À son congrès aujourd'hui à Granby, l'ADQ a fait approuver une résolution à la mode dans certains cercles : faire en sorte que l'anglais soit imposé par l'État à tous les jeunes Québécois dès la première année. Idée souvent reprise — comme nous avons pu le vérifier personnellement — par les mêmes qui veulent que l'État s'immisce moins dans la vie des gens, mais voilà ici l'État sert à imposer leur marotte pédagogique et linguistique. C'était au passage la seule résolution au congrès de l'ADQ parlant d'éducation ou de langue (même la résolution sur une loi sur l'identité québécoise ne parle pas du français parmi les valeurs et coutumes propres du Québec !)
Lors du très court débat qui a précédé l'adoption de cette résolution qui avait les faveurs du chef de l'ADQ, on entendit de nombreux slogans y compris le succès des écoles à immersion au Nouveau-Brunswick. Succès pourtant très relatif quand on sait que soixante-quinze pour cent (65 %) des étudiants inscrits en immersion francophone au Nouveau-Brunswick abandonnent le programme. ([1]) Le programme volontaire d'immersion précoce commence d'ailleurs depuis septembre 2008 deux années plus tard au Nouveau-Brunswick : il débutait en première année avant la rentrée 2008, depuis cette date il commence plus tard, en troisième année. ([2])
Mais qu'en pensent les linguistes ? Ci-dessous un article du professeur Gilles Bibeau, docteur en linguistique, Université de Montréal, sur le sujet.
Proposition régionale 2 — adoptée
Un gouvernement de l'Action démocratique du Québec améliorera l'enseignement du français [!] et de l'anglais dans le système éducatif [public, privé ?] et ce, en rehaussant dès la première année du primaire l'apprentissage de la langue seconde tout en laissant le libre choix à la direction de l'école d'adhérer ou non aux programmes d'immersion réalisés au terme du primaire et de choisir la formule la plus appropriée pour son milieu afin de que les enfants deviennent tous bilingues.
Lors du très court débat qui a précédé l'adoption de cette résolution qui avait les faveurs du chef de l'ADQ, on entendit de nombreux slogans y compris le succès des écoles à immersion au Nouveau-Brunswick. Succès pourtant très relatif quand on sait que soixante-quinze pour cent (65 %) des étudiants inscrits en immersion francophone au Nouveau-Brunswick abandonnent le programme. ([1]) Le programme volontaire d'immersion précoce commence d'ailleurs depuis septembre 2008 deux années plus tard au Nouveau-Brunswick : il débutait en première année avant la rentrée 2008, depuis cette date il commence plus tard, en troisième année. ([2])
Mais qu'en pensent les linguistes ? Ci-dessous un article du professeur Gilles Bibeau, docteur en linguistique, Université de Montréal, sur le sujet.
« Depuis maintenant une bonne quarantaine d'années, l'idée de promouvoir l'éducation bilingue précoce, en général dans le monde occidental et en particulier au Canada, s'est répandue comme traînée de poudre. Devant les « insuccès » relatifs de l'apprentissage des langues secondes dans les écoles secondaires traditionnelles, devant l'affirmation de certaines personnes influentes, comme par exemple le neurologue québécois Wilder Penfield qui soutenait que, passé l'âge de 9 ou 10 ans, il était très difficile d'apprendre une langue seconde, devant l'expression de besoins pressant de personnels qualifiés par diverses personnes (chefs d'entreprise, fonctionnaires canadiens, travailleurs québécois, etc.), on a rappelé aux responsables de l'éducation que, dans la vie courante, plus les enfants étaient jeunes, mieux ils apprenaient une langue seconde et qu'il fallait en commencer l'enseignement le plus tôt possible. C'est ainsi qu'au Québec, et dans plusieurs régions du monde, y compris d'autres provinces canadiennes, on a commencé à reculer (ou à avancer) progressivement le début de l'enseignement de la langue seconde au primaire 6e année, 4e année, 3e année, et même 2e et 1re années.
