samedi 15 mars 2014

Une école à la française séduit des parents californiens

À l’école à charte Santa Rosa, les élèves suivent les programmes de l’Éducation nationale fran­çaise.

École à charte

Il s’agit d’une école publique de l’État de Californie. Elle reçoit de l’État appro­xima­ti­vement 7 000 dollars par élève et par an du Trésor public. Elle doit rendre des comptes précis à l’admi­nis­tration. Les professeurs et le directeur sont en disponibilité de l’Édu­cation natio­nale française. Ils sont payés par l’admi­nis­tra­tion cali­for­nienne, en moyenne 55 000 dollars par an, avec deux ans sans impôt sur le revenu.

L’école accueille les enfants de la maternelle (4/5 ans) au collège (15 ans). Les parents apprécient la rigueur des appren­tissages, dans un État où l’écriture cursive n’est plus enseignée.

Reportage du Point du 6 mars 2014. En cette journée hivernale, le soleil brille sur la vallée de Sonoma, haut lieu de la viticulture californienne. Parents et enfants bavardent à l’entrée de l’école avant la sonnerie de 8 h 30. En anglais. Normal, la scène se passe à 85 kilomètres au nord de San Francisco. Dans la salle des professeurs, les discussions vont bon train autour d’un café. En français. Tout le monde est arrivé il y a moins de deux ans7 : l’un était dans l’académie d’Orléans, l’autre en Seine-Saint-Denis. Dans le couloir, les élèves saluent le principal en français : « Bonjour, Pascal. » Pascal Stricher, 52 ans, s’est occupé d’une branche du lycée français de Los Angeles, puis de l’école internationale de Toronto, avant de s’enthousiasmer pour cette expérience unique.

Dans les grandes villes des États-Unis, notamment à New York, les écoles d’immersion ont le vent en poupe. Le programme américain y est enseigné en français.

Enseignement en français, programme français

Ici, à l’école Santa Rosa, il est au contraire recommandé à chaque enseignant de suivre scrupuleusement la cohérence du programme français. Dans un pays où chaque État, chaque comté détermine ce que les élèves doivent apprendre, facteur terrible d’inégalité, un enseignement concocté à l’échelon national, avec des exigences académiques importantes, est perçu à la fois comme exotique et rassurant. C’est une histoire extraordinaire qui devrait redonner du baume au cœur, dans l’Hexagone, à tous ceux qui ont la vocation d’instruire chevillée au corps. D’autant plus incroyable que 10 % seulement des élèves sont issus d’une famille francophone.

Comme Roger, un cardiologue d’origine libanaise installé en Californie depuis vingt-cinq ans. Il avait envoyé ses aînés étudier un an dans son pays natal pour être bien sûr qu’ils maîtrisent la langue de Molière. Les cadets, eux, n’ont que la rue à traverser. Cette école publique à nulle autre pareille a ouvert ses portes en septembre 2012. À la fin de la première année scolaire, il a déjà fallu organiser une loterie, faute de pouvoir accueillir tous les postulants.

L’année prochaine, la liste d’attente va encore s’allonger, vu la pile de dossiers de candidature déposés avant la date butoir du 14 février 2014. Le bouche-à-oreille fonctionne aussi parmi les enseignants américains : « Nous avons reçu plus de cent candidatures pour pourvoir trois postes de professeurs d’anglais », se réjouit Pascal Stricher.

80 % des cours sont en français, 20 % en anglais. La cloche a retenti. De la maternelle au collège, tout le monde se range sagement. Une fois installés, les élèves de grande section [de maternelle] viennent reconnaître leur prénom. L’enseignante ne leur parle qu’en français. Dans la classe de CP [1re année du primaire], les enfants s’appliquent sur des cahiers [Seyès] de marque française : à l’école américaine, ces objets avec des lignes spéciales n’existent pas, puisque l’écriture cursive n’est pas enseignée.

