mercredi 15 septembre 2021

Pierre Vermeren: « Les jeunes hommes sont-ils en trop dans la société » ?

Texte de Pierre Vermeren, auteur de nombreux ouvrages remarqués. Pierre Vermeren a en particulier publié La France qui déclasse. Les gilets jaunes, une jacquerie du XXIe siècle (Tallandier, 2019) et On a cassé la République. 150 ans d’histoire de la nation (Tallandier, 2020).

C’est un fait social majeur et pourtant occulté : plusieurs millions de jeunes hommes français en grande difficulté se sont mis en marge de notre société. Or ils ne suscitent nulle empathie et ne bénéficient d’aucune sollicitude, explique l’universitaire, normalien, agrégé et docteur en histoire.

 

Des millions de jeunes hommes nés en France dans les années 1990 et 2000 sont à la dérive dans notre société, et cela ne se limite nullement aux classes populaires. Cette réalité humaine augure mal de l’avenir du pays en tant que nation libre et souveraine, socle de notre démocratie. Certes, la France n’a jamais été avare du sang de ses jeunes hommes, comme l’ont prouvé tant de guerres ou de faits sociaux (l’automobile a tué 600 000 Français pendant un gros demi-siècle d’accidents de voiture, de 1948 à 2015, très majoritairement des jeunes hommes). Mais notre longue période de paix accouche d’un mode sacrificiel inédit pour des millions de jeunes concitoyens. Par où commencer, tant les éléments de cette crise sont avérés, nombreux et irréfutables pour peu qu’on les observe avec attention ?

Notre société âgée — cela saute aux yeux de retour d’un autre continent — a fait le choix d’occulter ses jeunes hommes, de passer outre leur avenir. Que l’on songe à la crise du Covid-19, qui a aggravé leurs maux, notamment la déprise éducative, alors qu’ils n’ont jamais couru de péril mortel ; à la réussite scolaire et universitaire des filles, qui, à situation comparable, surclassent partout les garçons, sauf en sciences (seul ce second sujet n’est pas tabou) ; à la déliquescence de leurs domaines professionnels traditionnels, l’artisanat, l’industrie, l’agriculture et la chose militaire ; et, plus généralement, à l’abandon des activités productives, transférées à l’étranger, au profit des services qui sont plus propices aux femmes ; enfin, à la désintégration de la famille comme structure de protection, de transmission culturelle, mais aussi de responsabilisation et d’amour. La liste n’est pas close.

On rétorquera dans les milieux favorisés que les grandes écoles sont peuplées de garçons brillants, que tout un chacun connaît un jeune ingénieur ou un financier junior plein d’avenir, un jeune chef cuisinier prometteur ou un ambitieux médecin, un énarque qui ira loin ou un talentueux journaliste ! Mais ces arbres cachent la forêt.

Une poignée de repêchés de la filière ZEP [Zone d’éducation prioritaire] et la réalité de jeunes femmes en grandes difficultés ne changent rien à cet effet de structure : la disqualification et la mise à l’écart de millions de jeunes hommes dans notre société, alors même que les générations sont moins nombreuses. Ce phénomène a été dévoilé en Grande-Bretagne, où les statistiques révèlent que les jeunes hommes blancs des classes populaires sont, par leur éloignement culturel et géographique, presque exclus des études supérieures (voir, par exemple, Christopher Snowdon, The Lost Boys. The White Working Class Is Being Left Behind, The Spectator, 18 juillet 2020). [Voir aussi Angleterre : enfants blancs défavorisés moins aidés que ceux des minorités ethniques.]

Nos dirigeants sont passés à côté d’un phénomène de masse qui compromet gravement l’avenir du pays : la perte de confiance, d’estime, de motivation, pour tout dire de pulsion vitale, de millions de jeunes hommes

La France accepte bon an mal an de vivre avec 6 millions de chômeurs, inactifs tout ou partie, et 2 millions d’allocataires du RSA (une faible part se recoupant). L’OCDE a pointé dans ce pays l’existence de 3 millions de jeunes ni à l’université, ni exerçant un travail, ni en stage. Le gouvernement se félicite à juste titre des progrès de l’apprentissage, puisque 500 000 apprentis (16-29 ans) sont entrés dans cette filière l’an passé. Fort bien. Mais, alors que la France traverse une période de chômage et de sous-emploi à son acmé, les employeurs attendent en vain des centaines de milliers de travailleurs et autant d’offres d’emploi demeurent non pourvues.

