jeudi 5 février 2015

« La lutte contre l’intégrisme passe par le retrait du cours ECR »

Pour le militant athée Daniel Baril, la lutte contre l’intégrisme passe par le retrait du cours ECR. Nous reproduisons ci-dessous sa chronique récente sur le sujet. Nous ne partageons évidemment pas complètement son analyse.

C’est ainsi que le volet « éthique » du cours d’Éthique et de culture religieuse (ECR) nous apparaît tout aussi condamnable que le volet « religion ». C’est en effet une école du conformisme politiquement correct moderne qui institue souvent le consensus moderne comme étalon du juste et du bon. Nous ne sommes pas convaincus non plus qu’il est judicieux pour l’État de lutter contre tous les propos haineux, puisque la question se pose immédiatement de savoir qui déterminera ce qu’est un propos haineux alors que toute critique aujourd’hui se transforme aujourd’hui en phobie (islamophobie, transphobie, homophobie, xénophobie, etc.) Se rappeler que le simple rappel de versets condamnant l’homosexualité expose au Canada leurs auteurs à des poursuites judiciaires et que même le rappel de faits véridiques (des statistiques médicales en la matière) n’est plus protégé par la Cour suprême du Canada.
« Lorsqu’il a annoncé un “peut-être-éventuel-possible-futur” comité visant à contrer l’intégrisme religieux (devenu depuis “radicalisme” tout court), Philippe Couillard a dit vouloir agir en amont des gestes de violence afin de les prévenir. Il n’a toutefois pas dit jusqu’où il voulait aller “en amont”.

Le communiqué de novembre dernier nous dit que le mandat de ce comité sera de “prévenir l’exclusion et de cibler les propos et les gestes haineux, ainsi que les comportements discriminatoires envers les religions pouvant mener à la radicalisation”.

La lutte contre tout geste ou propos haineux est en soit [sic] un objectif à soutenir. Mais on comprend de cette phrase que, pour les conseillers du Premier ministre, ce sont les préjugés envers les religions qui conduisent à l’exclusion et par la suite à la radicalisation des exclus. L’idée que les religions pourraient elles-mêmes susciter des préjugés ou encore un rejet légitime ne semble pas leur avoir effleuré l’esprit ni celui de Philippe Couillard.

En France, après la tuerie à Charlie Hebdo, la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, a elle aussi déclaré vouloir agir en amont du radicalisme. Elle a annoncé un plan d’intervention en 11 mesures visant la transmission, à l’école, des valeurs républicaines : laïcité, citoyenneté, culture de l’engagement, mixité sociale, culture de la raison et du jugement, maîtrise du français, lutte contre les inégalités, le repli identitaire, les théories du complot, les velléités communautaristes et le relativisme généralisé. Tous ces éléments font partie du plan. L’école “ne tolère aucune remise en cause des valeurs de la République”, a insisté la ministre. [Note du carnet : on a cependant la désagréable impression que ces valeurs de République sont celles de la frange la plus “progressiste” du Parti socialiste dont Najat Belkacem pour qui la “théorie du genre” est une priorité.]

Voilà ce que l’on aurait aimé entendre de Philippe Couillard : formation à la laïcité et à la citoyenneté, lutte au repli identitaire et au relativisme culturel. Bref l’affirmation forte des valeurs humanistes communes et universelles, plutôt que de cibler, à mots couverts, la critique des religions ou la pseudo islamophobie.

Le relativisme social du cours ECR
Sur le plan des valeurs citoyennes communes, l’école québécoise est aux antipodes de l’école républicaine française, notamment en raison de la présence du cours Éthique et culture religieuse (ECR). Si le volet éthique de ce cours ne pose pas de problème, il n’en va pas de même du volet culture religieuse qui est une véritable opération de formatage cérébral destiné à nourrir un insatiable besoin de religion. Sous couvert de donner de l’information sur les religions, on procède en fait à la promotion de la pensée religieuse et à la survalorisation de l’appartenance religieuse. L’enfant qui n’en a pas est rapidement incité à s’en trouver une dans le buffet de religions toutes aussi belles et désirables les unes que les autres pour combler ce qui doit sans doute être un profond vide existentiel.

Ce cours, qui n’a été demandé par aucune minorité religieuse, est un compromis négocié avec le lobby catholique afin de maintenir de l’enseignement religieux à l’école. La situation est en fait pire qu’auparavant puisque sous le régime confessionnel les parents pouvaient choisir entre un cours de religion et un cours de formation morale. Ce choix n’est plus possible. Alors que nous avons lutté pendant 20 ans contre la confessionnalité scolaire, le combat est à refaire pour obtenir le retrait de ce cours.

