dimanche 22 avril 2012

MàJ : Revue Égards — La saga Lavallée : l’État, le judiciaire et l’Église contre la famille, l’école et la législature

La revue Égards (n° 35) qui vient de paraître se penche sur le jugement de la Cour suprême dans l'affaire de l'imposition sans exemption possible du cours ECR à tous les élèves du Québec (sauf les autochtones de la C.S. Kativik). Nous reproduisons ci-dessous le début de l'article écrit par le professeur en sociologie Gary Caldwell.

Édifice de la Cour suprême

« Le jugement du 17 février 2012 de la Cour suprême du Canada (CSC) dans le litige entre la famille Lavallée et la Commission scolaire des Chênes (CSD) est extrêmement révélateur du déséquilibre entre l’État et la société civile. Un bref rappel de l’origine du litige. La famille Lavallée – grand-mère, mère et enfants – s’adresse à la cour en 2008 parce que la CSD a refusé d’accorder une exemption à ses enfants, qui leur permettrait de ne pas assister au cours obligatoire d’éthique et culture religieuse (ÉCR). La famille formulait deux griefs : premièrement, la CSD avait été contrainte par un tiers, soit le ministère de l’Éducation (MELS), de ne pas acquiescer à sa demande; deuxièmement, la nature du cours ÉCR était telle que, selon les parents, il entrait en conflit avec leur autorité en matière d’éducation et que, ce faisant, il empiétait sur leur liberté de religion et de conscience.

La famille ne contestait pas la constitutionnalité du cours, mais plutôt son caractère obligatoire. Il faut souligner qu’elle ne demandait pas un « accommodement raisonnable », mais l’application d’une loi de la législature du Québec, soit l’article 222 de la Loi sur l’instruction publique, et la protection de cette loi. Cet article prévoit une exemption de cours pour « éviter un préjudice grave » à un enfant.

La famille a perdu en première instance, la Cour supérieure du Québec (CSQ) à Drummondville devant le juge Dubois, et la Cour d’appel du Québec (CAQ) a refusé de l’entendre, acceptant l’argument de la CSD et du procureur général du Québec (PGQ), selon qui les enfants, étant à ce moment-là à l’école privée (d’intérêt public), n’étaient plus dans l’obligation de suivre le cours et qu’en conséquence, la question n’était plus d’intérêt public. C’est une erreur de fait puisque le caractère obligatoire du cours concerne aussi les écoles privées d’intérêt public, comme le démontre le litige entre le PGQ et le Collège Loyola de Montréal. Les juges de la CSC ont entériné cette erreur de fait; ce qui laisse à penser que leur apprécia­tion des faits a été influencée par des motifs idéologiques. Qu’ils aient accordé si peu de place, dans leur jugement, aux plaidoyers de sept intervenants, tous aussi pertinents et étayés les uns que les autres, surtout si on les compare aux plaidoyers pitoyables de la CSD et du PGQ, peut nous laisser songeurs quant à l’ouverture d’esprit des honorables juges... Avaient-ils déjà un parti-pris multiculturaliste et étatique ? [Une vidéo de ces plaidoyers ainsi que le texte du jugement sont disponibles sur demande à partir du site Web de la CSC. Le numéro de la cause est 33678. Un compte rendu gratuit de l'audience est disponible ici.]

Venons-en au jugement même. En substance, il prétend que le cours ÉCR ne constitue pas, dans l’état actuel des connais­sances sur le programme, connaissances qui se fondent sur l’intention du ministère et les manuels [note du carnet : deux manuels, le juge Dubois ayant refusé une analyse exhaustive de tous les manuels et cahiers d'activités alors disponibles contrairement au juge Dugré dans l'affaire Loyola], une atteinte aux droits constitutionnels des parents – leur droit, comme parents, de transmettre leur religion – bien qu’il pourrait (selon deux des juges) en constituer une, selon la façon dont le programme sera mis en œuvre. D’après le jugement, le fardeau de la preuve, quant à la possible atteinte à leurs droits constitution­nels, repose selon la jurisprudence des deux chartes (cana­dienne et québécoise), sur les épaules des parents. La cour a jugé que les parents n’avaient pas réussi à faire une telle preuve. Appel rejeté avec dépens.