Il y a longtemps que la désincitation sociale et médiatique au travail, a fortiori quand il est physique, manuel et exigeant, décourage des millions d’actifs potentiels. Les causes et les justifications de ce refus de travailler trouvent leur rationalité. Les revenus sociaux de toutes sortes permettent de vivre petitement, mais tranquillement, hors du monde du travail ; le travail au noir et l’économie délictueuse emploient beaucoup de monde ; l’école, puis l’enseignement supérieur, en fourvoyant des millions de jeunes, leur ont laissé une piètre image d’eux-mêmes, incitant les plus dynamiques à partir (1 million de jeunes Français ont quitté la France en dix ans, et pas seulement de brillants diplômés), et d’autres à sombrer ; le travail ouvrier et les stages, mal payés en France, ne permettent pas de se loger dans les métropoles, sauf à jongler entre allocations, familles ou colocations, toutes choses dont il n’est pas aisé de se dépêtrer. La carence de main-d’œuvre corvéable est la première cause de l’immigration, les classes supérieures réfugiées dans les métropoles ayant besoin d’hommes (et de femmes) à tout faire. Enfin, nous avons tous en tête le suicide d’agriculteurs ou de policiers, ce qui révèle la piètre condition offerte à de nobles métiers.

Bercés par le ronron rassurant d’une poignée de psychiatres médiatiques des années 1990 et 2000, expliquant aux boomeurs que jamais les jeunes Français n’avaient été si bien dans leur tête — ce que ces derniers voulaient entendre pour attester des vertus de leur éducation libérale-libertaire —, nos dirigeants sont passés à côté d’un phénomène de masse qui compromet gravement l’avenir du pays : la perte de confiance, d’estime, de motivation, pour tout dire de pulsion vitale, de millions de jeunes hommes. Il y a belle lurette que de jeunes Français n’ont plus gagné le Tour de France et que nos équipes professionnelles de football sont en grande partie peuplées de jeunes étrangers chargés d’animer nos stades. Nos clubs de football ont d’ailleurs souvent fermé leurs centres de formation. Mais le mal est plus grave.

La nature ayant horreur du vide, ces millions de jeunes hommes ont reconverti leur pulsion de vie. Les jeunes Français des siècles derniers étaient en majorité paysans, marins, soldats ou ouvriers ; ils se mariaient jeunes et fondaient une famille qu’ils avaient pour mission de nourrir. Tout cela est devenu résiduel, notre brillante économie de services ayant rendu inutiles des millions d’existences. La dignité du paysan, de l’ouvrier, du clerc et de l’instituteur ayant fait long feu, tout homme ne pouvant devenir un « intellectuel », le capitalisme libéral a offert des champs d’action et de substitution au réel. Car tout le monde ne peut pas partir ou disparaître.

Le ministère de l’Intérieur affirme que 200 000 jeunes sont enrôlés dans l’économie active de la drogue, un chiffre qui fait de cette filière d’emploi une des premières du pays (si l’on a des doutes, le film Bac nord, actuellement à l’écran, en présente une illustration dramatique). Mais à qui cette drogue est-elle revendue et pour quels usages ? Notre pays est devenu le premier consommateur européen de psychotropes, de cannabis en particulier. Chaque jour, 1,5 million de consommateurs réguliers s’adonnent à cette drogue « de la crétinisation », qui altère peu à peu les capacités neuronales et la volonté, « faisant stagner ses victimes dans des statuts des plus modestes, en faisant même des assistés à vie », selon les termes de la « Lettre ouverte aux députés à l’origine du rapport sur le cannabis “récréatif” » (une mission parlementaire homonyme a été créée en janvier 2020, NDLR) du président du Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (CNPERT), le 17 mai 2021.

Cette drogue censément interdite est disponible pour tous à faible coût. C’est le retour de L’Assommoir, dans lequel Zola décrivait la condition d’ouvriers parisiens du XIXe siècle ayant sombré dans l’alcoolisme. Des centaines de milliers de jeunes voient leur santé mentale irrémédiablement affectée par le cannabis, cependant que l’État réduit encore le nombre de lits en psychiatrie. Chacun peut observer au quotidien les jeunes toxicos de la rue, souvent en groupes avec des chiens, la France comptant 300 000 SDF… en grande majorité des hommes.

