mardi 15 juin 2021

L'emploi du mot « féminicide » par les médias n’a rien de neutre

Un « féminicide » pour la société gouvernementale alors que l’enquête n’a pas encore abouti  

Alors que le mot « féminicide », entré dans le dictionnaire, est de plus en plus utilisé par les politiques et les médias, la philosophe Bérénice Levet explique pourquoi elle se refuse à employer ce terme issu de la vulgate féministe pour désigner le meurtre d’une femme par son conjoint. Bérénice Levet est l’auteur du « Musée imaginaire d’Hannah Arendt » (Stock, 2011), de « La Théorie du genre ou le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016), du « Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et de « Libérons-nous du féminisme ! » (Éditions de l’Observatoire, 2018).


Les choses se sont incontestablement précipitées ces derniers temps. Il est désormais entendu qu’un homme qui tue son épouse, son ex-épouse, sa conjointe ou son ex-conjointe commet un « féminicide ». Et, signe des temps, sept ans après le dictionnaire Le Robert, l’édition 2022 du Larousse intronise ce vocable forgé dans l’arsenal du militantisme féministe. Le mot n’a en effet rien de neutre. Il est imprégné d’idéologie et charrie avec lui une interprétation de la réalité. L’adopter, c’est ratifier un certain récit, une certaine intrigue.

Je n’ignore rien de l’atmosphère dans laquelle nous baignons. Mettre en question le mot, ce serait minimiser la chose. Le sophisme est évident, et grossier. Que le meurtre d’une femme soit un mal absolu ne souffre pas de discussion. 

Quasiment élevée au rang de langue officielle, la langue des féministes a acquis une autorité et une légitimité exorbitantes. Bien parler, bien penser, ce serait dire et penser la condition des femmes en puisant dans les catégories importées pour l’essentiel du féminisme américain. Nous ne devons pas nous laisser intimider. Ce n’est pas seulement la liberté d’expression qui est menacée, mais d’abord, et surtout peut-être, de manière plus préoccupante encore, ce qui la sous-tend, et qui est au fondement de notre civilisation : la passion de comprendre, la passion d’interroger, la passion de la vérité et de la réalité. Lorsque les hommes des Lumières, mais déjà Milton, et bientôt Stuart Mill, réclament la libre circulation des pensées et des opinions, ce n’est pas par obsession narcissique, pour permettre à chacun de s’exprimer, mais pour accroître nos chances de gagner en intelligibilité, mieux nous acheminer vers le vrai. [Afin de pouvoir être contredits si nous faisons fausse route, par exemple.]

Nos pensées sont captives, captives de la rhétorique victimaire, captives de la « cause des femmes », captives de la tyrannie de l’émotion. Captives et ennuyées. Accordons-nous, comme dans l’allégorie de la caverne, le droit de briser nos chaînes, accordons-nous la liberté d’inquiéter les évidences. C’est la réalité qui est en jeu, et elle seule doit être notre maître. Nous sommes ses obligés. Et puis, ce n’est rien de moins que l’essence de l’Occident, de l’Europe, de la France singulièrement, nous sommes cette civilisation qui s’est donné pour ancêtres Socrate, Eschyle, Sophocle, Périclès, ce moment foisonnant où tout devient question, où l’on proclame qu’il n’est pas de cartes routières de la pensée ni de l’art, où partout on se risque, se hasarde.

Ce terme, censé rendre hommage aux femmes « tombées sous les coups » de leur compagnon ou ex-compagnon, produit l’effet exactement inverse : la victime se trouve dépossédée de son identité personnelle