Enfin, le système d'éducation devenait raisonnable en s'alignant sur des conceptions pragmatiques et fonctionnelles. Tout le monde sait que les enfants peuvent apprendre rapidement une langue seconde dans la rue, « sur le tas », et qu'il n'y a pas de raisons de penser qu'il en est autrement dans l'école. De plus, dans un État comme le Québec, où les francophones ne représentent que 2 % de la population de l'Amérique du Nord à grande majorité anglophone, il faut faire le maximum pour que les jeunes apprennent l'anglais. Et le plus tôt sera le mieux! Certaines personnes, moins enthousiastes que les autres quant à la précocité d'un tel apprentissage, considèrent malgré tout que l'allongement du temps consacré à l'enseignement d'une langue seconde ne peut pas nuire et peut même augmenter les chances de l'apprendre. Ces opinions favorables à l'éducation bilingue précoce sont devenues progressivement ce qu'on appelle en ethnologie des stéréotypes sociolinguistiques, c'est-à-dire des convictions toutes faites, des clichés, des automatismes à propos des langues qui finissent par faire partie des intérêts et des valeurs des membres de la communauté linguistique.
Mais les Sciences de l'Éducation, de même que les sciences humaines (psychologie, sociologie, ethnologie, linguistique) appliquées à l'éducation, comme c'est leur fonction normale, ont cherché à décrire et à comprendre ce qui se passe, ce qui favorise et ce qui défavorise l'apprentissage des langues, quels sont les facteurs qui interviennent, dans un sens ou dans l'autre, quelles sont les conclusions à tirer à ce sujet. Et les scientifiques de ces disciplines ont rempli leur fonction de manière très sérieuse et très étendue dans plusieurs régions du monde, dont le Canada, les États-Unis, le Japon, plusieurs pays d'Europe et d'Afrique. L'UNESCO même, qui avait recommandé en 1953 de faire débuter l'éducation scolaire dans la langue dite vernaculaire, a fait faire en 1974-75 des recherches descriptives sur cette question dans huit pays différents, avec la collaboration de chercheurs réputés.
Quelles sont donc les conclusions de cette expertise internationale ?
À propos de l'âge
Les résultats des recherches descriptives et des comparaisons d'expériences pédagogiques vont à peu près tous dans la même direction : à l'école, contrairement à la situation naturelle (dans la rue ou sur le tas), l'apprentissage des langues secondes réussit mieux à un âge plus avancé. Dans les systèmes scolaires institutionnalisés, les jeunes adultes (18-30 ans) apprennent mieux et plus rapidement que les adolescents et retiennent davantage ce qu'ils ont appris, et les adolescents (12-17 ans) apprennent mieux, plus rapidement et plus efficacement que les enfants du primaire (6-11 ans). Ce sont là des résultats stables, répétés dans plusieurs contextes et avec différentes méthodes d'enseignement. Il existe à ce sujet une documentation abondante et des références internationales nombreuses (Burstall, Carroll, Harley, Singleton, Stern). Ce qui peut expliquer en partie ces résultats c'est le niveau de développement intellectuel plus élevé chez les élèves plus avancés dans la scolarisation. Dans une bonne mesure, la langue seconde est une matière scolaire comme les autres.
Il en va pour l'anglais langue seconde au Québec comme pour n'importe quelle autre langue seconde : dans le milieu scolaire, on peut affirmer avec assurance que, règle générale et à conditions pédagogiques égales, les élèves du secondaire l'apprendront mieux, plus rapidement et plus efficacement que les élèves du primaire. Il n'y a pas de raisons « sérieuses » de commencer l'enseignement de l'anglais au primaire, surtout au premier cycle du primaire, et à plus forte raison lorsque les conditions d'enseignement sont déficientes. Même les célèbres classes d'immersion canadiennes (français langue seconde) donnent d'aussi bons ou de meilleurs résultats au secondaire qu'au primaire. Et on arrivera aux mêmes conclusions avec les classes intensives d'anglais du Québec lorsqu'elles se tiendront au secondaire, comme cela se fait déjà dans quelques écoles, et qu'on pourra faire des comparaisons. Dans les deux cas, l'idée de les maintenir aussi systématiquement au primaire dépend surtout de problèmes d'organisation scolaire au secondaire et des stéréotypes sociolinguistiques évoqués plus haut. Et les décisions politiques, fondées essentiellement sur les stéréotypes sociolinguistiques, ne coïncident d'aucune manière avec les conclusions scientifiques. Dans les faits, on décide d'accorder plus d'importance aux stéréotypes des parents et de l'environnement qu'au développement personnel des enfants, ou encore davantage, comme on le verra plus loin à leur sécurité linguistique et socioculturelle.
Mais les conclusions scientifiques ne portent pas uniquement sur l'âge des apprenants. Elles touchent également plusieurs autres facteurs qui jouent un rôle souvent déterminant dans l'apprentissage des langues secondes.
Autres facteurs