Voici un extrait d’une lettre reçue à l’Association humaniste du Québec :
“Je suis pris au dépourvu face au cours de ECR que ma fille de 6 ans doit maintenant suivre à l’école. […]

Nous avons reçu des instructions de son professeur de 1ère année. Je n’avais jamais abordé ces sujets (rituel, baptême) avec une telle précision. […] Que toutes ces religions voient leurs rituels couverts avec cette sorte de détail, tout en minimisant/ignorant/réduisant le rôle ou la contribution des non-croyants qui n’ont pas de tels rituels me dégoute profondément.

Ce qui me gêne particulièrement c’est que j’ai l’impression que je dois faire une contre-éducation par rapport à tout cela. Ou en remettre pour corriger le tir. Je ne suis pas satisfait de ce qui est montré ici. Ils doivent décrire, dessiner ces rituels. Et je suppose que ce n’est que le début. C’est pris complètement dans un contexte épuré, où j’assume qu’il n’est mentionné nulle part le rôle des religions dans les inconvénients, les inégalités, les mensonges, les atrocités et les injustices qui ont flagellé tout le monde depuis l’aube des temps. Jusqu’à récemment – on parlait de ce qu’on parlait et c’est tout.

Maintenant, il faudrait que j’enseigne pour combler tous les ‘oublis’ de ce cours, ou pour débarrasser la poutine du portrait ?? Je ne suis pas historien ou philosophe ! Je n’ai pas la formation ou le temps de contrer tout ce qui se dit dans ce cours pour apporter un correctif.”

“Contexte épuré” est très peu dire. Le philosophe relativiste Georges Leroux, l’un des artisans et des principaux défenseurs de ce cours, a répété sur plusieurs tribunes que “un programme de culture religieuse doit inculquer le respect absolu de toute position religieuse”.

Il faut lire le désarrois [sic] de cet enseignant d’ECR (Secousses islamiques) qui ne peut à la fois répondre correctement aux questions des élèves concernant la violence du religieux [M. Baril déforme : la violence de religieux] tout en demeurant dans les limites du programme qui lui commande de respecter l’opinion des élèves, de ne pas donner la sienne et… de former l’esprit critique ! Cet enseignant cherche la quadrature du cercle alors que la posture pédagogique appropriée est de laisser les religions assumer leurs contradictions.

Ce cours, produit de l’esprit confus de philosophes et de sociologues postmodernistes, fait l’apologie du relativisme culturel et religieux au lieu de mette [sic] l’emphase [l’accent] sur l’éducation citoyenne, les valeurs communes et la raison comme on veut le réaffirmer en France.

Construite la pensée critique pour déconstruire la pensée magique

Il est impossible de reprendre ici toutes les critiques qui ont fusé de toutes parts contre ce cours, mais en voici quelques-unes : Marie-Michelle Poisson et Normand Baillargeon en ont chacun à leur façon démoli les fondements philosophiques ; Joëlle Quérin en a fait ressortir les fondements multiculturalistes ; j’ai exposé ailleurs sept bonnes raisons pour s’opposer à ce cours.
La lutte contre l’intégrisme et le radicalisme religieux en fournit une huitième. Pour contrer l’intégrisme, il faut déconstruire la pensée religieuse qui postule être fondée sur une vérité révélée. Or le cours ECR ne fait que glorifier cette pensée magique sans la soumettre à l’analyse critique. Le programme a beau affirmer sur papier que :

“lorsqu’une opinion émise porte atteinte à la dignité de la personne ou que des actions proposées compromettent le bien commun, l’enseignant intervient en se référant aux deux finalités du programme [...] [dont les] repères comprennent les règles de base de la sociabilité et de la vie en commun ainsi que les principes et valeurs inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne”

Cela est complètement sans effet devant des croyances professant que la religion est au-dessus des lois civiles et des libertés de la personne et qui défont, en privé, les vœux pieux d’un cours conçu sur l’idée que tout-le-monde-il-est-beau-toute-le-monde-il est-gentil.

Daniel Baril est anthropologue de formation (M. Sc. anthropologie biologique) et militant laïciste de longue date (Mouvement laïque québécois, Intellectuels pour la laïcité, etc.)

Voir aussi

Le programme ECR en Cour suprême du Canada, relation de l’audience

Conformisme et soumission au groupe en classe (expérience d’Asch)

Georges Leroux – le pluraliste jacobin (1 sur 2)

Prof. Jean Laberge — Le programme ECR est vicié dans sa conception même, il doit être abandonné

Complément au cours d’ECR — le bouddhisme militariste

ECR en Cour suprême — Mémoire du Regroupement chrétien pour le droit parental en éducation