Bérénice Levet

Un mot se répand. La caverne bourdonne de ses échos assourdissants. N’est-ce pas alors la moindre des choses que de voir la pensée, l’âme, si l’on osait ce mot désuet, se mettre en mouvement ? N’est-ce pas la moindre des choses que de s’étonner, de se demander : que dit-on lorsque l’on parle de « féminicide » ? « Féminicide, lit-on dans Le Larousse : meurtre d’une femme ou d’une jeune fille en raison de son appartenance au sexe féminin. » Le néologisme a en effet été conçu dans les années 1970 pour signifier que les femmes sont tuées parce que femmes, en tant que femmes. La lecture de la définition ne rend-elle pas à elle seule éclatante la faille qui est au cœur de ce mot, le vice de forme ? L’homme qui tue sa compagne ou son ex-compagne ne tue pas une femme, il tue sa femme, la femme avec laquelle il vit ou avec laquelle il a vécu, avec laquelle il a peut-être eu des enfants. Féminicide il y aurait si quelque homme ou quelques hommes réunis s’emparaient d’un groupe de jeunes filles ou de femmes et les vouaient à la mort, les exterminaient pour la seule raison d’être nées femmes. Ce serait la seule acception rigoureuse.

Premier vice, première faille. Ce mot fige chacun des deux sexes dans une essence, d’un côté, l’homme, sempiternel persécuteur, de l’autre, la femme, éternelle victime, perpétuelle proie de cet inaltérable prédateur. Reconduisant toute histoire particulière à une intrigue extrêmement sommaire, mettant aux prises un bourreau et sa victime, le bien et le mal, la victime perd toute singularité, toute unicité, tout visage. Elle n’est plus une femme avec sa personnalité, elle n’est plus un être de chair et de sang, elle devient la représentante d’une espèce, une généralité. D’être unique, elle déchoit au rang de simple représentante d’une espèce. Ce terme, censé rendre hommage aux femmes « tombées sous les coups » de leur compagnon ou ex-compagnon, produit l’effet exactement inverse : la victime se trouve dépossédée de son identité personnelle. Il est des hommages plus généreux, on me l’accordera.

Il ne reste rien de l’unicité d’une vie. Rien de la singularité d’une histoire, de leur histoire exclusive et prise dans un faisceau de complexités. Que l’ambiguïté, l’ambivalence de certaines histoires individuelles vienne à être rappelée, nos activistes ne se laissent pas ébranler, ils ont à leur disposition, toute dégoupillée, une grenade qu’il tienne pour fatale : l’« emprise ». Cela ne retire absolument rien au caractère abominable de ces meurtres que d’admettre qu’ils s’inscrivent dans des histoires fatalement, et en l’occurrence funestement, mêlées, emmêlées. Mais précisément, la complexité, c’est ce avec quoi les militants, quels qu’ils soient au demeurant, sont fâchés, et contre quoi même ils sont en rébellion.

« Féminicide », le mot inscrit le meurtre des femmes dans une grande intrigue, celle de la société occidentale regardée comme vaste entreprise de fabrication de victimes

Bérénice Levet

Si le mot est défendu avec une telle ardeur et une telle obstination par les féministes, c’est qu’il présente, à leurs yeux, au moins, deux vertus : 
  • restreindre le terme d’« homicide » aux victimes de sexe masculin et imposer un terme équivalent pour les femmes ; 
  • élever le meurtre d’une femme, d’acte individuel au rang de « fait de société » et donc incriminer la structure même de nos civilisations.

Pourquoi un homme tue-t-il sa compagne ou son ex-compagne ? Parce que, nous répondent les militants docilement relayés par nos politiques et la majorité des journalistes, nos sociétés sont et demeurent, et demeureront aussi longtemps que nous n’aurons pas donné partout la préséance aux femmes, « patriarcales ». Cette clef ouvrant toutes les serrures. L’idéologie est une assurance prise contre le réel. Elle vous met, pour paraphraser Tartuffe, « en état de tout voir sans rien croire ».

« Féminicide », le mot inscrit le meurtre des femmes dans une grande intrigue, celle de la société occidentale regardée comme vaste entreprise de fabrication de victimes — les femmes, naturellement, mais aussi les « minorités » et la « diversité ». La civilisation occidentale étant l’œuvre d’un homme blanc hétérosexuel chrétien ou juif n’ayant d’autre passion que la domination de tout ce qui n’est pas lui (donc des femmes, des Noirs, des musulmans, des animaux, des végétaux, ce qui fonde l’« intersectionnalité de la lutte », point de convergence des féministes, indigénistes, décoloniaux, écologistes, végans). Tous les continents sont concernés par les violences et les meurtres conjugaux, m’objectera-t-on. Sans doute, mais on aura observé que, lorsque le coupable n’est pas « blanc », le sort de la victime intéresse beaucoup moins nos féministes et les laisse pour ainsi dire muettes.

