Extraits d'une allocution de Mme Julie Miville-Dechêne présidente sortante du Conseil du statut de la femme du Québec sur la lutte contre les « stéréotypes » genrés dans les manuels scolaires du Québec. Cette allocution a été prononcée lors d'un colloque à paris en juillet 2014.
Mme Élise Devieilhe, sociologue à l’université de Caen, s'exprimait au même colloque, elle s'intéresse à l'éducation à la sexualité « inclusive »... Pas l'éducation à la sexualité sur le plan médical, bien sûr, cela n'intéresse plus personne. Mme Julie Miville-Dechêne veut-elle s'inspirer de ces travaux français ? La vidéo ci-dessous est assez parlante.
Pour Élise Devieilhe qui s'est penchée sur l'éducation à la sexualité en Suède, l’école doit « neutraliser » la différenciation garçons-filles, « rendre visibles des catégories invisibles », aborder la « question trans » et la « question cis », « montrer que l’homosexualité est tout à fait dans la vie courante », donner des conseils au personnel éducatif sur la manière d’aborder ces « questions » en classe, expliquer « le système du genre », c’est-à-dire « la fabrique des filles et des garçons » ou encore, dernier axe, mais non des moindres, critiquer « la présomption d’hétérosexualité »...
Rappelons que le gouvernement québécois a un plan interministériel pour lutter contre l'hétérosexisme (cette fameuse « critique de la présomption d'hétérosexualité »). Voir Lutte à « l'hétérosexisme » : manque de modestie constitutionnelle du gouvernement québécois.
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Je vais commencer par vous présenter le Conseil du statut de la femme. Cet organisme existe depuis 40 ans. Il a été créé en 1973, à l’époque où le mouvement féministe battait son plein au Québec. Nous avons mis au rancart le pouvoir religieux, avec tout ce qu’il avait d’étouffant pour les femmes québécoises, poussées à faire des enfants en série pour « maintenir la race ».
Les Québécoises ont eu davantage de familles nombreuses, d’une dizaine d’enfants ou plus, pendant plus longtemps que dans le reste du monde industrialisé. Le Conseil du statut de la femme a vu le jour grâce à la pression des féministes, qui souhaitaient la création d’organismes pour faire pression auprès du gouvernement en leur nom.
[Rappel : La fécondité moyenne au Québec depuis 1931, année après année, est de moins de 4 enfants par femme (seule exception 1954 en plein baby-boom avec 4,04 enfants/femme, mais 3,11 en 1934), aujourd'hui ce taux est dramatiquement bas à 1,6 enfant/femme et moins encore pour les francophones (quasiment d'un enfant/femme francophone à Montréal). Personne ne semble se demander si le balancier n'a pas été trop loin dans l'autre sens et si l'école n'insuffle pas des valeurs qui participent à cet effondrement démographique. Notons qu'à l'époque des familles non décomposées, d'avant le Conseil du statut de la femme donc, ce sont les familles, père et mère, qui avaient une responsabilité et charge commune pour les enfants et s'il y avait une pression sociale pour avoir des enfants (pression indéniable et salutaire en situation minoritaire continentale), cette pression s’exerçait sur le père et la mère. Avoir des enfants cela signifiait aussi moins de revenus disponibles pour les hommes québécois de moins en moins agriculteurs, car l'enfant en ville ne peut apporter son écot au revenu familial. À partir de 1931, la population urbaine au Québec est supérieure à la population rurale qui elle-même, bien sûr, n'était pas formée uniquement de fermiers.]
Le Conseil est entièrement financé par l’État. Il emploie 35 salariés et son budget s’élève à 4 millions de dollars. Nous jouons un rôle de conseil auprès de la Ministre de la condition féminine. Par tradition, il jouit d’une grande autonomie. Je peux donc critiquer librement le gouvernement. Au début, le Conseil du statut de la femme était tellement important que les sous-ministres de chaque ministère y siégeaient.
Cette situation explique probablement la rapidité avec laquelle un certain nombre de réformes ont pu être mises en œuvre.
Aujourd’hui, le Conseil est dirigé par 10 femmes représentant différents secteurs de la société : fonction publique, syndicats, universitaires.
Quand le Conseil est né, il est rapidement apparu que l’éducation était l’une des clés du changement, notamment en raison des stéréotypes et des préjugés véhiculés dans les manuels scolaires. La première recherche du Conseil est historique. Elle est intitulée : « Analyse des stéréotypes masculins et féminins dans les manuels scolaires au Québec ».
