Texte de Louis Fournier, écrivain et journaliste à la retraite, paru dans le Devoir le 11 juin 2022.
Il y a un an, le 27 mai 2021, on annonçait la découverte, par géoradar, de ce qu’on a décrit comme les restes de quelque 200 enfants autochtones disparus. Ces enfants auraient été enterrés dans un cimetière secret, situé dans un verger, près de l’ancien pensionnat des Oblats de Marie-Immaculée établi dans la réserve de Kamloops en Colombie-Britannique. On a d’abord parlé d’une fosse commune, une nouvelle démentie, mais qui est restée dans notre imaginaire, puis de tombes anonymes, ce qui n’est pas encore avéré.
En effet, nous n’avons aucune preuve matérielle de cette présumée découverte, car le géoradar est une technologie qui n’identifie pas directement les restes humains. Selon l’anthropologue qui a fait la recherche, seule une excavation serait probante. Mais la communauté autochtone locale est divisée sur le sujet et on peut douter sérieusement que des fouilles puissent avoir lieu. Qui donc établira alors la véracité des faits ?
Selon le Centre canadien de vérité et réconciliation, 51 élèves sont décédés durant les 80 ans d’existence du pensionnat. Grâce aux recherches de l’historien Jacques Rouillard, on connaît maintenant les lieux de sépulture de plus de la moitié de ces enfants, selon les informations disponibles. Quatre d’entre eux sont inhumés à Kamloops dans le cimetière de leur réserve situé non loin du pensionnat, ce qui fait douter de l’existence d’un autre lieu de sépulture secret. Vingt-quatre autres enfants sont enterrés dans le cimetière de leur propre réserve. L’historien a pu consulter les certificats de décès conservés dans les registres d’état civil de la province. Ces enfants ne sont donc pas disparus. Comment croire alors que les dépouilles de 200 enfants aient pu être enfouies près de l’école, à l’insu des familles et du conseil de bande ?
Depuis l’annonce de Kamloops, des groupes autochtones ont fait part de la « découverte » par géoradar de centaines de tombes anonymes, dans des cimetières abandonnés et déjà connus. Dans le cas du pensionnat des Oblats à Marieval en Saskatchewan, les 750 tombes étaient celles de personnes de tous âges, dont plusieurs n’étaient pas des Autochtones, a révélé l’enquête d’un journaliste de la CBC. Un certain lobby autochtone évoque le spectre de la « disparition » de milliers d’enfants. La Commission de vérité et réconciliation a qualifié l’existence des pensionnats de « génocide culturel », mais jamais elle n’a parlé de génocide physique.
Si des enfants sont disparus, n’est-ce pas parce que le ministère fédéral des Affaires indiennes refusait de payer les frais pour rapatrier les corps dans les réserves, empêchant ainsi les familles de les enterrer chez elles ? Le gouvernement Trudeau, déjà pétri de repentance, doit assumer les conséquences de cette politique odieuse. Et n’oublions pas que le système colonial des pensionnats autochtones fut créé et financé par l’État canadien en vue d’assimiler ces enfants.
Les souffrances, les luttes et la résilience des Autochtones ne peuvent qu’inspirer la plus grande bienveillance. Mais la victimisation à outrance n’aidera pas leur cause, qui est aussi la nôtre : la vérité et la réconciliation. Le meilleur chemin vers la réconciliation n’est-il pas de chercher et de connaître toute la vérité ? Les médias, dont c’est la mission, doivent nous aider à aller au fond des choses.
Billet du 27 mai 2022 (jour anniversaire de la « découverte »)
L’absence de preuves liées à la panique morale qui a suivi la prétendue découverte de sépultures d’enfants morts à Kamloops et ailleurs dans l’Ouest est répercutée dans la presse américaine. Extraits d’un article du New York Post.
[…]
Mais un groupe d’une douzaine d’universitaires canadiens ne croit pas à toute cette histoire.
« Pas un seul corps n’a été retrouvé », a déclaré au [New Yok] Post Jacques Rouillard, qui est professeur émérite au département d’histoire de l’Université de Montréal. « Après […] des mois de récriminations et de dénonciations, où sont les restes des enfants enterrés au pensionnat indien de Kamloops ? ».
Le porte-parole de Tk’emlúps te Secwépemc, Larry Read, a confirmé au [New York] Post cette semaine qu’aucun corps n’a encore été exhumé de l’école de Kamloops et qu’aucune date n’a été fixée pour commencer les fouilles. Il a ajouté que le rapport montrant les résultats du radar à pénétration de sol (GPR) n’a pas été publié par la communauté, mais qu’il pourrait l’être à l’avenir.
M. Rouillard, qui a été le premier à défendre ce qu’il a appelé l’absence totale de preuves de l’existence de fosses communes dans un essai publié en janvier, ne nie pas que de sévices auraient pu être commis dans les pensionnats.
Mais lui et d’autres personnes remettent en question le récit surchargé de l’école de Kamloops, selon lequel des enfants auraient été assassinés et enterrés dans ce qui, selon certains anciens élèves, était un verger de pommiers.
[…] Le 17 mai 2021, la communauté avait engagé Sarah Beaulieu, une jeune anthropologue de l’Université de la vallée du Fraser, pour scanner et étudier le site. Mme Beaulieu a scanné le site entre le 21 et le 23 mai et le groupe a annoncé ses découvertes choquantes le 27 mai.