Autre point : le Larousse précise « Crime sexiste : le féminicide n’est pas reconnu en tant que tel par le Code pénal français. » Le droit est en effet, au nom de l’universalité et de l’individualisation de la peine, l’ultime citadelle. Poursuivre un homme pour « féminicide », ce serait réduire l’accusé à un symbole, et le procès à un prétexte. Or la fonction de l’institution judiciaire n’est pas de juger un système, mais une personne. « Quel que soit le procès, rappelait Hannah Arendt, les feux de la rampe sont concentrés sur la personne de l’accusé, homme de chair et de sang, avec son histoire individuelle, avec son ensemble toujours unique de qualités, de particularités, de schémas de comportement et de circonstances. Tous les éléments qui vont au-delà (…) ne concernent le procès que dans la mesure où ils constituent le contexte dans lequel l’accusé a agi. » Le hisser au rang de qualification pénale reviendrait à oublier, à nier l’essence même la justice.

L’effet toxique, recherché, est de criminaliser les hommes dans leur ensemble et aussi de jeter la suspicion sur l’hétérosexualité

Bérénice Levet

Certains, dont Marlène Schiappa, militent cependant en ce sens. La reconnaissance par le code pénal est leur ultime combat. Les féministes mènent l’assaut et, au train où vont les choses, au regard de l’empire qu’ont acquis la « diversité », les « minorités », les « victimes », on conçoit mal que l’institution judiciaire résiste encore longtemps. Tout porte à croire, et à craindre, que le drapeau de la victoire ne tardera plus à être planté.

On l’aura compris, employer le mot de féminicide n’a rien de neutre. Que le mot « féminicide » ait sa place dans le vocabulaire des activistes, c’est leur affaire. « Il va vite, cela plaît dans la mêlée », ainsi que le disait Victor Hugo des mots dont tout militantisme se saisit et sous la bannière desquels il mène ses combats. Que la majorité des journalistes s’y convertissent est autrement contestable. Cela témoigne du changement de définition du métier même de journaliste pour beaucoup : de gardiens de la si fragile réalité factuelle, ceux-ci se conçoivent volontiers désormais comme des justiciers, chargés de mission du « changement des mentalités » et sont disposés à y sacrifier le réel.

Nous avons là un exemple remarquable de la manière dont la novlangue féministe s’infiltre dans le langage ordinaire, avec la complicité ardente et zélée des politiques et de la plupart des médias. Et l’effet toxique, recherché par ses militants, est de criminaliser les hommes dans leur ensemble et aussi de jeter la suspicion sur l’hétérosexualité : la rencontre d’un homme et d’une femme, l’homme étant ce qu’il est, dans la logique néoféministe, est toujours susceptible de tourner à la tragédie.

Le mot est donc une arme dirigée d’abord contre les hommes, contre notre civilisation. Le banaliser engage.

Vers l’humaine condition compliquée avec des idées simples, tel est, pour paraphraser un général de Gaulle aux accents raciniens, le chemin sur lequel nous entraîne fatalement le mot de féminicide. Nous devons avec la plus vive énergie nous y refuser.


Rappelons que des hommes sont tués par leurs compagnes, les frères, oncles ou pères de leurs compagnes ou par des tueurs à gages engagés par leur femme.

Selon les Centers for Disease Control and Prevention, le mariticide (le meurtre du mari) représentait 30 % du total des meurtres de conjoints aux États-Unis. Mais ces données ne comprennent pas les meurtres par procuration effectués au nom de l’épouse. [1] Les données du FBI du milieu des années 1970 au milieu des années 1980 ont révélé que pour 100 maris qui ont tué leur femme aux États-Unis, environ 75 femmes ont tué leur mari, ce qui indique un rapport mariticide/uxoricide de 3:4. [2] L'uxoricide (de uxor, épouse, en latin) est le meurtre d'une femme mariée ou en couple. C'est près de deux fois plus que dans les autres pays occidentaux.