Cette publication de 1975 a marqué le monde francophone car, pour la première fois, on se livrait à un exercice quantitatif pour analyser les stéréotypes dans nos manuels.
Une chercheuse a décortiqué 225 manuels pour y détecter la représentation des filles et des garçons. Les résultats de cette étude, qui ont été répercutés dans toute la société, ont eu un effet important. Les trois quarts des personnages centraux étaient des hommes et des garçons.
Cet ouvrage comportait également une analyse qualitative sur les qualités associées aux personnages :
- pour les garçons : colère, agressivité et attitudes de courage et de leadership;
- pour les filles : amour, affection, faiblesse, peur et dépendance.
De plus, le rôle parental est assumé de 2 à 8 fois plus souvent par les mères, alors que les hommes sont au travail.
Le Conseil recommandait donc que les manuels scolaires favorisent la remise en question de ces rôles traditionnels et surtout l’adoption de critères pour l’évaluation du sexisme qui soient intégrés au processus régulier d’approbation du matériel scolaire. À cette époque, le Conseil était très écouté. L’étude date de 38 ans, mais elle a eu un impact très important. Elle a permis de révéler le sexisme contenu dans les manuels, comme le montre l’exemple suivant : « Maman a le bébé, a pelé les patates, a pelé la poire, a retiré le rôti du fourneau, lavera le lavabo et la baignoire. Papa a le fusil, le camion, la voiture, réparera la moto, a démoli le pont démodé, a bâti la cabane du chien ».
Je vais vous faire part d’une anecdote qui montre à quel point cette lutte contre les stéréotypes s’est retrouvée au centre de grandes questions politiques. Lise Payette a été la première ministre pour la condition féminine du gouvernement du Québec. A l’époque, nous étions en pleine bataille référendaire. Une partie de la population souhaitait se séparer du reste du Canada. Lors d’un rassemblement public, Lise Payette a pris l’exemple des manuels pour illustrer à quel point la situation devait changer. [Note du carnet: comme si l'indépendance d'un pays devait être lié au féminisme, au féminisme caricatural. Bizarre.] Elle a rappelé que dans l’un des manuels, Guy effectue des tâches viriles, alors qu’Yvette lave la vaisselle et fait le ménage. C’est une femme douce et soumise. La ministre de la condition féminine a eu la maladresse de coller cette étiquette d’Yvette à la femme du leader de l’opposition : « Il est plutôt du côté des Yvette, il en a épousé une ». Même dans une société qui était en train de remettre en cause son héritage socioculturel, une telle formule a été perçue comme une insulte envers toutes les femmes attachées à leur rôle traditionnel. L’affaire a fait la Une. Elle a été instrumentalisée par le camp du « non », qui a reçu 14 000 suffrages de personnes, dont des femmes qui revendiquaient d’être des Yvette. Cette bourde a certainement coûté des voix au camp du « oui ». Elle montre néanmoins à quel point cette lutte des stéréotypes était dans le domaine public au Québec.
Quelques mois plus tard, en 1980, Jacques-Yvan Morin, ministre de l’éducation, annonçait que les choses devaient changer. Il a indiqué que la lutte contre les stéréotypes et le changement des manuels scolaires nécessitaient des analyses préalables. Une telle évolution ne pouvait s’effectuer arbitrairement. Il fallait également étudier les conséquences économiques de ces décisions. Une fois qu’un manuel est frappé d’interdit [!], il faut voir comment le ministère peut le remplacer. Jacques-Yvan Morin a établi avec raison que le changement des manuels scolaires ne pouvait s’effectuer aussi facilement. En parallèle, il faut agir sur les auteurs, les maisons d’édition et les enseignants. Cette lutte a duré au moins une dizaine d’années, sinon davantage, car elle prend forme au fur et à mesure que les révisions des manuels arrivent à terme.
Outre les manuels, il convient d’appliquer ce changement aux guides pour les enseignants. Nous nous sommes rendu compte au même moment qu’il fallait que les enseignants eux aussi se débarrassent de leurs stéréotypes. Des bandes dessinées ont été intégrées aux guides de l’enseignant pour leur expliquer ce qu’était un stéréotype. [Note : les stéréotypes que le Conseil ne voulait pas voir, les mauvais stéréotypes, car on laisse passer ceux qu'on considère valorisants, modernes, etc.]
Le Conseil a pour rôle d’être aux aguets et de dénoncer certains manuels. Le gouvernement assume cependant ses responsabilités, en créant en 1980 le Bureau d’approbation du matériel didactique.