Outre le cannabis, il existe deux autres faits technologiques qui ont pour conséquence de neutraliser les volontés et de tenir à domicile un nombre élevé de jeunes hommes : les jeux en ligne et la pornographie librement accessible

Il existe deux autres faits technologiques qui ont pour conséquence de neutraliser les volontés et de tenir à domicile un nombre élevé de jeunes hommes en les occupant nuitamment. Il s’agit d’une part des jeux en ligne, dont la France se targue d’être un champion en termes de créativité et de production. Les jeux en réseau mobilisent certainement des centaines de milliers de jeunes gens, nuit et jour, soustraits pour un temps indéterminé aux échanges humains « en présentiel ». Comme la drogue, les jeux peuvent devenir une source d’addiction féroce qui arase tout sur son passage : la vie affective et conjugale, le travail et la vie sociale, la culture et l’éducation. La prise en compte de ce risque social, qui n’est pas incompatible — tant s’en faut — avec la prise de psychotropes — car il faut se tenir éveillé durant des dizaines d’heures parfois — n’est que marginalement actée par la santé publique, qui se concentre sur les urgences.

La tabagie stagne en France (la contrebande compensant la baisse des recettes taxées) et l’obésité ne cesse de croître. Elles amplifient les effets de la sédentarité et des addictions que l’on vient d’évoquer. Il serait naïf et faux de croire que seuls les jeunes démunis sont frappés par ces phénomènes, car la drogue ou le jeu demandent des moyens matériels et intellectuels parfois conséquents.

Enfin, tout cela est imbriqué à la pornographie librement accessible, fournie à foison par les États-Unis, qui perturbe la sexualité vécue et la fréquentation du deuxième sexe, voire s’y substitue. Malgré des tentatives de restriction poussées par les autorités françaises pour les mineurs, la pression du capitalisme libertaire souffle puissamment pour maintenir ouvertes ces vannes.

Face à tant de dysfonctionnements, […] toute la société est bousculée, fragilisée et menacée

Que l’on comprenne bien, pour résumer, qu’il existe en France peut-être 3 millions de jeunes hommes, pour reprendre le chiffre suggéré par l’OCDE (soit deux fois le nombre de morts en 1914-1918), qui sont enfermés dans ces nouveaux faits sociaux et ces spirales addictives ; ces hommes manquent cruellement et peut-être définitivement pour beaucoup à la vie sociale, économique et démocratique. Car, entre non-inscription sur les listes électorales, absence de participation à la cité ou radicalités politiques, les conséquences sont lourdes.

Le déséquilibre ainsi fait à la société compromet son avenir. Depuis dix ans, la chute avérée de la natalité (moins 100 000 bébés en une décennie) en France, en dépit d’une surnatalité migratoire que tout démontre (comme le triplement en vingt ans des prénoms musulmans attribués à la naissance, selon la base Insee), en est un indice avancé. Elle va s’intensifier avec la progression du célibat et des couples sans enfants encouragés par une tendance radicale de l’écologie. L’effondrement de la production française, que révèle notre déficit extérieur croissant depuis 2000, est un autre indice de notre paralysie : il faut importer toujours davantage ce que nous ne produisons plus.

Pour compenser ces tendances lourdes, l’État français joue sur deux tableaux : financer les dépenses courantes en empruntant, avec pour résultat une croissance quasi nulle ; et recourir à une forte immigration (surtout des hommes), avec le même résultat.

Face à tant de dysfonctionnements, qui ne sont pas sans affecter les jeunes femmes, souvent plus diplômées, mais confrontées à la défaillance de tant d’hommes, toute la société est bousculée, fragilisée et menacée. Notre société politique oscille entre deux pôles : les 17 millions de retraités, soit la moitié des Français qui votent — et qui « font » la présidentielle —, raison pour laquelle les candidats les aiment (la génération Belmondo) ; et la jeunesse minoritaire et supposément rebelle des métropoles (la génération Greta), portée aux nues, qui offre de belles images médiatiques. Entre les deux, le monde du travail et les déclassés sont priés de se faire discrets. À notre péril.