Ainsi, l’État a maintenant l'imprimatur de la CSC pour impo­ser un tel cours, et les parents et leurs enfants n’ont qu’à en subir les conséquences, à moins de faire la preuve, après le fait, d’une atteinte à leur liberté de religion et de conscience. En d’autres mots, il faut que le préjudice ait été subi avant qu’on puisse se prévaloir d’un droit d’exemption. Réfléchis­sons sur les implications de ce jugement.

D’abord, la CSC accorde à l’État le pouvoir d’imposer un cours qui pose que toutes les religions recourent à des mythes qui s’équivalent; en conséquence, il ne peut y avoir une vérité en matière de religion, mais « des vérités », pas plus vraies les unes que les autres. Pour la CSC, le cours ÉCR n’im­pose pas le relativisme religieux et moral, mais répond à une nécessité dans une société multiculturelle et diverse. De plus, selon la Cour suprême, l’État (le gouvernement du Québec) aurait « l’obligation » d’exposer les enfants dès l’âge de six ans à cette réalité sociale. Par le biais d’un cours de culture reli­gieuse obligatoire ! Exposer les jeunes de la fin du secondaire à une diversité culturelle et religieuse est une chose. Mais parler de plusieurs religions dès l’âge de six ans à des enfants qui n’ont pas encore eu le temps d’être initiés à celle de leurs parents en est une autre !

Cette idée que l’État a l’obligation de donner un ensei­gnement qui aura pour effet de relativiser, en matière reli­gieuse et éthique, les croyances héritées de la famille, est une énormité. Dans notre tradition occidentale, les premiers responsables de l’éducation des enfants sont les parents, principe entériné par la législature (Assemblée nationale du Québec); ensuite, selon le principe de séparation de l’État et de l’Église, l’État n’a pas d’affaire à présenter, encore moins à imposer un contenu religieux à l’école. L’école, elle, pour­rait le faire avec le consentement des parents, en autant que soient respectées les valeurs fondamentales de la civilisa­tion occidentale. Il est à noter qu’avant l’instauration du pro­gramme ECR, l’enseignement dit « confessionnel » n’était pas obligatoire. C’est en reconnaissant cet état de fait historique que la législature a prévu une possibilité d’exemption du cours ÉCR.

À ce sujet, la loi prévoit que ce sont les écoles ou les com­missions scolaires (en l’occurrence la CSD), et non l’État, qui doivent trancher sur une demande d’exemption. Devant les tribunaux, la famille Lavallée avait fait valoir (au procès de Drummondville) que l’État avait abusé de son pouvoir en contraignant la CSD à refuser d’accorder une exemption. Cette allégation d’une contrainte par un tiers, en l’occurence l’État en la personne de la ministre, n’a pas été retenue par le juge Dubois, ni par les juges de la CSC. C’est très étonnant, et là encore révélateur d’une disposition idéologique de l’État. Pour revenir aux faits : le tribunal de Drummondville a convo­qué quatre journalistes invitées à une « séance d’information » donnée par la ministre. Trois d’entre elles (la dernière a refusé de témoigner parce qu’elle était en grève) ont maintenu que la ministre avait affirmé qu’« il n’y aurait pas d’exemp­tion », paroles amplement rapportées dans les médias. C’est méconnaître la société québécoise de penser qu’après une pareille intervention, une directive explicite du ministère de l’Éducation s’avérait nécessaire : le Québec est une société suffisamment homogène pour que, lorsque la ministre se prononce devant les médias, les instances concernées n’aient pas besoin qu’on leur fasse un dessin. Ce constat se trouve confirmé par le fait que, sur plus de deux mille demandes soumises aux commissions scolaires à travers le Québec, pas une seule n’a été acceptée.

[Note du carnet. Ajoutons ici quelques informations.