Femme parle à un policier infiltré qu’elle pense être un tueur à gages, elle veut qu’il tue son mari

Mari implore la clémence d’un juge avant que sa femme ne soit condamnée pour avoir tenté d’engager un tueur à gages pour le tuer

[1] « Understanding Intimate Partner Violence » (PDF). cdc.gov. Archive de l’original (PDF) du 6 mars 2016.
[2] Who kills whom in spouse killings par Wilson & Daley: Wiley. doi : 10.1111/j.1745-9125.1992.tb01102.x

Gestion de la pandémie : les élèves désertent les classes des cégeps


Avec la gestion de la pandémie retenue, le nombre d’étudiants de niveau collégial [17-19 ans, fin du lycée] qui ont abandonné leurs cours en se prévalant des assouplissements du gouvernement a explosé, compliquant ainsi la tâche des cégeps en vue de la rentrée d’automne.

Selon des chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur, de plus en plus d’étudiants ont recours à une mesure qui permet d’abandonner un ou des cours sans que la mention «abandon» soit inscrite à leur dossier. Dans le réseau collégial, on parle d’«incomplets permanents», un phénomène qui n’a cessé de bondir depuis le trimestre d’automne 2019 grâce à des assouplissements consentis pour abandonner ses cours en raison de la gestion de la pandémie.

Ainsi, le nombre de cours abandonnés de cette façon est passé de 17 302 à l’automne 2019 dans l’ensemble du réseau collégial public de la province à 86 147 cours à l’automne 2020, un nombre cinq fois plus élevé.

La situation est encore pire pour le trimestre d’hiver 2020 puisque le nombre d’incomplets permanents a atteint 121 916 cours, comparativement à 14 238 dans l’ensemble du réseau à l’hiver 2018.

Rentrée problématique ? Manque d'espace ?

Certains craignent que le laxisme du gouvernement en raison de la COVID donne des maux de tête aux gestionnaires du réseau collégial lors de la rentrée d’automne.

En l’occurrence, les étudiants qui poursuivront leurs études devront reprendre les cours abandonnés sous la mention «incomplet». Les finissants du secondaire s’ajouteront pour leur part à ceux dont le séjour au collégial s’étire. Le risque de congestion dans les classes semble inévitable.

Au cégep de Sherbrooke, la direction des études dit espérer que les nombreuses inscriptions aux cours d’été permettront de réduire la pression sur la rentrée d’automne.

Même son de cloche du côté du cégep Édouard-Montpetit où la directrice des études, Josée Mercier, a confié tout de même appréhender la rentrée automnale. «Si la règle d’un mètre de distanciation est maintenue, nous aurons des problèmes d’espace, a-t-elle soutenu. Nous sommes déjà en train de regarder pour trouver des locaux supplémentaires.»

Qu’est-ce qu’un incomplet permanent?

Il s’agit d’une mesure d’exception qui permet aux étudiants d’abandonner un ou des cours sans que la mention «abandon» soit inscrite à leur dossier. La demande d’incomplet est habituellement accompagnée d’une recommandation d’un médecin qui justifie la requête. Avec la COVID-19, Québec a assoupli considérablement les critères d’admissibilité. Le billet d’un médecin n’est, par exemple, plus nécessaire.

Nombre d'incomplets permanents [d'abandons]:

Hiver 2018:        14 238
Automne 2019:  17 302
Automne 2020:  86 147
Hiver 2020:      121 916


Face à la vague des transgenres, la Suède commence à douter

De phénomène rarissime, touchant quelques individus à partir de la petite enfance, la dysphorie de genre est devenue récemment une pathologie de masse à l’adolescence
 
Le plus prestigieux hôpital de Suède revoit son protocole et ne donne plus d’hormones aux mineurs. Le premier pays au monde à avoir reconnu céder devant les militants transgenres va-t-il faire marche arrière ? Extraits d’une enquête menée par le Figaro.