Dans la salle d’à côté, en CE1 [2e année du primaire], les rayonnages de la bibliothèque sont remplis d’albums français flambant neufs payés par l’État de Californie : Jambes-Rouges l’apprenti pirate, Moi, j’adore, la maîtresse déteste, Georges le dragon… « Les manuels américains coûtent très cher, note Pascal Stricher, cela nous laisse une marge pour acheter plus de livres. »

Les CE2 [3e primaire] découvrent les joies de l’adjectif qualificatif épithète. Sandrine, arrivée de Tours au début de l’année scolaire, trouve ses élèves plus indisciplinés et plus créatifs qu’en France. « Tous mes élèves sont anglophones, ils ont été habitués à être valorisés, quelles que soient leurs performances, explique-t-elle. J’en tiens compte, et je pense qu’on devrait plus le faire en France. » Il faut aussi s’adapter aux particularités locales : en Californie, la loi autorise par exemple les parents à venir s’asseoir dans la classe pour observer. Autre sujet d’étonnement : au pays de l’initiative individuelle, l’adhésion au syndicat des enseignants est obligatoire, avec cotisation mensuelle de 90 dollars. Cet établissement, qui réunit école élémentaire et collège, était classé avant-dernier de tout le district il y a deux ans. Les familles le fuyaient et l’administration envisageait de le fermer.

Des parents du quartier s’en désespéraient. Surtout ceux qui avaient eu recours au jardin d’enfants francophone créé en 2006 par une Française mariée à un Américain, Emmanuelle Benefield, et baptisé Ma petite école. Parmi eux, Najine et Nas. Ce couple d’origine iranienne voulait une éducation française pour sa fille. Nas, ingénieur en informatique, a grandi à Montréal. Il parle avec un délicieux accent québécois, fabrique dans sa boulangerie au fond du jardin un pain digne des meilleures enseignes parisiennes et se montre imbattable sur les crus de sa région. « Nous avons entendu parler du système d’école à charte, explique-t-il. Il s’agit d’écoles publiques, mais fonctionnant avec une orientation particulière. C’est une fonctionnaire de l’Éducation qui nous en a parlé. Nous avons donc proposé de créer un établissement où tout se passe comme dans une école publique française. » « Le document que nous avons rédigé et qui constitue la charte fait plus de 300 pages », renchérit Najine.

Pour que l’administration les prenne au sérieux, il fallait qu’ils recueillent le maximum de signatures de parents des environs. « Un de nos amis possède le cinéma du centre-ville, poursuit Najine. Je ne sais pas si c’est parce que Nas avait cuisiné de délicieuses gougères, mais nous avons fait salle comble dès la première réunion. » Face à la longueur de la pétition, l’administration se laisse convaincre. Elle propose aux signataires de tenter l’expérience dans cette école publique à mauvaise réputation qu’elle envisage de fermer.

Mais les habitants du quartier fortement hispanique n’apprécient pas tous cette initiative. Ceux qui veulent conserver l’établissement en l’état intentent un procès pour empêcher l’ouverture de l’école à charte franco-américaine Santa Rosa. Le raffut médiatique remplace une campagne de publicité : de nombreux parents accourent pour inscrire leurs enfants à la nouvelle école française.

Certains, comme Jackie, sont si motivés qu’ils effectuent chaque jour une heure et demie de trajet aller-retour entre la maison et l’école. « C’est un laboratoire très intéressant, observe Christine Paugam, conseillère pédagogique au consulat général de France à San Francisco. Ce projet unique en son genre a permis au secteur public de Santa Rosa de récupérer des élèves qui s’étaient tournés vers le privé. »

Motivations des parents

Pourquoi des familles qui n’ont aucun lien avec la France choisissent-elles cette école différente, où l’on ne parle pas la même langue qu’à la maison et où les programmes scolaires sont concoctés à plus de 10 000 kilomètres ? L’argument de la rigueur académique arrive en tête : « Pour moi, il ne s’agit pas simplement d’apprendre à penser dans une autre langue, explique Cindy. Je pense que ce système est plus sérieux, plus solide, plus cohérent. » Le fait qu’il y ait des cahiers, des devoirs, des efforts pour apprendre l’écriture cursive est déterminant.

