, qui contient au verset 29 un appel à un combat matériel visant à la soumission et à l’exploitation économique du vaincu. Si vous trouvez que c’est aussi bien, libre à vous, mais permettez-moi de douter de votre intelligence ! ». Rémi Brague, Le Figaro, le 8 février 2018.

Voir aussi


Le ministère n’approuve pas les manuels. « Seul le régime de Vichy s’est permis cela. »

Québec — C'est la déconfiture post-réforme chez les éditeurs scolaires !

Table ronde sur le matériel pédagogique ECR

Conférence du « politburo » du Monopole de l’Éducation du Québec

Le rôle des femmes dans les religions selon le livre ECR d’ERPI pour la 2e secondaire (catholiques place « variable » de la femme, autochtones très bien, [Mahomet] « au 7e siècle améliore la situation de la femme »).

L’ancien ministre Louis O’Neill sur la Cour suprême et ECR : « Un jugement qui laisse perplexe »

« Match nul » sur la constitutionnalité du programme ECR, entretemps Jésus, Superman même combat !

À qui sont ces enfants au juste ? (rediff)

Thèse doctorale — Des enseignants d’éthique (ECR) loin d’être neutres ?

« ECR : vrai problème, fausse solution ; il faut l’abolir »

Où est le problème ?

ECR — L’avertissement de la Cour suprême

Cannabis thérapeutique : effets positifs modestes, effets indésirables sont importants et très fréquents


La revue professionnelle Le Médecin de famille canadien publiait en février une recension systématique des études ayant évalué l’utilisation médicale des cannabinoïdes. Après avoir identifié 1085 articles et retenu 31 publications pertinentes, les auteurs arrivent aux conclusions suivantes :
  • il existe des preuves raisonnables en faveur de l’utilisation des cannabinoïdes pour les nausées et vomissements associés à la chimiothérapie ;
  • ces produits pourraient améliorer la spasticité surtout dans la sclérose en plaques ;
  • il n’est pas certain que les cannabinoïdes puissent soulager la douleur, et si tel était le cas, ce ne serait que pour la douleur neuropathique, et les bienfaits seraient alors modestes ;
  • en contrepartie, les effets indésirables sont très fréquents, à tel point que les auteurs indiquent que les bénéfices attendus devraient être très élevés avant même de songer à les utiliser. 

À ce sujet, ils ajoutent :
Les données probantes font valoir que les effets les plus constants des cannabinoïdes médicaux sont des événements indésirables. Les divers effets indésirables sont d’une plus grande ampleur que les bienfaits potentiels pour les problèmes visés.

Les conclusions de cette analyse ne surprennent pas : étude après étude, analyse après analyse, revue après revue, on arrive sensiblement toujours au même constat : les cannabinoïdes ont peu de place dans l’arsenal thérapeutique contemporain sauf dans des situations bien particulières ou en fin de parcours quand rien d’autre n’a fonctionné.

Malgré cela, certains prétendent que les cannabinoïdes pourraient améliorer la qualité de vie des utilisateurs. Or, une publication récente vient contredire cette croyance. Les résultats de cette méta-analyse concluent qu’il n’est pas possible d’établir une relation entre la qualité de vie et la consommation thérapeutique de cannabis.

Normalement, face à pareils constats, on devrait arrêter de tergiverser sur les bienfaits potentiels du cannabis ou des cannabinoïdes et clore le débat une fois pour toutes. Si ces produits sont si peu efficaces (ou de façon si marginale), engendrent tant d’effets secondaires et ne changent rien à la qualité de vie, il n’y aurait aucune raison de s’en servir, sauf dans des situations bien particulières. N’est-ce pas ce que nous ferions pour toute autre substance ?

Mais pas avec le cannabis ou les cannabinoïdes !

Mais le plus étrange est certainement le paradoxe sociétal. Si le cannabis est à ce point inefficace, engendre tant d’effets indésirables et ne change rien à la qualité de vie, pourquoi donc 3,4 millions de Canadiens en ont-ils consommé au cours de l’année ? Pourquoi ces individus fument-ils du pot dont ils ne connaissent même pas l’origine, acceptent-ils de payer pour une substance dont ils ne sont pas certains de la composition et s’exposent-ils aux risques judiciaires associés à la production, la possession et la consommation d’une substance illicite ? Ajoutons que souvent ces consommateurs le fument et que pourtant le gouvernement ne s’est pas privé d’indiquer que l’inhalation de produits (que ce soit le tabac ou d’autres herbes) n’est pas sans effets néfastes.

Pour son usage récréatif, me dites-vous ? D’accord. Mais qu’entend-on par usage récréatif ? Sans doute que la plupart des consommateurs recherchent ses effets psychotropes comme c’est le cas pour toutes les autres drogues, le tabac et l’alcool inclus ; qu’ils ont besoin de l’excitation, de l’euphorie ou de la sédation associées à la substance ; qu’ils recherchent un mieux-être, même transitoire. Sinon, pourquoi consommeraient-ils donc une substance prétendument inefficace et inutile, et de surcroît accepteraient-ils de payer pour l’obtenir ?

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