Pour raconter ce qui est arrivé à sa fille, Asa préfère montrer l’album où elle l’a prise en photo, chaque mois, à partir de ses 14 ans. « Voilà l’époque où Johanna s’est mise à couper ses cheveux très courts, à mettre un bandage de poitrine pour l’aplatir », commence-t-elle. Les clichés se succèdent, le sourire disparaît, le visage s’émacie : « Elle est tombée malade, l’anorexie. À l’hôpital, j’ai remarqué qu’elle suivait des comptes transgenres sur les réseaux sociaux. Elle m’a annoncé qu’elle souffrait de dysphorie de genre, qu’elle ne supportait plus son corps… Elle a décidé de devenir Kasper, un garçon. »

Son visage alors apparaît plus affirmé, cheveux teints, air viril. Et puis, à 19 ans, Johanna réapparaît en fille, lueur énigmatique dans le regard : « C’est un voyage qui a duré deux longues années, s’émeut Asa. Ma fille a changé de genre, d’identité, mais elle a ensuite eu l’immense courage d’avouer son erreur. Je suis très fière d’elle. »

Ce « voyage », comme le dit Asa, de nombreux adolescents suédois l’ont fait. Le pays a été le premier au monde, en 1972, à reconnaître la dysphorie de genre, ce mal-être provoqué par l’inadéquation entre son sexe biologique et son identité de genre, et à donner la possibilité d’officialiser cette transition à l’état civil. Le premier, aussi, à offrir des soins pour conforter les transgenres dans leur démarche : devenir un homme quand ils sont nés femmes, ou l’inverse.

Tous les traitements sont pris en charge dans des cliniques publiques, dès 16 ans : bloqueurs de puberté pour les plus jeunes, injections de testostérone ou d’œstrogènes, opération de la poitrine, orthophonistes pour changer sa voix, épilation, greffe de barbe, etc. À partir de 18 ans, l’administration autorise enfin l’opération des parties génitales, créant un pénis à partir du clitoris ou avec de la peau, modelant un vagin par inversion de la verge ou avec un morceau d’intestin.

« Retour en arrière »

D’où l’incrédulité provoquée en mars 2021 par la décision du prestigieux hôpital Karolinska. Ce pionnier de la dysphorie, dépendant de l’institut qui décerne le prix Nobel de médecine, refuse désormais le traitement hormonal aux nouveaux patients mineurs, sauf dans le cadre d’une étude clinique. Il invoque le principe de précaution et s’appuie sur une compilation d’études montrant qu’il n’y a pas de preuves de l’efficacité de ces traitements, pourtant irréversibles, pour le bien-être des patients. La prise à vie de ces hormones pourrait aussi favoriser les maladies cardiovasculaires, certains cancers, l’ostéoporose, les thromboses. Les 100 jeunes déjà suivis à Stockholm, et non concernés par cette nouvelle politique, devront d’ailleurs signer un document les informant de ces risques.

[…]

La Suède, cependant, n’est pas le seul pays à revoir sa politique de soins. Au Royaume-Uni, la jeune Keira Bell, opérée de la poitrine et traitée aux hormones, a gagné fin 2020 son procès contre la clinique de Londres qui avait donné son feu vert trop rapidement, estime-t-elle, pour une transition qu’elle regrette aujourd’hui. Depuis, les traitements y sont soumis à une décision judiciaire pour les 16-18 ans, et refusés aux plus jeunes. En juin 2020, c’est la Finlande qui a changé ses recommandations en donnant la priorité à la thérapie psychologique.

Emballement des courbes Ce qui alarme les praticiens, c’est l’emballement des courbes. De phénomène rarissime, touchant quelques individus dès la petite enfance, la dysphorie de genre est devenue une pathologie de masse, apparaissant avec l’adolescence. « En 2001, seules 12 personnes de moins de 25 ans avaient été diagnostiquées… en 2018, c’était 1859, constate Sven Roman, psychiatre pour enfants, qui travaille comme consultant dans toute la Suède. Tous les ados sont touchés, mais surtout les filles de 13 à 17 ans qui veulent devenir des garçons : entre 2008 et 2018, l’augmentation dans cette tranche est de 1500 %. En Suède, il y a maintenant plus de filles que de garçons qui reçoivent de la testostérone ! »

Le constat est le même pour les opérations chirurgicales. Selon le professeur Mikael Landén, auteur d’une thèse sur le transsexualisme, en moyenne 12 personnes par an seulement demandaient un changement de sexe dans les années 1972-1992… Aujourd’hui, elles sont plus de 2000.

