lundi 8 juin 2015

Les CLOM vont-ils révolutionner l'université ?


Philippe François, chercheur auprès de l'IFRAP, se penche sur les cours gratuits en ligne (les CLOM) :


Il a fallu des siècles pour que l’imprimerie permette à des millions de personnes d’accéder au savoir du moment. Il n’a fallu que vingt ans pour qu’Internet ouvre une masse énorme de documentation à deux milliards de personnes. Les « Cours en ligne ouverts et massifs (CLOM) » sont accessibles de partout, à n’importe quel moment, réalisés par les meilleurs enseignants, mis en forme par des professionnels et destinés à un grand nombre d’étudiants, donc moins coûteux pour chacun d’entre eux. En combien de temps vont-ils révolutionner la formation, notamment universitaire ?

Contrairement à la majorité des autres secteurs d’activité (médecine, agriculture, industrie, transport, banque) aucun progrès de productivité1 décisif n’a été réalisé depuis des siècles dans les systèmes de formation. Quand il est financé par les étudiants comme dans certaines universités étrangères ou écoles de gestion françaises2, le véritable coût des études supérieures apparaît et il est logiquement très élevé : c’est une activité employant des personnes très compétentes. Et encore, ces structures sont-elles largement financées par des taxes ou des dons. Un coût qui constitue un sérieux handicap, au moment où la formation tout au long de la vie devient indispensable pour tous, les connaissances et la société évoluant beaucoup plus rapidement qu’auparavant.


En évitant aux étudiants de se déplacer pour s’entasser dans des amphithéâtres où aucun échange n’est possible avec l’enseignant (« on entend le prof, mais on ne le voit pas »), en leur permettant de suivre les cours quand ils le souhaitent et de bénéficier des meilleurs enseignements, l’accès à des formations à travers Internet prétend induire des progrès importants pour les étudiants et pour les enseignants, et une réduction des coûts.

Les précurseurs 

Ces idées ne sont pas nouvelles. En 1994, quand La Cinquième a remplacé La Cinq en faillite, d’austères cours de mathématiques, de physique ou de droit ont été diffusés sur ses écrans. Jusqu’en 2002, France 5, « chaîne du savoir, de la formation et de l’emploi » a continué à diffuser de véritables cours, à 5 heures 30 du matin. Une expérimentation qui a mis en évidence les limites du système : rigidité des horaires, temps d’antenne insuffisant pour diffuser des formations sur des dizaines de matières et à différents niveaux, absence d’un cadre pouvant fournir les compléments indispensables aux cours magistraux (contacts avec des enseignants, travaux pratiques, examens).

À partir de 2002, les progrès techniques ont résolu les problèmes de pénurie : les vidéos ont pu être transmises sur les lignes téléphoniques ordinaires (ADSL), et regardées sur les écrans des ordinateurs individuels et des téléviseurs de qualité avec des tailles spectaculaires. Ces facilités ont aussitôt été utilisées pour retransmettre des conférences, des cours ou des colloques, soit en temps réel, soit en différé. Exemples : Université de tous les savoirs, France télévision éducation, Conservatoire national des arts et métiers, Centre national d’étude à distance (CNED), Collège de France, IAP, CHAM-2014. Sous une forme très particulière, les exposés TED, les Ernest ou les conférences de l’ENS qui ont fait le pari de présenter en quelques minutes la synthèse de sujets complexes, ont montré la puissance de ces outils : l’exposé de Laurent Alexandre, spécialiste du génome humain, a été vu plus d’un million de fois depuis 2012.

Ces diverses formes d’enseignement ou de conférences accessibles à travers Internet résolvent plusieurs des problèmes antérieurs : nombre de cours illimité, disponibles partout, 24 heures par jour et possibilité pour les participants de revoir tout ou partie des conférences ou cours autant de fois qu’ils le souhaitent.
MOOC, CLOM ou FLOT

Le nom américain MOOC (Massive on-line open course) est aussi utilisé pour désigner ces formations disponibles sur la Toile. Deux traductions françaises existent. CLOM, Cours en ligne ouvert et massif, et FLOT, Formation en ligne ouverte à tous.

Les CLOM

Les CLOM vont au-delà de la seule diffusion de conférences magistrales ponctuelles. Ils consistent en une série de cours formant un module complet de formation, incluent des séries d’exercices et fournissent une liste de documents de références et des bibliographies. Des interactions entre participants sont organisées, les exercices sont corrigés et les questions des étudiants reçoivent des réponses soit de la part de l’enseignant lui-même, soit par des assistants, soit encore par d’autres étudiants plus avancés. Cette technique semble bien adaptée actuellement aux cours magistraux assez stables d’une année sur l’autre, et pour des étudiants motivés, donc au moins pour les cours des premières années d’université.