Les lettres de refus de toutes les commissions scolaires au Québec étaient identiques, certaines portant même une date erronée correspondant à la date de la lettre originale de refus envoyée par un organisme de coordination des directeurs généraux de commission scolaire du Québec (l'ADIGECS). Lettre non sollicitée envoyée à la Commission scolaire des Chênes, parmi d'autres commissions scolaires donc, quelques jours après la prise de position publique de la ministre de l'Éducation contre toute exemption (car une exemption pourrait « ouvrir une brêche » dans les termes de la journaliste du Devoir interrogée par le juge Dubois). C'est cette lettre que les parents Lavallée recevront pour leur signifier le refus d'exemption.

Plusieurs demandes d'accès à l'information ont été faites auprès des commissions scolaires, du ministère de l'Éducation et de l'ADIGECS pour connaître la genèse de ces lettres de refus et étayer la thèse de la « dictée d'un tiers ». L'ADIGECS est commodément une association privée non régie par la Loi sur l'accès à l'information... Elle refuse donc de répondre. C'est pourtant cette association privée qui rédige et envoie des lettres de refus non sollicitée comme l'ont admis les responsables de la Commission scolaire des Chênes dans le cadre du procès de Drummondville. Quant à plusieurs autres commissions scolaires, elles ont d'abord omis de remettre toute correspondance (y compris donc cette lettre obtenue grâce au procès de Drummondville) quand on leur a demandé leur correspondance au sujet de l'établissement de la politique d'exemption ou plutôt de refus systématique d'exemption au cours ECR. Après une seconde demande mentionnant le fait que l'ADIGECS leur avait bien envoyé une lettre à ce sujet, elles ont déclaré qu'il fallait se renseigner auprès des organismes qui avaient envoyé cette correspondance. L'ADIGECS refusant de répondre, il a également été demandé au MELS toute correspondance envoyée aux commissions scolaires ou organismes associatifs des commissions scolaires au sujet des demandes d'exemption. Le MELS a d'abord refusé, puis a envoyé une longue documentation où n'apparaît pas de lettres spécifiques sur les demandes d'exemption alors que, dans leur correspondance, certaines commissions scolaires demandent des instructions au MELS à ce sujet et à la fronde naissante et que le MELS répond qu'il suit ce sujet de près car il est important, mais semble d'après ses documents remis n'avoir envoyé aucune lettre à ce sujet !

Pour refus d'information, il a été fait appel devant la Commission d'accès à l'information. Une première rencontre devant le directeur de la Commission devait avoir lieu il y a quelques mois, mais le MELS a immédiatement demandé de la reporter ce qui a été accepté sans consultation de la partie demanderesse. Aucune date n'est encore fixée pour une autre comparution. Affaire à suivre donc...]
Ces « faits » indirects et d’autres circonstances n’ont pas amené la CSC à accepter l’allégation qu’un tiers, l’État, avait empiété sur ce qui, selon la loi, rele­vait de la compétence de l’école ou de la commission sco­laire.

On voit ici le préjugé idéologique de la CSC à l’effet que, comme elle le dit explicitement dans son jugement, l’État a « l’obligation » d’exposer les enfants à plusieurs religions. Voici, en toutes lettres, la prise de position idéologique mul­ticulturaliste et étatiste de la CSC :

De plus, l’exposition précoce des enfants à des réalités autres que celles qu’ils vivent dans leur environnement familial immédiat constitue un fait de la vie en société. Suggérer que le fait même d’exposer des enfants à différents faits religieux porte atteinte à la liberté de religion de ceux-ci ou de leurs parents revient à rejeter la réalité multiculturelle de la société canadienne et méconnaître les obligations de l’État québécois en matière d’éducation publique.
Par le simple fait que les enfants appartiennent à diverses cultures et à différentes religions, ils sont familiarisés avec ces différences. Faut-il comprendre que l’État aurait le devoir d’enseigner ces différences religieuses dans un cours obliga­toire ? Et cela dès l’âge de six ans !

[...]
»


Lire la suite dans le n°35 de la Revue Égards.




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