lundi 4 octobre 2021

Les « guerriers de la justice sociale » sont nos nouveaux gardes rouges

Une révolution culturelle est en marche. Elle ne vient pas de Chine, mais des États-Unis. Et elle est tout aussi dévastatrice. 

Les « guerriers de la justice sociale » sont nos nouveaux gardes rouges. L’Oréal proscrit les termes « blanc » et « blanchissement » de ses catalogues, Évian présente ses excuses pour avoir fait sa promotion en plein ramadan, Lego annule ses publicités représentant des policiers en solidarité avec Black Lives Matter… Qui peut encore prétendre que le woke demeure un folklore pour campus nord-américains ? 

Une révolution culturelle est en marche. Elle est née dans les départements de women's studies, black studies, queer studies des prestigieuses universités américaines. Elle a donné lieu à une « politique des identités » qui impose une radicalisation néfaste au Parti démocrate. Elle a pris la place du vieux fond protestant en déclin. En polarisant la société selon des clivages ethniques, elle menace les États-Unis d’une guerre civile. Avons-nous vraiment envie d’importer dans notre République laïque cette manière de dresser les Noirs contre les Blancs, les femmes contre les hommes, les homosexuels contre les hétéros… ? 

En baby-boomer défendant les idéaux universalistes et émancipateurs des sixties, Brice Couturier interpelle la génération des millénariaux : votre hyper-susceptibilité, votre narcissisme victimaire vous poussent à censurer et à interdire. Notre génération a voulu élargir le champ des possibles. Vous êtes en train de le rétrécir. À notre détriment à tous…

Bruce Couturier qui est un « libéral » (progressiste, libertaire, soixante-huitard) de la vieille école répond aux questions (parfois pénibles, mais si modernes) de France Culture :

Écoutez l’émission.


Brice Couturier : « La gauche woke est manichéenne, intolérante et avide de censure »

En baby-boomer assumé, défendant les idéaux universalistes et émancipateurs de sa jeunesse, Brice Couturier enquête dans OK millennials! sur « la génération woke ». Entretien publié dans le Figaro Magazine.

LE FIGARO. — Votre essai se présente comme l’enquête d’un baby-boomer sur les mythes de la génération « woke ». Mais pour commencer, qu’est-ce que la « génération woke » ?

BRICE COUTURIER. — En gros, les personnes qui ont aujourd’hui entre 20 et 40 ans. Mon livre porte essentiellement sur l’Amérique du Nord et le monde anglo-saxon parce que c’est aux États-Unis qu’il faut situer le départ de feu de cette espèce d’incendie intellectuel. Mais on connaît la chanson : que le feu parte des universités d’Evergreen ou de Berkeley, plutôt que de Pékin, de Cuba, de Moscou… ou même de Berlin, comme autrefois, c’est toujours le même bois mort qui, chez nous, s’enflamme. Ce ne sont, dira-t-on, que des modes intellectuelles. Mais elles façonnent l’esprit d’une génération, tout au long de son histoire. Voyez la mienne, avec le mythe de Mai 68…

Selon vous, une « révolution culturelle » est en marche. D’où vient-elle ? Comment se manifeste-t-elle ?

Oui, c’est une révolution culturelle. De la même ampleur que celle qui, dans les années 1960, a coûté la vie à des millions de Chinois — et qui a eu d’énormes répercussions, en Occident, sur ma propre génération… Mon livre est une enquête intellectuelle sur les manifestations actuelles du mouvement « woke » et sur les étapes qui ont mené à un renversement cul par-dessus tête de tout ce qui faisait la culture de l’Occident démocratique et libéral. Cela a commencé par une « déconstruction » de toutes les idées admises et des institutions établies. On les a décrites comme des « constructions sociales », arbitraires et exclusivement destinées à conforter le pouvoir des hommes blancs, bourgeois et hétérosexuels.

Après avoir ainsi « déconstruit » les fondements mêmes de notre culture, est venu le temps d’une reconstruction sur des bases identitaires : on étudie (et on invente) des cultures féminine, noire, homosexuelle, etc. Et chacun est renvoyé à son identité particulière, enfermé dans sa case et mis au service d’un combat spécifique. L’idée d’universel est dénoncée comme un mythe. La rationalité, comme une manipulation au service du colonialisme. L’objectivité, comme une illusion raciste. Dans un troisième temps, font leur apparition les « guerriers de la justice sociale ». Revanchards, manichéens, intolérants, avides d’interdits et de censure, ils sont devenus la terreur des campus, les moines-soldats d’une religion nouvelle.