Source : Le Figaro
 
Voir aussi
  
 
 
 
 
 

  
 
 
 
 

Le wokisme, hérésie du progressisme et produit du nihilisme fait moralisme

Un succès de librairie américain enfin traduit en français nous raconte les origines et les principes des théories de l’identité du genre et de la race qui gangrènent l’université.

Une militante du groupe « Woke vote » se tient devant une statue d’Abraham Lincoln, en août 2020.

Une actrice qui compte « les noirs dans la salle », des pronoms neutres pour ne pas offenser, un autodafé de bandes dessinées jugées racistes, une pièce de théâtre interdite, une conférence annulée, des portraits d’ancêtres décrochés, des statues déboulonnées, des toilettes transgenres… ? Il ne se passe plus un jour sans que le militantisme woke ne fasse l’actualité.

« Privilège blanc » « masculinité toxique », « grossophobie », « intersectionnalité », « hétéronormativité » : leur jargon prétentieux envahit l’espace public. Leurs postures radicales sont tellement fantaisistes qu’on finit par se demander s’il s’agit d’une menace bien consistante ou bien d’une minorité d’activistes sans réel pouvoir. La lecture de l’essai des deux intellectuels américains Helen Pluckrose et James Lindsay Le Triomphe des impostures intellectuelles vient nous démontrer qu’il faut prendre très au sérieux la théorie qui anime ces nouveaux utopistes. Foisonnant de références (nos auteurs ont pris la peine de lire tous les prophètes de la théorie critique) et écrit dans un style peu littéraire, mais extrêmement clair, ce succès de librairie américain traduit pour la première fois en français est le livre qu’il faut lire pour tout comprendre aux racines et à l’ampleur du mouvement.

Des incohérences en pagaille

Au départ il y a la théorie : le postmodernisme. Pluckrose et Lindsay remontent aux origines de ce mouvement intellectuel né en France dans les années 1960 (et baptisé « French Theory » aux États-Unis) dont les Pères fondateurs furent Michel Foucault, Jacques Derrida et Jean-François Lyotard. Un credo : la déconstruction. Et deux grands principes : le principe postmoderne de connaissance, un scepticisme radical sur la possibilité même d’une connaissance objective (tout est construction sociale, y compris le savoir), et le principe politique postmoderne selon lequel la société est structurée par des systèmes de pouvoir (le patriarcat, le privilège blanc, etc.). Pouvoir partout, vérité nulle part. Ce « complot sans comploteurs », pour reprendre la formule de Boudon parlant de Bourdieu, se mue en délire paranoïaque : nos démocraties, loin d’être des sociétés égalitaires où s’est déployé un progrès unique au monde pour les femmes et les minorités seraient le théâtre d’une oppression aussi puissante que sournoise.

Pluckrose et Lindsay dégagent quatre grandes thématiques postmodernes : le brouillage des frontières, le pouvoir du langage, le relativisme culturel, la fin de l’individu et de l’universel. À l’université, la théorie, au service de la cause de la justice sociale se déploie dans divers départements : postcolonialisme, théorie de la race, théorie queer, études de genre, « fat studies » (« études de corpulence » sic). Le point commun entre ces domaines de recherche ? Indexer la science sur le militantisme, et fonder la recherche sur le nouveau « cogito victimaire » : « Je subis l’oppression, donc je suis… comme sont aussi la domination et l’oppression ».

Le tout enrobé d’un langage délibérément abscons puisqu’il s’agit d’œuvrer dans l’indéfinissable. « Si pendant un certain temps, la ruse du désir est calculable pour les usages de la discipline, bientôt la répétition de la culpabilité (…) des autorités fallacieuses et des classifications peut être considérée comme l’effort désespéré de normaliser formellement la perturbation d’un discours de clivage qui viole les prétentions rationnelles et éclairées de la modalité énonciative » écrit ainsi Judith Butler, la papesse du Queer. Vous n’avez rien compris ? C’est normal : chez les théoriciens de la justice sociale, le manichéisme simplificateur va de pair avec la sophistication intimidante.