Les CLOM sont apparus en 2002 au MIT (États-Unis) et de très nombreux CLOM sont déjà disponibles en France et à l’étranger sur différentes bases privées ou publiques3, généralement dans la langue du pays, parfois traduits et souvent sous-titrés dans des langues étrangères (ceux du MIT, OpenCourseWare, le sont souvent en une dizaine de langues). Ils soulèvent de légitimes questions :
  • Les cours à distance ne remplacent pas les échanges directs entre étudiants, et entre étudiants et enseignants dans des sessions en petits groupes, même si des solutions palliatives peuvent exister pour les étudiants qui ont des difficultés à se déplacer (malades, isolés).
  •  Pour la certification des diplômes (la personne qui a suivi le cours et passé l’examen final est-elle celle qui est inscrite ?), la présence physique des étudiants semble nécessaire. La plateforme américaine edX propose quand même plusieurs niveaux de validation payante, en utilisant par exemple des contacts aléatoires par Web camera.
  • Les CLOM vont élargir le champ des établissements et des enseignants en concurrence, aux niveaux national et international. Une situation difficile pour certains, mais bénéfique pour la société. Les enseignants-chercheurs qui estiment leur charge d’enseignement trop lourde et peu valorisante quand il s’agit de cours répétitifs de base se réjouiront de la possibilité de consacrer plus de temps à la recherche. Ceux qui aiment enseigner pourront trouver l’occasion de s’investir dans cette spécialité et de se professionnaliser : un CLOM exige une excellente qualité de présentation et offre de nouvelles possibilités d’expression qui les amèneront à travailler avec des experts d’autres secteurs (communication, mise en scène, image, voix...)4. Tous pourront consacrer plus de temps aux formations en petits groupes et aux contacts avec les étudiants.
  • L’utilisation de CLOM pour une partie de la formation des étudiants pourra entraîner une réduction de la diversité des cours donnés, mais une amélioration de leur qualité moyenne. Dans des matières où il existe une soixantaine d’universités en France, il semblerait logique de conserver, comme pour les manuels actuels, environ cinq CLOM par niveau, la notion de « meilleur CLOM » étant incertaine. Une concentration inévitable, la préparation d’un CLOM nécessitant un gros investissement en temps et en argent.
  • Sur un plan pratique, suivre un cours ou une conférence sur un écran existe déjà, par exemple en première année de médecine, où les étudiants sont parfois répartis dans deux amphithéâtres. L’un où se trouve le professeur, l’autre où un écran de projection a été installé. Les étudiants du second amphi seraient sans doute mieux chez eux. Ceux du premier aussi quand les cours sont perturbés par les redoublants.
  • L’assiduité aux CLOM actuels est considérée comme faible. Seuls 10 % des étudiants persévéreraient jusqu’à la fin de la série de cours. Mais les CLOM n’étant encore utilisés que pour des conférences facultatives, il est difficile de juger de ce problème. En France, le taux d’abandon à l’université « classique » est déjà très important les deux premières années. Mais ce n’est pas le cas dans les filières sélectives ni aux États-Unis, où le coût des études constitue une forte motivation à persévérer. Sans doute pour améliorer l’assiduité, les CLOM ne sont généralement pas disponibles en « accès libre » en permanence, mais seulement pendant des sessions de quelques semaines ou quelques mois organisées périodiquement. Une façon de créer un esprit de groupe entre les étudiants d’une même session, et de moins perturber le travail des enseignants qui accompagnent de près le déroulement de chaque session.
  • Dans la définition des CLOM, le qualificatif « Ouvert », renforcé souvent en France par « pour tous » semble les cantonner aux formations non diplômantes de type vocationnel et gratuit. Le sigle FUN (France Université Numérique) retenu pour la plateforme des CLOM est séduisant (pour certains), mais reflète mal le sérieux de cet outil. Si l’on croit que ces CLOM vont révolutionner l’enseignement supérieur, ils ne seront pas plus « ouverts » ni plus « pour tous » que les autres formations. Certains ont des niveaux très pointus, d’autres sont5 ou seront payants.
  • Les plateformes qui gèrent les CLOM peuvent fournir aux enseignants des statistiques anonymisées très fines sur les interactions entre les étudiants et le CLOM. Par exemple, le nombre de fois où chaque partie du cours a été consultée et pendant combien de temps, des informations dont ils n’ont jamais disposé et qui sont essentielles pour savoir ce qui intéresse ou non les étudiants, détecter ce qui leur pose des difficultés, améliorer progressivement le CLOM et, plus fondamental encore, comprendre les différentes façons dont les gens apprennent.
Des questions