N’exagérez-vous pas la force de ce mouvement qui demeure ultraminoritaire en France ? Ne devrait-on pas l’ignorer ou le traiter sous l’angle de la dérision ?

Non, parce que c’est exactement ce qui s’est passé aux États-Unis. À l’époque du « politiquement correct », dans les années 1980-1990, tout le monde ricanait : remplacer chairman (président) par chairperson et sourd par « différemment entendant », de telles absurdités ne sortiront jamais des facs, se disaient les gens. Ils avaient tort : les anciens étudiants sont devenus professeurs, éditorialistes, hauts fonctionnaires, cadres supérieurs du privé…

Et ils ont progressivement imposé à une majorité très réticente des mots nouveaux (le genre, l’équité raciale, l’adjectif queer, l’expression « masculinité toxique », etc.), derrière lesquels il y a toute une idéologie. Et là-bas, elle est en train d’être imposée, dans les grandes sociétés, à coups de séminaires obligatoires sur la « diversité » et l’« inclusion ». Pour les membres des classes dirigeantes et fortunées, cela permet de se positionner à gauche à peu de frais, tout en conservant l’avantage de salaires très élevés… C’est pourquoi les classes populaires se tournent, pour se venger, vers des leaders populistes.

Les professeurs, dans de nombreuses universités, sont soumis à des rituels humiliants, comme celui consistant à confesser leurs « privilèges » de Blancs au début de l’année universitaire. Ils sont surveillés et parfois mis en cause par toute une bureaucratie « diversitaire » dont les procédures ne respectent aucune des règles exigées par la justice en démocratie. Il règne à présent, aux États-Unis, une atmosphère de chasse aux sorcières digne de l’époque de La Lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne. Je donne des exemples. Des tas de gens perdent leur job et sont mis au ban de la société pour une blague mal comprise lors d’une soirée arrosée, ou pour un vieux twitt, retrouvé par des chasseurs de sorcières professionnels. Et surtout pour « pensée incorrecte », refus de se conformer aux rituels idéologiques obligatoires. C’est orwellien.

On voudrait nous faire honte de voyager en avion ou de manger de la viande. Et en raison de leur prétendue « toxicité », les hommes devraient être « déconstruits » !

Brice Couturier

Le titre OK millennials! sonne comme une réponse à l’expression « OK boomer ». Vous êtes-vous senti directement visé ?

Oui, dans un sens précis : je me réclame de certains des idéaux des sixties, comme l’émancipation individuelle, l’universalisme, la laïcité, la tolérance, l’ouverture d’esprit… Et voilà que nous arrive une génération d’idéologues qui entend, au nom du « respect », restreindre le champ des possibles, limiter, censurer. Ma génération a réclamé des cours de sexologie. Eux, c’est la collapsologie.

Signe des temps. Au nom d’une vision d’apocalypse, promue par sainte Greta Thunberg, on voudrait nous faire honte de voyager en avion ou de manger de la viande. Et en raison de la prétendue « toxicité » de la masculinité, les hommes devraient être « déconstruits » ! Sur les réseaux sociaux, les wokes croient me clouer le bec avec leur mantra « OK Boomer ». Il signifie : tu es vieux, dépassé, tu ne mérites pas qu’on t’oppose des arguments. Je rétorque : « OK millennials! » Et j’ai voulu montrer au public français, peu conscient en général de la gravité de ce qui nous menace, de quoi il retourne au juste. Afin que les gens puissent identifier l’origine des discours dont on commence à les abreuver dans certains médias.

Ne craignez-vous pas de passer pour un vieux grincheux avec ce livre ?

Tant pis ! Je ne supporte plus de voir les idéaux de ma jeunesse, comme l’antiracisme, le féminisme, altérés et dénaturés. Nous étions colour-blind (indifférents aux couleurs de peau), comme le prêchait Martin Luther King. Eux ne voient que ça, la couleur, le genre, l’orientation sexuelle. Ils font de leurs « identités » des politiques. Chacune défendant ses intérêts au détriment des autres et donc de la société tout entière. Nous étions égalitaristes. Eux classent les gens selon tout un système hiérarchique, leur fameuse « intersectionnalité » : au sommet, il y a les transsexuels — au détriment des féministes historiques —, puis viennent les femmes noires homosexuelles… et, tout en bas, les hommes blancs hétérosexuels. Nous nous battions pour l’égalité des droits ; eux pour des droits spécifiques aux communautés.

Des marxistes aux conservateurs en passant par les libéraux dans mon genre, nous avons tous en commun une culture qui devrait nous permettre de résister à l’esprit woke

Brice Couturier

Plus sérieusement, n’êtes-vous pas devenu conservateur avec le temps ?