Deuxième motivation, l’ouverture au monde : « Leur champ d’apprentissage ne se cantonne pas aux frontières de notre pays, explique Rachel, une Californienne de toujours. Je souhaitais pour mes deux enfants une école qui leur ouvre l’esprit. » C’est ce que cherchait aussi ce diplomate, dont le dernier poste a été Bruxelles : « Nos trois enfants étaient dans une école francophone. Quand nous sommes rentrés, nous voulions nous installer sur la côte Ouest, n’importe où entre San Francisco et l’Alaska. Nous avons choisi Santa Rosa uniquement parce qu’il y a cette école publique française. » L’élément financier compte aussi : « Nous avons quitté San Francisco quand notre quatrième enfant est né, raconte Alice. Il était impossible de payer 20 000 dollars par tête pour l’école, tout au long de leur scolarité. » Et puis il y a Élisa, lourdement handicapée, qui n’a pas le choix pour l’école de sa fille. Elle habite juste en face. « J’étais très inquiète quand j’ai entendu les rumeurs de fermeture. Et sceptique quand j’ai appris qu’une école française s’installait ici. Deux ans plus tard, ma fille parle français couramment, et ça m’impressionne beaucoup. »

Parce qu’ils n’ont pas d’attache particulière avec la France, beaucoup d’élèves réintégreront le système scolaire américain au lycée. Avec un bagage français qui leur aura apporté une autre approche de l’enseignement.

Financement d’appoint

Une fondation composée de parents et de personnalités veille au respect de la charte signée par Santa Rosa avec l’administration californienne. La fondation détient une cagnotte de 110 000 dollars. « C’est une habitude pour les parents de donner de l’argent, ici, remarque Pascal Stricher. Mais les sommes réunies sont exceptionnelles. » Un parent d’élève explique qu’il ne donnera jamais assez : « Nous sommes si agréablement étonnés d’avoir cette qualité d’enseignement dans une école publique. Nous ne payons rien, pas même les cahiers. Cela nous incite à aider beaucoup la fondation, en remerciement. »

Le latin et le grec traversent l’Atlantique

Quelle ironie ! Alors que la France, qui se croit moderne, éradique l’enseignement du latin et du grec, jugé « peu rentable », « élitiste », « coupé du monde », les États-Unis, qui le sont vraiment, modernes, ne cessent de développer les humanités, dénommées là-bas « Classics ». La raison ? Les élèves habitués à penser des mondes anciens se révéleraient excellents pour penser les mondes à venir et les grandes entreprises font leur miel de ces esprits nourris aux sources antiques. Martha Nussbaum, professeur de droit et d’éthique à l’université de Chicago, a montré récemment, et concrètement, comment « le savoir technique n’est utile qu’à court terme et ne nourrit pas une compréhension économique à long terme » et pourquoi il faut encourager ce que Socrate appelle le « libre examen de la vie ». Et pendant ce temps, la France se ringardise un peu plus…

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Washington — Enseignants payés au mérite

À Washington, les enseignants sont payés au mérite… avec approbation syndicale. Selon leurs performances, leur rémunération peut varier du simple au double. Le salaire de base de 51 000 dollars par an est assorti de primes substantielles et peut atteindre plus de 130 000 dollars [!!!] au bout de neuf ans de bons et loyaux services.

Un quart des professeurs atteint le « niveau maximum », le niveau supérieur de l'évaluation. L'administration en a décidé ainsi en 2009, lorsqu’elle a réalisé que la capitale américaine avait un des budgets les plus hauts par élève pour un des résultats les plus nuls.

Contrepartie : ceux dont les classes obtiennent les plus mauvais résultats ont un an pour se ressaisir. Sinon, c’est la porte pour une centaine d’entre eux chaque été. Le niveau scolaire moyen, lui, s’est sensiblement amélioré en quatre ans.

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