[…] [P] our Sven Roman, sa cause est tout autre : il y a surdiagnostic. « Tous les adolescents ont des soucis d’identité, de recherche de soi, sans être pour autant atteints de dysphorie, martèle-t-il… Leur problème disparaît le plus souvent au début de l’âge adulte avec la possibilité de devenir homosexuel, ou pas. »

Ces enfants souffrent d’autres troubles psychiatriques

Autre indice inquiétant : ces jeunes patients souffrent souvent d’autres troubles psychiatriques comme l’autisme, la dépression, l’anxiété. Ces pathologies, qui pourraient expliquer une supposée dysphorie de genre, peuvent être traitées sans prise d’hormone, ni chirurgie. Mais cette réalité est parfois mal acceptée par les patients, si sûrs d’eux-mêmes qu’ils refusent de se soumettre à une évaluation complète de leur santé mentale.

[…]

Au premier rendez-vous, on félicite les enfants qui veulent transitionner

Quant au système de santé, il est bien loin de raisonner les indécis : selon Peter Salmi, enquêteur de la sécurité sociale suédoise, 70 à 80 % des personnes entrant en clinique obtiennent le diagnostic de dysphorie de genre. « Au premier rendez-vous on m’a dit : “Félicitations ! Vous avez fait votre coming out, c’est courageux, quel traitement vous voulez faire ?”, poursuit Johanna. Heureusement, je consultais aussi un psychologue indépendant une fois par semaine. Avec lui, on parlait de tout et j’ai compris peu à peu que cette détestation de mon corps, ma dysphorie, était une conséquence de mon anorexie, et pas l’inverse. Quand je l’ai réalisé, je me suis effondrée en larmes, et j’ai tué Kasper. »

[…]

Sven Roman rappelle que le lobe frontal du cerveau, où se forme la capacité d’évaluer les risques, où se jouent les intentions, finit d’évoluer vers 25 ans : « C’est à cet âge que l’on est assez mûr pour prendre une décision aussi lourde qu’un changement de genre. C’est d’ailleurs à cet âge que la loi suédoise autorise la stérilisation, pas avant. »

Remise en question et « tabou »

Le débat partage la Suède, mais il a aussi pris un tour un peu plus heurté — et plus personnel. En octobre 2019, un documentaire choc de la télévision suédoise révélait que l’hôpital Karolinska pratiquait l’ablation des seins sur des filles de 14 ans. Le cas de Jennifer Ring a également ému le pays : cette femme de 32 ans s’est pendue après avoir effectué une transition de genre dans ce même établissement, alors que d’autres cliniques lui avaient refusé les traitements en raison de ses signes de schizophrénie. Plus récemment, l’actrice et écrivain trans Aleksa Lundberg a aussi exprimé des doutes sur sa transition.

Est-on allé trop loin ? La peur de ne pas être assez inclusif ou, pire, de passer pour transphobe, a pris le pas chez certains sur l’analyse scientifique et la prudente considération de l’avenir de ces jeunes. « Aujourd’hui, en Suède, il est tabou de remettre en cause l’identité de quelqu’un », conclut Johanna. Sven Roman, lui, dénonce ces œillères qui faussent le jugement de certains spécialistes : « Ils ne sont intéressés que par une pathologie, comme le désordre bipolaire, ou la dysphorie, et leur attribuent tous les symptômes qu’ils voient. Cela peut être très dangereux pour les patients. » Contrainte de réagir à la décision unilatérale de l’hôpital Karolinska, qu’ont commencé à suivre d’autres établissements, la sécurité sociale suédoise s’est donnée jusqu’à la fin de l’année pour établir un nouveau protocole de soin.