Dans le combat anti-woke, tel qu’il est mené actuellement dans les pays anglo-saxons, il y a, certes, des conservateurs, comme la jeune essayiste noire Candace Owens, l’essayiste Christopher Caldwell, Heather Mac Donald ou le Britannique Douglas Murray. Mais ils sont épaulés par de grandes figures du centre gauche libéral, telles que le romancier Bret Easton Ellis, l’universitaire Mark Lilla, la journaliste Bari Weiss — démissionnaire du New York Times —, Helen Pluckrose ou Todd Gitlin, qui fut l’un des leaders du mouvement étudiant américain des sixties. Ils se battent ensemble pour la rationalité, les Lumières, le bon sens et le respect des faits.

Des marxistes aux conservateurs en passant par les libéraux dans mon genre, nous avons tous en commun une culture — héritée des Lumières — qui devrait nous permettre de résister à l’esprit woke. Or, il est en train de débarquer sur nos rivages. Voyez, du côté Vert, Sandrine Rousseau, Alice Coffin et consorts… Et Sciences Po baigne déjà dans ce jus.

D’une certaine manière, la génération woke n’est-elle pas l’héritière et le fruit de la génération du baby-boom et de ses dérives ? La gauche soixante-huitarde a été la première à parler de déconstruction, puis la gauche morale, à travers SOS Racisme, est la première à rompre avec notre modèle républicain universaliste en prônant le « droit à la différence »… Bref, les millénaux ne sont-ils pas tout simplement les enfants rebelles des baby-boomers ?

Vous avez raison : au sein du mouvement antiraciste, dans les années 1980, il y avait à la fois ceux qui revendiquaient le droit à la différence, mais aussi ceux qui réclamaient le droit à l’indifférence. Ces derniers brandissaient les idéaux républicains, ils exigeaient leur juste place dans la société et ne voulaient pas renverser la société au nom de leur « différence ». Il en va de même avec le mariage homosexuel : pour les uns, il s’agit de normaliser la situation des couples stables du même sexe, pour d’autres, de miner de l’intérieur l’institution du mariage.

Je cite, dans mon livre, des propos ignobles tenus par certains militants gay à l’encontre de Pete Buttigieg, candidat aux primaires démocrates en 2020. Marié avec un instituteur, menant une vie parfaitement respectable, il a été, pour cette raison, ridiculisé en tant que pseudo-gay. Pas assez queer.

La grande différence entre la génération woke et les précédentes, est-ce finalement son côté victimaire ?

J’ai ouvert mon livre sur les traits psychosociologiques qu’on peut repérer dans cette génération. Elle a été trop couvée par ses parents. Beaucoup se considèrent comme des petits flocons de neige : ils ressentent la moindre contrariété comme une épouvantable blessure narcissique. Ils confondent la douleur physique et les « blessures symboliques ». Ils exigent qu’on les protège des idées qui leur déplaisent. L’essentiel de leurs relations sociales passant par le numérique, le face-à-face interpersonnel leur est souvent pénible. En outre, je le montre, chiffres à l’appui, c’est une génération qui est tentée politiquement par l’autoritarisme.

La gauche woke se présente comme « progressiste » ; y voyez-vous au contraire une résurgence du puritanisme ?

Mais ce n’est nullement contradictoire. Et c’est sans doute le plus troublant. La jeunesse est théoriquement l’âge où l’on fait des expériences, où l’on teste ses limites. Cette génération, au contraire, exige des protections, des bornes strictes à ce qu’on peut dire et faire. Elle prohibe l’érotisme et tient le désir pour un péché. Aux États-Unis, les relations hommes-femmes tournent à la guerre des sexes. C’est d’une tristesse !

Selon vous, cette idéologie peut nous conduire à la guerre civile. Pourquoi ?

La démocratie est fondée sur le dialogue raisonnable entre intérêts divergents et idées différentes. Elle exige un sens du compromis. Elle postule l’existence d’un intérêt collectif supérieur aux intérêts particuliers. Mais les identités, elles, ne sont pas négociables. Et l’idée que les wokes se font de la société est celle d’un jeu à somme nulle, où ce qui est gagné par les uns l’est nécessairement au détriment des autres. À l’horizon, ce qui menace, c’est une espèce de guerre raciale. Qui veut de cela dans notre pays ?


OK, millenials !
de Brice Couturier,
à paraître le 14 décembre 2020,
à L’Observatoire,
ISBN-13 : 979-1032918333

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