Marc Neveu, co-secrétaire général du Snesup, syndicat majoritaire, pose beaucoup de questions sur ce qui ne doit pas selon lui être considéré comme « un outil magique ». Davantage préoccupé par l’accueil physique en ce moment des étudiants, ce professeur d’informatique à Dijon s’interroge notamment sur la valeur et le prix des certificats et diplômes. Pour une France qui a le culte du diplôme. La ministre elle-même précise que les États-Unis n’ont toujours pas réglé la question de la « diplomation ». Et la charge de travail supplémentaire et sa rémunération ? Une heure de vidéo demande dix heures de préparation.

Quid aussi des conséquences économiques d’un tel phénomène, dans le recrutement d’enseignants en France, mais aussi dans le développement d’universités « physiques » en Afrique ? Marc Neveu craint d’ailleurs une forme de colonisation des pays du tiers-monde par un certain nombre de grandes universités.

Passer à l’action
Les formations à travers Internet s’étagent sur trois niveaux où les participants sont de plus en plus « suivis » ou « encadrés ». Cette classification ne préjuge pas de la qualité des différents programmes, dans de nombreux domaines, des « amateurs » ou des professionnels très pointus veulent étudier librement et/ou ne cherchent pas à acquérir de diplôme.
  • Vidéo de conférences, cours, colloques, documentaires
  • CLOM vocationnels
  • CLOM obligatoires intégrés dans une formation diplômante classique
On constate une explosion des modules de formation des deux premiers types, dans tous les domaines et pour tous les niveaux. Les organismes de formation semblent par contre avoir du mal à passer au troisième, c’est-à-dire à intégrer ce nouvel outil dans leurs cursus existants. Pour les formations universitaires payantes, il est probable qu’elles n’ont pas encore trouvé de modèle économique satisfaisant. La musique enregistrée et la presse papier confrontées à la vague numérique leur ont montré que le défi est sérieux. Pour les formations gratuites comme en France, ce problème ne se pose pas, mettant notre pays dans une situation de départ très favorable. Mais ce sont sans doute les bouleversements d’organisation indispensables qui freinent les évolutions. Les hôpitaux publics confrontés à la vague numérique (ex : télémédecine, téléradiologie) montrent la même frilosité. Les CLOM gratuits actuellement disponibles sont destinés à expérimenter, améliorer la visibilité des organismes de formation, et à contribuer à la vulgarisation du savoir. Mais le rapport de l’étude du MIT le prouve : ils travaillent maintenant sur l’adaptation inévitable de leur cursus officiel à l’utilisation des CLOM.

CLOM et FLOT : cours en ligne de l’École normale supérieure

« Ces cours en ligne ouverts à tous que sont les MOOC, pourraient rapidement conduire à un bouleversement majeur dans la diffusion des connaissances. En se lançant dans cette expérience pédagogique, l’ENS souhaite contribuer à l’effort de coopération, de démocratisation des connaissances, à la réflexion sur la pratique de l’enseignement supérieur, mais aussi, nous l’espérons, au brassage culturel et scientifique. »

Les responsables politiques français se disent convaincus de l’importance des CLOM et des autorités intellectuelles comme l’ENS disent qu’ils pourraient rapidement bouleverser l’enseignement supérieur et la diffusion du savoir auprès d’un large public : ce ne sont plus des expérimentations qu’il faut conduire, mais des réalisations en vraie grandeur même si c’est dans des secteurs limités. Des cours magistraux de mathématiques, de physique, de droit doivent être produits en CLOM pour des premières années de licence et utilisés de façon systématique dans des universités volontaires.

En France, la crainte dominante est que ces formations sur Internet provoquent l’irruption des universités étrangères anglophones sur ce marché, ainsi que dans les pays francophones. Comme dans de nombreux domaines (ouverture des données de santé, télémédecine, livre électronique…) ne rien faire est la certitude que cela se produira, mais sans nous. Une catastrophe pour le rayonnement de nos universités et de la langue française.

