Québec s’oppose à la reconnaissance d’une parentalité à trois têtes.
Le gouvernement de M. Legault, fidèle à une conception classique des fondements de la famille, a résolu de porter en appel une décision judiciaire l’enjoignant de reconnaître, en droit, la pluriparentalité. Le ministre de la Justice, M
e Simon Jolin-Barrette (ci-contre), entend défendre ce qu’il qualifie de « modèle québécois », fondé sur le principe de la dualité parentale.
Il n’est pas dans les vues du gouvernement du Québec de reconnaître légalement les liens de filiation unissant un enfant à plus de deux adultes. Un trio amoureux, aussi sincère soit-il dans ses affections, ne saurait à ses yeux fonder une cellule parentale aux yeux de la loi. C’est cette position, qualifiée de principe fondamental, que le gouvernement s’apprête à faire valoir devant la Cour d’appel.
« Le modèle québécois qu’on a choisi, c’est deux parents », proclame M
e Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et Procureur général, dans un entretien accordé à notre Bureau parlementaire. Selon lui, cette norme repose sur la pierre angulaire du droit familial : l’intérêt supérieur de l’enfant.
Or, voilà qu’un jugement récent de la Cour supérieure, émis par le
juge Andres C. Garin, est venu ébranler cette conception. Celui-ci a estimé que le Code civil du Québec, en restreignant la reconnaissance parentale à deux individus, portait atteinte aux droits fondamentaux consacrés par la Charte canadienne.
Cette restriction constituerait une forme de discrimination à l’égard de ceux qui, selon ses termes, vivent dans un « modèle familial particulier ».Pour appuyer sa réflexion, le magistrat a examiné trois affaires singulières : la première concernait un trio amoureux revendiquant le droit d’élever ensemble leur progéniture ; la seconde, un couple de femmes ayant sollicité l’aide d’un ami afin de concevoir un enfant ; la troisième, une femme, convalescente après un traitement de chimiothérapie, ayant fait appel à une mère porteuse et au concours fidèle d’une amie pour donner naissance à ses enfants.Néanmoins, le gouvernement ne souhaite point s’engager sur la voie d’une reconnaissance juridique de telles configurations parentales, fussent-elles motivées par les circonstances de la vie ou la générosité des cœurs. Procréation assistée, gestation pour autrui :
autant de cas particuliers qui ne sauraient, selon l’exécutif, justifier une remise en cause des fondements du droit civil québécois.« On est en désaccord avec la décision du juge Garin », déclare sans détour M
e Jolin-Barrette. Il affirme que la province portera cette cause devant le plus éminent tribunal de son ordre juridictionnel.
La filiation, un pacte à double sensLe ministre rappelle que les parents conservent la liberté de désigner, dans la vie de leur enfant, les personnes qui leur sont chères. Toutefois, ajoute-t-il avec gravité, il revient à l’État de veiller à l’intérêt fondamental de l’enfant et à la cohérence de ses liens juridiques de filiation.
« Si on est dans la logique du jugement, il n’y a pas de limite, ça peut être quatre, cinq, six, sept, huit parents qui auraient des droits reconnus sur les enfants. Donc on se retrouve dans une situation où, en cas de conflit, en cas de séparation, ça pourrait être pas nécessairement dans l’intérêt de l’enfant, [...] qui ne choisit pas cette situation. »Et ce lien de filiation, précise le ministre, n’est point unilatéral. Le droit québécois reconnaît que si les parents sont tenus de subvenir aux besoins matériels et moraux de leurs enfants,
les enfants, à leur tour, doivent assistance à leurs géniteurs.« L’enfant [devenu majeur] a des obligations alimentaires et financières envers ses parents », rappelle M
e Jolin-Barrette.
Dès lors, l’on peut concevoir qu’une multiplication des liens de filiation pourrait engendrer, dans les années futures, des situations complexes où un adulte serait appelé à soutenir un nombre croissant de personnes légalement reconnues comme ses parents.Un choix de civilisationPar sa décision de contester ce jugement, l
e Québec affirme une volonté d’autonomie doctrinale, distincte des orientations adoptées ailleurs au Canada. Provinces et territoires tels que
l’Ontario, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan ou le Yukon ont déjà reconnu la légalité de la pluriparentalité. Le Québec, pour sa part, entend s’en tenir à sa propre voie.« C’est le choix comme société que nous faisons, clame Simon Jolin-Barrette. Au Québec, on a le droit de faire nos propres choix en fonction de notre propre modèle, [...] qui place l’enfant au cœur des décisions. »
Ainsi s’exprime le ministre, soucieux de préserver une conception structurée de la famille, qui, à ses yeux, demeure l’un des piliers de la stabilité sociale.