[Une création assez unique au monde. En France, le gouvernement n'approuve plus les manuels scolaires depuis la 2nde Guerre mondiale et le régime de Vichy.]
Je vais vous exposer le processus qui a été mis en place. Quand un manuel est élaboré, il est d’abord vérifié par trois spécialistes des aspects pédagogiques. En parallèle, les aspects socioculturels du matériel (racisme, sexisme, représentation des personnes handicapées) sont évalués. Lors de cette première phase, les fonctionnaires peuvent faire appel à des experts extérieurs.
Ensuite, au sein de ce Bureau d’approbation du matériel didactique, on trouve un Comité sur l’évaluation des ressources didactiques. Il est composé de 13 personnalités nommées par le gouvernement : neuf personnes rattachées au réseau scolaire, un universitaire, deux parents d’élèves et un représentant des maisons d’édition. Le rôle de ce Comité est de contrôler a posteriori le travail des fonctionnaires, sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs bien détaillés, qui ont été approuvés par le ministre.
L’évaluation des rapports égalitaires entre les personnages des deux sexes s’effectue à partir des textes et des illustrations qui comportent des personnages facilement identifiables. 40 % du manuel est évalué de manière systématique et régulière (4 pages sur 10). Il faut pouvoir établir une équivalence quantitative entre les personnages féminins et masculins, à l’exception des manuels d’histoire, où l’objectif est de tendre vers une bonne [?] représentation des femmes dans l’histoire. S’agissant des critères qualitatifs, les personnages des deux sexes doivent être représentés dans l’exercice de travaux rémunérés et diversifiés. Ils doivent assurer des travaux communautaires et des activités bénévoles. Les garçons et les filles doivent avoir des jeux semblables ou équivalents. Les rôles parentaux doivent être distribués indépendamment du sexe. Les thèmes exploités dans les récits doivent valoriser les femmes [Note: et les hommes ?].
Les textes historiques doivent tendre vers une représentation équitable. L’apport des femmes à l’histoire doit être souligné. [Note : Qu'est-ce à dire ? Valoriser des inconnues et passer sous silence des hommes importants ? En effet, le temps en classe est limité, souligner l'un c'est moins parler de l'autre.]
Enfin, les textes littéraires présentés comme objets d’études doivent être sélectionnés dans le but d’assurer une représentation équitable des personnages féminins et masculins. [Note: qu'est-ce à dire dans la pratique ? Pas d’œuvres classiques si elles représentent les femmes comme Molière ou Victor Hugo ? Plutôt des romans mièvres modernes à faible valeur littéraire ? Cela pourrait expliquer l'évacuation des classiques dans de nombreuses classes de français.]
[Note : il est quasiment impossible d'obtenir du BAMD les demandes de rectification qu'ils imposent aux éditeurs. Le BAMD refuse de les communiquer prétextant qu'il s'agirait d'une violation du secret commercial des éditeurs. Notons que depuis 1980 les éditeurs ont appris à connaître le « politburo » qu'est le BAMD et qu'ils s'autocensurent afin d'éviter des corrections coûteuses en temps et en argent ou pire le refus d'un manuel (voir ci-dessous, plus de refus depuis au moins 10 ans). Voir aussi l'opacité qui entoure ce processusde censure, pardon d'approbation : on ne connaît pas les experts sélectionnés, on ne connaît pas les raisons idéologiques des changements demandés dans les manuels ECR, etc.]
En théorie, ce système fonctionne très bien. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Malheureusement, depuis 30 ans, aucune étude exhaustive de terrain n’a été menée. Comme il y a eu énormément de progrès par le passé, il faut croire que personne n’a jugé nécessaire de le faire. Le Conseil du statut de la femme a toutefois décidé [en 2014] qu’il était temps d’effectuer une évaluation. Notre chercheuse Hélène Charron [devenue présidente par intérim en août 2016] amorce donc un projet de recherche qui porte à la fois sur les manuels et les pratiques éducatives aux niveaux primaire et secondaire. [Note: Deux ans plus tard, cette recherche ne semble toujours pas avoir été publiée par le Conseil du statut de la femme...]