Mme Beaulieu a déclaré que les capteurs à distance avaient détecté des « anomalies » et ce qu’on appelle des « reflets » qui indiquent que des restes d’enfants pourraient être enterrés sur le site. Mme Beaulieu n’a pas répondu aux courriels envoyés par le [New York] Post.
[…] Comme M. Rouillard, Tom Flanagan, professeur émérite de sciences politiques à l’Université de Calgary, ne croit en rien à l’histoire.
« C’est le plus grand bobard de l’histoire canadienne », a déclaré Flanagan au Post. « Toute cette histoire de tombes non marquées et d’enfants disparus a déclenché une panique morale. Ils en sont venus à croire des choses pour lesquelles il n’y a aucune preuve et l’histoire a pris vie d’elle-même. »
Étrangement, Rouillard, Flanagan et leurs associés ont une sorte d’allié en la personne d’Eldon Yellowhorn, professeur et président fondateur du département d’études indigènes de l’Université de Fraser Valley — là même où travaille Sarah Beaulieu.
M. Yellowhorn, qui a grandi dans une ferme de la réserve indienne de Peigan et dont plusieurs membres de la famille ont fréquenté les pensionnats, est à la fois archéologue et anthropologue. Il fait partie de la nation Pied-Noir. Depuis 2009, il recherche et identifie les tombes des enfants autochtones ayant fréquenté les pensionnats du Canada, après avoir été engagé par la puissante Commission vérité et réconciliation du Canada.
Cependant, bon nombre des tombes qu’il a identifiées dans les pensionnats d’autres régions du pays proviennent de véritables cimetières et la façon dont ils sont morts n’est pas toujours claire.
Certains de ceux qui ont été trouvés avaient succombé à la maladie, a déclaré Yellowhorn, citant un cimetière où il est apparu que de nombreux enfants avaient péri de la grippe espagnole il y a un peu plus d’un siècle.
« Je peux comprendre pourquoi certaines personnes sont sceptiques quant au cas de Kamloops », a déclaré Yellowhorn au Post. « Tout cela est très nouveau. Il y a beaucoup de désinformation qui circule. Les gens parlent sous le coup de l’émotion ».
Pour Yellowhorn, les preuves réelles de la présence d’un charnier sur le site de Kamloops sont minces.
« Tout ce que le radar vous montre, c’est qu’il y a des anomalies ou des reflets », a-t-il dit. « La seule façon d’en être certain est de fouiller la terre et de vérifier ce qui se trouve en dessous. Nous ne sommes pas encore arrivés au point où nous pouvons le faire. C’est un travail énorme. »
Malgré son propre scepticisme, M. Yellowhorn affirme qu’il est tout à fait possible que si des fouilles sont un jour menées à Kamloops — de véritables restes humains soient découverts, un peu comme ce fut le cas en 2014 en Irlande après que le géoradar révéla des anomalies dans l’un des célèbres foyers pour mères et bébés du pays.
La professeure canadienne Frances Widdowson a déclaré que personne n’ose mettre en doute la parole des chefs autochtones au Canada de nos jours, ce qui rend difficile la vérification de leurs affirmations concernant les restes enterrés d’enfants.
Les gardiens du savoir, après tout, ne peuvent pas être remis en question, car cela serait perçu comme un « manque de respect » », a écrit Widdowson dans « The American Conservative » en février. Widdowson est un ancien professeur titulaire de l’université Mont-Royal à Calgary.
Widdowson a écrit que les propos « macabres » sur les enfants autochtones enterrés circulent depuis plus de 25 ans et sont « maintenant fermement ancrés dans la conscience canadienne ». Mais elle ajoute qu’il n’y a toujours pas de preuves tangibles.
Les professeurs canadiens contestent également les rapports selon lesquels au moins 150 000 enfants indigènes furent contraints de fréquenter les pensionnats, ce qui est aujourd’hui accepté comme parole d’évangile au Canada.
Flanagan et d’autres affirment que ce chiffre est au mieux trompeur, car un grand pourcentage de parents indiens ont volontairement opté pour les pensionnats, car c’était le seul moyen pour leurs enfants de recevoir une éducation.
Tomson Highway, Cri pur et dur, est un auteur-compositeur et pianiste canadien bien connu. Aujourd’hui âgé de 70 ans, il était le plus jeune d’une famille de 12 enfants qui vivaient dans une tente plantée sur un banc de neige sur une île d’un lac dans le nord-ouest du Manitoba. […]
« J’y suis allé parce que mon père le voulait », dit Highway à propos de son père, un chasseur de caribous et champion de traîneau à chiens qui était analphabète. « Mon frère aîné était également analphabète. Il ne voulait pas que la même chose arrive à nous autres, les enfants. Alors nous y sommes allés. »
Highway a dit que l’école Guy Hill n’était pas parfaite et qu’il a été témoin et victime de certains sévices. Mais « je n’ai pas vu de morts étranges », a-t-il dit. « La plupart des Blancs qui étaient là étaient gentils. L’éducation que j’y ai reçue… m’a préparé à la vie. »
Source : New York Post
Billet originel du 26 mai 2022
Extrait et résumé d’un texte de Brian Giesbrecht, juge à la retraite de la Cour provinciale du Manitoba, de Nina Green, chercheuse indépendante, et Tom Flanagan, professeur émérite de sciences politiques à l’Université de Calgary.