Le monde universitaire, ce n’est pas comme Las Vegas — ce qui se passe à l’université ne reste pas cantonné à l’université

Helen Pluckrose et James Lindsay

Contrairement à la psychanalyste Élisabeth Roudinesco, qui dans son livre Soi-même comme un roi, tentait de disculper la French Theory des dérives identitaires de ses héritiers, Lindsay et Pluckrose démontrent la continuité entre les grands discours déconstructeurs des années 1960 et les fruits vénéneux du wokisme. Ils comparent les trois phases du postmodernisme à un arbre : le tronc, c’est la théorie, élaborée dans les années 1960-1970, les branches, c’est le postmodernisme appliqué (postcolonialisme, études queer, théorie critique de la race, études de genre, fat studies), et les feuilles de l’arbre c’est l’activisme proprement dit de justice sociale et ses méthodes de cancel culture. « Le monde académique, ce n’est pas comme Las Vegas — ce qui se passe à l’université ne reste pas cantonné à l’université » remarquent nos auteurs, qui soulignent que l’université, gagnée par la théorie devient « outil d’endoctrinement culturel nuisible à nul autre pareil ».

Nos auteurs ne manquent pas de relever les incohérences de la théorie. Ainsi elle professe un scepticisme absolu sauf en matière d’oppression conçue comme une réalité objective et irréfutable (Robin di Angelo, la papesse de la race, écrit ainsi : « la question n’est pas : “Y-a-t-il eu du racisme ?”, mais plutôt “Comment le racisme s’est manifesté dans cette situation ?” »). Elle brouille les frontières en permanence sauf quand il s’agit de la race. Elle prétend déconstruire tout essentialisme et multiplie les catégories (LGBTIQ). Surtout, point essentiel, on comprend à les lire le paradoxe d’un postmodernisme qui, parti du relativisme le plus radical, arrive au dogmatisme le plus extrême. Parce que justement, s’il n’y a de vérités que subjectives, c’est la dictature des ressentis qui s’installe.

Un échec du libéralisme

« Le nihilisme s’est fait moralisme » remarquait déjà Allan Bloom dans son chef-d’œuvre L’Âme désarmée, où il analysait dès 1987 les dérives à l’œuvre dans les universités américaines. Lindsay et Pluckrose dédouanent eux complètement le libéralisme progressiste des dérives du postmodernisme, et en font même l’antidote. De l’arbre du postmodernisme surgi brutalement dans les années 1960, ils oublient les racines. Pour le conservateur Allan Bloom il y a au contraire une continuité entre le principe d’ouverture radicale prônée par les démocraties libérales, l’idée progressiste de table rase et le terreau sur lequel s’épanouissent les rêves rageurs de déconstruction. Si l’éthique minimale promue par le libéralisme se veut une promesse de paix, elle échoue dans les faits à maintenir une société ensemble. Il n’y a pas de civilisation composée uniquement d’individus. Une société dont les rapports sont organisés uniquement par le marché et le droit, sans traditions ni transmission est vouée à l’implosion. 

Le délire woke n’est qu’une hérésie de la religion du progrès.

Source : Le Figaro


Le triomphe des impostures intellectuelles

Comment les théories sur l’identité la race, le genre gangrènent l’université et nuisent à la société,
par Helen Pluckrose et James Lindsay,
publié aux éditions H&o
paru le 3 septembre 2021,
à Paris,
380 pages,
ISBN-13 : 978-2845473843

Voir aussi

Canulars embarrassants : revues « savantes » dupées par de fausses études adoptant des mots clés à la mode 

Aux racines du wokisme dans les universités. Pourquoi cette crise dans les universités ?

Parodier le vocabulaire des études de genre : un nouveau genre à succès ?

L’égalité est-elle une « valeur » pertinente en soi indépendamment du contexte ?

Les jeunes attirés par la droite, parce qu’ils rejettent le wokisme, le correctivisme politique et le pharisianisme

Extraits de La Grande Déraison ; Race, genre, identité de Douglas Murray

Discrimination — Les lesbiennes gagnent plus que les hétérosexuelles

« On dresse les gays contre les hétéros, les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes »

Race, genre, identité, les ferments de la violence qui vient (le titre et la couverture ont depuis changé)

Le Canada vu par Douglas Murray : un pays avec un singulier manque d’adultes

Un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines en vaut-il encore la peine ?