Nous avons décidé de cibler les programmes d’histoire et d’éthique et culture religieuse (un programme québécois qui traite à la fois de philosophie [!!] et des religions) car ils sont supposés permettre aux enfants de comprendre la société dans laquelle ils vivent [Note : euh... non de leur présenter une vision partiale et multiculturaliste de celle-ci], et donc les inégalités entre les sexes. Il est temps d’approfondir notre analyse pour aller au-delà de la présence quantitative et voir comment on parle des femmes et des inégalités de sexe dans les manuels. Par exemple, prenons le cas des « filles du roi », qui étaient des jeunes femmes peu fortunées dont le voyage en Nouvelle-France était payé par le roi pour accroître le peuplement du territoire. Elles sont toujours décrites dans les manuels comme des filles qui passent des mains du roi à celles de leur mari en arrivant dans la colonie. On ne parle jamais de leur contribution à la colonisation, au défrichage, à l’agriculture et au commerce, mais seulement de leurs capacités reproductives. [Ah, venir et fonder famille ce n'est pas contribuer à la colonisation ? On dirait surtout qu'il est devenu honteux de rappeler que la maternité est essentielle pour la survie d'une société.]
Je vais vous présenter succinctement les premières pistes de la recherche en cours, dont nous vous ferons parvenir les résultats définitifs. Tout d’abord, les évaluatrices du Bureau d’approbation des manuels n’ont pas de formation spécialisée en matière d’égalité hommes-femmes. Elles ne sont donc pas armées pour identifier le sexisme sous ses formes les moins évidentes. Une évaluatrice qui effectue ce travail depuis 10 ans assure que jamais aucun manuel n’a été refusé. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu de demandes de corrections.
Par ailleurs, si les critères d’analyse quantitatifs sont obligatoires, les critères qualitatifs demeurent indicatifs.
Le travail du Bureau est, en outre, limité par les programmes eux-mêmes. S’ils contiennent des aspects sexistes, ils vont se retrouver dans les manuels. Un ensemble de questions demeure absent des manuels, particulièrement au niveau des cours d’éthique et de culture religieuse. Il n’est jamais question de la violence envers les femmes, ni du caractère patriarcal des religions. J’ai récemment lu un manuel qui évoquait l’avortement. On parlait du fœtus, du bébé, mais pas du contrôle des femmes sur leur corps. [On se demande bien quel manuel Mme Miville-Dechêne, nous en avons lu plusieurs qui évoque bien le droit des femmes à contrôler leur corps en esquivant le fait que le fœtus est un autre corps, une autre vie humaine.] Il est par ailleurs très peu question de l’homosexualité [Pourquoi devrait-il en être plus question ?]
Le Bureau possède une certaine efficacité, mais qui demeure incomplète. Il faut espérer que les études vont nous permettre d’aller un peu plus loin, particulièrement en histoire, où il est plus difficile de débusquer les différences, car il y a moins de modèles féminins. Au Québec, il est surtout fait référence à Jeanne Mance et Marguerite Bourgeoys, qui sont les deux figures féminines dont on parle dans les livres d’histoire. Les avancées des dernières décennies en études de genre et en histoire des femmes nous permettent d’envisager l’enseignement d’une histoire qui présente davantage les femmes comme des actrices à part entière de notre passé.
Il est clair aussi que l’égalité entre les filles et les garçons à l’école dépend non seulement des manuels, mais d’un ensemble de pratiques éducatives entre professeurs et élèves, mais aussi de la socialisation entre enfants. Sur ces questions, la France est actuellement beaucoup plus active que le Québec et c’est pourquoi le CSF entend poursuivre sa réflexion sur ces terrains en s’inspirant notamment des travaux français.
Mme Élise Devieilhe, sociologue à l’université de Caen, s'exprimait au même colloque, elle s'intéresse à l'éducation à la sexualité « inclusive »... Pas l'éducation à la sexualité sur le plan médical, bien sûr, cela n'intéresse plus personne. Mme Julie Miville-Dechêne veut-elle s'inspirer de ces travaux français ? La vidéo ci-dessous est assez parlante.
Pour Élise Devieilhe qui s'est penchée sur l'éducation à la sexualité en Suède, l’école doit « neutraliser » la différenciation garçons-filles, « rendre visibles des catégories invisibles », aborder la « question trans » et la « question cis », « montrer que l’homosexualité est tout à fait dans la vie courante », donner des conseils au personnel éducatif sur la manière d’aborder ces « questions » en classe, expliquer « le système du genre », c’est-à-dire « la fabrique des filles et des garçons » ou encore, dernier axe, mais non des moindres, critiquer « la présomption d’hétérosexualité »...
Rappelons que le gouvernement québécois a un plan interministériel pour lutter contre l'hétérosexisme (cette fameuse « critique de la présomption d'hétérosexualité »). Voir Lutte à « l'hétérosexisme » : manque de modestie constitutionnelle du gouvernement québécois.
Voir aussi
Le paradoxe de l'égalité entre les sexes c. la théorie du genre