La position de Pascal Engel, directeur des études à l’EHESS

Les MOOC ne peuvent fonctionner que pour des cours d’introduction. Ils ne sont adaptés qu’à certains types de formations pratiques, pour apprendre la pêche à la ligne par exemple ou pour certains enseignements techniques.

Mais :

Cela pourra conduire à remplacer de grands cours donnés en amphithéâtre en première année, et donc à faire des économies.

Lire l’interview complète dans l’e-mag de l’éducation

Notes

[1] Mis à part le remplacement du tableau noir par le tableau blanc, et par le projecteur de documents enregistrés sur un ordinateur portable.

[2] Pour les plus prestigieuses : 13.000 euros par an en France, 25.000 au Royaume-Uni, 35.000 aux États unis, ces deux dernières incluant les frais d’hébergement

[3] FUN, edX, Coursera, Futurlearn, Cognitum, Khan Academy, Udacity

[4] Pour son CLOM « Statistical mechanics : algorithms and computations », l’équipe de Polytechnique s’est fait aider par l’École de Paris du cinéma (FEMIS). Dans son compte-rendu, on perçoit la stupeur puis l’enthousiasme du professeur d’avoir dû d’abord produire un « teaser » de trois minutes. Résultat : 30.000 étudiants enregistrés en France et à l’étranger.

[5] Sur le Data journalisme, le MOOC de Rue89, Global Editors Network et First Business, est en partie gratuit et en partie payant. La Faculté Ouverte de Paris (FOP) a mis en forme des cours de l’université de Pau qu’elle propose sous forme gratuite aux étudiants de Pau et payante aux autres étudiants et aux entreprises.

Voir aussi

Les cours Griffon : un soutien scolaire en ligne

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À la maison, l’étudiant suit les cours en vidéo, à l’école les enseignants surveillent les exercices

La « Khan Academy » maintenant complètement traduite en français


Les « écoles libres » en Grande-Bretagne : des écoles vraiment autonomes et subventionnées par l'État

Des écoles totalement libres et subventionnées par l’État ? Le rêve d’un grand nombre de créateurs d’école en France est une réalité en Grande-Bretagne. Depuis 2010, plus de 300 « écoles libres » ont été créées : des écoles libres de leur programme, gérées comme des entreprises, et subventionnées à 100 %.

Promesses de campagne de David Cameron, dans le cadre de sa « Big society » basée sur un désengagement de l’État et une plus grande place laissée à la société civile, ces écoles connaissent un tel succès que le Premier ministre britannique a promis que 500 nouvelles « écoles libres » verraient le jour dans les cinq prochaines années, s’il remportait les élections législatives. « Au cours de la prochaine législature, nous espérons ouvrir au moins 500 nouvelles écoles libres qui offriraient 270 000 nouvelles places », a-t-il expliqué.

Tiré de l’exemple suédois, le principe des « écoles libres » permet « d’ouvrir aux groupes de parents d’élèves ou d’enseignants, aux associations caritatives ou religieuses le droit de postuler auprès du ministère de l’Éducation pour établir une école secondaire ou primaire », selon l’Institut de l’entreprise. « En cas d’acceptation du dossier de candidature, l’école bénéficie du financement par l’État tout en restant en dehors du contrôle de l’autorité locale ».

S’agissant d’écoles publiques, les parents n’ont pas à payer de frais de scolarité. En effet, les « écoles libres » reçoivent pour chaque élève, la même somme que l’État aurait dépensée pour une école publique normale.

Selon la Fondation IFRAP, la dernière évaluation des résultats des « écoles libres » suédoises (Böhlmark et Lindahl, 2007, 2008) montre un impact positif, mais faible sur les résultats scolaires dans les villes où se sont implantées les écoles libres. « Ces résultats positifs semblent dus tout autant à l’efficacité des écoles libres qu’aux efforts des écoles publiques locales pour répondre à cette concurrence », analyse le « réseau pensant » de l’IFRAP. Qu’attend donc la France pour développer un système similaire, se demande-t-il ?

Source

Voir aussi

Suède : des résultats scolaires en baisse depuis dix ans

Angleterre — Écoles libres d’un nouveau genre pour forger des caractères bien trempés

Angleterre — école menace élèves qui n’iront pas s’initier à l’islam d’une mention de racisme dans leur dossier

Ne pas réussir à l'école, est-ce rater sa vie ?

Cinq qualités qui font échouer à l'école mais réussir dans la vie: Faysal Hafidi au TEDx de Casablanca