C’est un secret de polichinelle Rue de Grenelle [ministre de l'Éducation]: longue, bien longue est la liste des ministres de l’éducation à avoir prêché la mixité sociale, tout en plaçant leurs propres enfants dans des établissements privés… Pap Ndiaye s’apprête à inscrire son nom au bas de cet inventaire peu glorieux : le ministre promet des mesures pour lutter contre la « ségrégation sociale » en janvier. Rien de bon ne peut sortir d’un tel projet. [Voir France — Le ministre
de l'Éducation, Pap Ndiaye, a placé ses enfants dans une école privée
élitiste pour avoir une « scolarité sereine »]
À l’origine de l’affaire, les mauvais comptes d’un « indice » imaginé par les services de la Rue de Grenelle : l’« indice de positionnement social » (IPS), qui vise à évaluer les chances de réussite d’un élève à partir de la profession de ses parents. La direction de « l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère » combine les situations du père et la mère à qui elle attribue des points pour déterminer le « score » de l’enfant – pour une fois, personne n’a songé à troquer les points pour des gommettes, des lettres ou des smileys ! L’élève dont la mère est agricultrice et le père artisan recueillera ainsi 99 points, celui dont la mère est professeur et le père ingénieur en comptera 179, etc. – le tout sur une échelle de 38 à 179.
Nombreuses sont les études qui soulignent l’influence de l’environnement dans lequel évolue un enfant sur sa réussite à l’école. Les liens entre le diplôme des parents – celui de la mère en particulier -, la présence ou non de livres dans la maison, l’implication des parents, les conditions de vie… et la trajectoire scolaire ont été établis depuis belle lurette, et ils n’ont au reste rien de vraiment surprenant, ni même de foncièrement répréhensible. Imagerait-on de reprocher aux parents leur appétit culturel, leur succès professionnel ou leur implication dans la transmission d’un bagage intellectuel et moral à leurs enfants ?
Ce qui ne cesse de déconcerter, en revanche, c’est l’incapacité croissante de « l’école de la République » - noyée sous le poids de la massification de l’enseignement hier, fracturée par la défaite de l’intégration [des immigrants et de leur descendance] aujourd’hui à donner à chacun, quel que soit son milieu d’origine, un socle fondamental ; à conduire chaque élève vers le meilleur des apprentissages à sa mesure. Années après années, les classements Pisa de L’OCDE soulignent les piètres performances du système français et son désolant triptyque : baisse du niveau des élèves, forte reproduction des inégalités et dépenses élevées… Les chercheurs internationaux ont pourtant établi noir sur blanc l’évidence : les pays qui ont choisi d’encourager l’excellence sont également ceux qui sont le mieux parvenus à soutenir aussi les élèves en difficulté. En vain. Rue de Grenelle, et dans les cercles « pédagos » qui hantent les couloirs de l’école, d’irréductibles idéologues s’accrochent mordicus à l’idée contraire, et n’ont qu’un mot à la bouche : lisser. Lisser les notes - en faire des groupes ou des lettres, voire les supprimer ; lisser les classes, lisser le niveau. L’« indice de positionnement social » est le fruit de cette obsession égalitariste, de ce génie du nivellement. Longtemps tenu secret, il a d’abord servi d’outil de redistribution au ministère. Puis, évidemment, s’est manifestée la logique de rétorsion inhérente à l’idéologie du lissage : depuis deux ans, à Paris, l’« IPS » sert d’arme anti-ségrégation sociale ». La réforme d’Affelnet, le système d’affectation en seconde, a singulièrement réduit le poids des notes dans la balance. D’abord en les réunissant par groupes de cinq, si bien qu’un 15/20 ou un 20/20 se valent pour le logiciel - inutile, à ce compte-là, de s’étonner de la désaffection pour les maths des élèves français… En minimisant, ensuite, leur importance face à d’autres mesures : critères boursiers et professions des parents du collège d’origine (l’IPS moyen) passent désormais avant le mérite personnel de l’élève. Pour parfaire cette opération de déconstruction, les deux lycées d’excellence que sont Louis-le-Grand et Henri-IV ne sont plus autorisés à sélectionner eux-mêmes leurs recrues – logique vengeresse, toujours.
Le lycée public Louis-le-Grand |
Le résultat a été radical : le rectorat s’est félicité de voir la « mixité » augmenter d’un tiers en un an. Encore une poignée d’années à ce rythme, et la carte scolaire sera parfaitement « lissée » : Condorcet, Janson-de-Sailly, Fénelon, Carnot, etc. C’en sera tout à fait fini des lycées publics de bon niveau. En attendant, tous les collégiens ont déjà compris que les bonnes notes ne servaient plus à grand-chose. Leurs parents lorgnent le privé.
Le fameux indice IPS qui profile les élèves selon la profession de leurs parents ne manquera pas de souligner de plus en plus crûment à l’avenir ce phénomène d’« évitement » du public vers le privé, comme le nomment les sociologues de l’éducation nationale : on poussera des cris d’orfraie en constatant que les familles qui le peuvent se sont réfugiées dans les établissements sous contrat.
Or, au lieu de s’atteler à reconstruire, enfin, l’école publique autour de la promotion de la réussite - qui va de pair avec cette véritable bienveillance qui est encouragement et non pas condescendance -, d’y faire vivre le désir d’apprendre, la volonté de s’élever, la curiosité du monde et des autres, beaucoup voudraient déjà appliquer au privé les recettes mortifères qui ont sapé le public…
La faillite qui se produit sous nos yeux est d’autant plus inquiétante que le phénomène d’archipellisation de la société française qu’a décrit Jérôme Fourquet et la révolution numérique ne permettent plus, ou moins, cette intrication des classes, des statuts, des milieux, qui offrait au jeune professionnel une deuxième chance d’ascension. La France se plaint de ses élites. Encore faut-il qu’elle soit à même de faire grandir, demain, les talents qui l’emmèneront vers l’avenir.
Pas de sport
On prête à Winston Churchill, interrogé sur sa longévité, l’une de ces répliques délicieuses dont il avait le secret. « No sport ! », aurait répondu l’ancien premier ministre. Surtout, pas de sport, plutôt des cigares et du whisky ! recommandait-il. À sa façon, Michel Onfray a réitéré cette opération de désacralisation au milieu du concert de bien-pensance qui accompagne trop souvent les grands-messes du foot. « Johnny Halliday remplissait le Stade de France, ce qui ne suffit pas pour parler d’une performance républicaine », ironisait-il dans nos colonnes.
Les émeutes qui ont éclaté à Bruxelles après la défaite du Maroc contre la Belgique ne viennent malheureusement pas contredire son propos sur l’affaissement de la puissance fédératrice du sport.
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Source : Le Figaro