Un historien canadien, « expert en études du genre », avoue avoir falsifié ses recherches

L’Université Evergreen (États-Unis) et les dérives du progressisme militant 

Le wokisme se répand dans les entreprises, dans son ouvrage (La Grande Déraison) Douglas Murray indique :

L’activisme en faveur de la justice sociale est censé — à juste titre — être le paramètre par défaut de tous les employés des grandes entreprises et la plupart d’entre elles, y compris Google, font passer des tests aux candidats pour éliminer toute personne ayant des penchants idéologiques non conformes. Ceux qui ont passé ces tests confient avoir dû répondre à de multiples questions sur les problèmes liés à la diversité — sexuelle, raciale et culturelle — et témoignent que des réponses « correctes » à ces questions constituent la condition préalable à tout recrutement. La théorie de la « fragilité blanche »

La théorie de la « fragilité blanche » 

Démystifier les mythes diversitaires sur le sexe et l’identité de genre 

Le wokisme : des protestants puritains athées

 

 

 

Fécondité et foi — Révolution démographique et transformation des religions dans le monde

Professeur émérite — en titre et en réalité — d’histoire à l’Université Baylor, Jenkins formule d’emblée une généralisation évidente sur le plan intuitif, mais puissante : « Les sociétés à forte fécondité… ont tendance à être ferventes, dévotes et enthousiastes sur le plan religieux. Inversement, plus le taux de fécondité est bas et la taille de la famille réduite, plus la tendance à se détacher de toute religion organisée ou institutionnelle est grande. » En d’autres termes, plus succincts, « la fécondité et la foi font route ensemble ».

La majeure partie de l’étude de Jenkins développe ensuite les aspects parfois peu évidents de cette thèse. Ainsi « ce qui, dans l’économie religieuse, distingue les gagnants des perdants n’est pas la solidité de leur théologie, mais leurs taux de fécondité » ou « les religions doivent développer de nouvelles méthodes de présentation de leurs opinions » si elles veulent survivre et réussir, ou encore « la sécurité et la stabilité tendent à réduire la fécondité » (et donc la foi).

Concernant les musulmans, Jenkins se concentre sur ce qu’il appelle « l’islam à deux niveaux », et distingue pour ce faire les pays à forte fécondité comme le Yémen et l’Afghanistan, et les pays à faible fécondité comme l’Albanie et l’Iran. Le premier niveau se caractérise par un « ensemble de valeurs » caractérisé par le communautarisme, une mentalité traditionnelle, une conception des sexes moins égalitaire et plus régentée, un sens plus aigu de l’honneur, une plus grande propension à l’agressivité et à l’instabilité ainsi qu’une adhésion inconditionnelle à des valeurs religieuses. Le second niveau se caractérise par une mentalité plus occidentale, une grande stabilité et un sens développé de l’individualisme. Les dirigeants iraniens méprisent tellement cette mentalité de plus en plus occidentale qu’en 2010, Mahmoud Ahmadinejad a décrit le désir de consommer plus plutôt que d’avoir des enfants comme « un acte de génocide ».

Contre toute logique, Jenkins observe que « même l’Arabie saoudite se trouve désormais sous le seuil de remplacement [des générations] », et insiste dans le même temps sur le fait que « aucun critère rationnel ne permet d’affirmer que l’Arabie saoudite… est en voie de sécularisation ». Or, les preuves manifestes d’un tel mouvement ne manquent pas. Pour ne citer qu’une statistique, un sondage WIN/Gallup de 2012 a montré que les « athées convaincus » représentaient 5 % de la population en Arabie saoudite tandis que les personnes « non religieuses » représentaient 19 %.

Jenkins émet plus d’une observation perspicace. En voici trois. La démographie signifie que « les chrétiens du Sud du globe sont à bien des égards plus proches de leurs voisins musulmans que de leurs coreligionnaires européens. » « L’idéologie de l’honneur [est] un indicateur de développement rarement pris en compte par les décideurs politiques. » Le déclin démographique de l’Iran « rend moins probable l’hypothèse d’une chute du régime à la suite d’une agitation populaire ».

À l’instar de ses autres écrits, Jenkins donne ici beaucoup de matière à réflexion et à discussion.

Source

Fertility and faith
par Philip Jenkins
publié aux éditions Baylor University Press,
à Waco (Texas),
en juillet 2020,
270 pages,
ISBN-13 : 978-1481311311,
37,18 $ canadiens

Voir aussi 

Les plus religieux hériteront-ils de la Terre ? 

Pourquoi le patriarcat a de l’avenir (avec un État-providence à bout de souffle)