mardi 22 septembre 2015

Suède — Échec de l'intégration des immigrés, ce n'est pas faute de moyens ou de bons sentiments

Écolières à Malmö (sud de la Suède)
La Suède propose probablement la politique d’asile la plus accueillante et les programmes d’aide sociale les plus généreux de l’Union européenne. Un réfugié typique, Natanaël Hailé, a échappé en 2013 de peu à la noyade en Méditerranée. Mais ses compatriotes en Érythrée ne s’intéressent pas aux dangers liés à son périple.

Comme il l’a déclaré au New York Times, ils veulent en savoir plus sur « sa voiture d’occasion, les allocations du gouvernement qu’il reçoit et ses projets pour trouver du travail comme soudeur une fois qu’il aura terminé un cours de langue de deux ans. » En tant que réfugié enregistré, il reçoit une indemnité de séjour mensuelle de plus de 925 $ canadiens.

Une généreuse politique d’immigration fait partie de l’image de marque que la Suède (comme le Canada) veut projeter. À ce titre, la Suède se targue d’être une superpuissance morale. Depuis 40 ans, la plupart des immigrants en Suède sont des réfugiés et des membres de famille qui rejoignent un parent déjà installé, à tel point que les mots « immigrant » et « réfugiés » sont devenus synonymes en Suède (contrairement au Canada et au Québec).

La Suède accueille plus de réfugiés par habitant que tout autre pays européen, et les immigrants – principalement en provenance du Moyen-Orient et en Afrique – forment aujourd’hui environ 16 pour cent de la population suédoise. Les principaux partis politiques, ainsi que les médias dominants, approuvent cet état de fait. Remettre en question ce « consensus » est considéré comme xénophobe et haineux.

Alors, dans ce climat de générosité et de suppression de tout discours critique, comment se déroule l’intégration des « réfugiés » dans le pays le plus réceptif en matière d’immigration sur la planète ? Pas si bien, si l’on en croit Tino Sanandaji (le frère de Nima Sanandaji dont nous avons récemment publié une recension de son dernier livre).

M. Sanandaji (ci-contre) est lui-même un immigrant. Cet économiste kurdo-suédois est né en Iran et a déménagé en Suède à l’âge de 10 ans. Il possède un doctorat en économie de l’Université de Chicago et se spécialise dans les questions d’immigration. Le Globe and Mail de Toronto s’est entretenu avec lui la semaine passée.

« Les non-Européens s’intègrent mal », a déclaré M. Sanandaji. Quarante-huit pour cent des immigrants en âge de travailler ne travaillent pas, d’ajouter l’économiste. Même après 15 ans en Suède, leur taux d’emploi atteint à peine 60 pour cent. La Suède possède le plus grand écart dans les taux d’emplois en Europe entre autochtones et non-autochtones.

En Suède, l’égalité est vénérée, mais c’est l’inégalité qui est désormais bien ancrée dans les faits. Les statistiques des services de l’emploi suédois pour le mois d’août 2015 indiquent que 49 pour cent de tous les chômeurs et 55 pour cent des chômeurs de longue durée sont nés à l’étranger. Cinquante-huit pour cent des prestations d’aide sociale sont distribuées aux immigrants. Quarante-cinq pour cent des enfants aux notes scolaires médiocres sont des immigrants. Les revenus des immigrants (y compris ceux au chômage) sont en moyenne inférieurs de 40 pour cent à ceux des Suédois. Les revenus des immigrants qui travaillent sont inférieurs de 20 % à ceux des Suédois. La majorité des personnes accusées de meurtre, de viol ou de vol sont des immigrants de première ou de deuxième génération. « Depuis les années 1980, la Suède a connu la plus forte augmentation au chapitre de l’inégalité des revenus parmi tous les pays de l’OCDE », a déclaré M. Sanandaji.

Ce n’est pas faute de moyens. En effet, la Suède est la championne en Europe pour ce qui est des efforts consentis en matière d’immigration. Il ne semble pas que ce soit directement la faute des nouveaux venus, car le marché du travail de la Suède exige une main-d’œuvre très qualifiée et même des Suédois peu qualifiés ne trouvent pas de travail. « Quelle chance peut donc avoir une femme africaine de 40 ans ? » de demander M. Tino Sanandaji. Selon l’économiste, près de 50 pour cent des réfugiés nouvellement arrivés ne possèdent pas de diplôme d’études secondaires.

Pour M. Sanandaji, un des problèmes avec l’immigration actuelle en Suède est la qualité du capital humain. Le Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) de l’OECD est pour les adultes ce que le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est pour les élèves de 15 ans. Le PEICA est une évaluation internationale des compétences de base en traitement de l’information qui sont, selon l’OCDE, « requises pour participer à la vie économique et sociale des économies avancées du XXIe siècle ». Ces tests produisent probablement des mesures plus précises et plus fiables du capital humain que les diplômes officiels des pays sous-développés. Le PEICA fournit une enquête hautement détaillée qui porte sur les compétences en littératie, en numératie et en résolution de problèmes dans des environnements technologiques (RP-ET) chez les adultes âgés de 16 à 65 ans.

Les résultats sont frappants : la Suède a le plus grand écart dans les compétences entre les gens qui y sont nés et ceux nés à l’étranger parmi tous les pays participants au PEICA dans les trois sous-tests (l’illustration ci-dessous donne les résultats pour la « littératie »). Pour M. Sanandaji, c’est un fait fondamental qu’aucun économiste qui analyse cette question ne peut ignorer.

(Source : Résultats en littératie du PEICA)

Le fantasme suédois consiste à penser qu’il suffit de socialiser les enfants d’immigrants et de réfugiés correctement et ils deviendront semblables à des Suédois de souche. Mais voilà, cela ne s’est pas produit ainsi. Une bonne partie de la deuxième génération des immigrés vit dans de beaux ghettos sociaux suédois. Les tensions sociales – l’exode des blancs, recul général de la confiance – ne font qu’empirer. La ville de Malmö qui concentre une forte population immigrée, juste en face du pont vers le Danemark, est un désastre économique et social. Si la proportion de Suédois qui pensaient qu’« on peut faire confiance dans la plupart des gens » était de 70 % dans l’étude World Value Survey en 2005, ce chiffre était tombé à environ 62 % dans la dernière étude en 2014. À Malmö, la ville la plus diverse ethniquement en Suède, le niveau de confiance n'atteint que 52 %. Sur la perte de confiance globale dans les sociétés « diverses », lire Pierre-André Taguieff et Robert Putnam.

La générosité de la Suède coûte une fortune alors que la croissance économique stagne. Le pays dépense actuellement environ 4 milliards $ par année pour l’accueil de nouveaux réfugiés. Ce chiffre n’était encore que de 1 milliard $ il y a quelques années, selon M. Sanandaji. Et le flux de réfugiés ne diminue pas. La Suède accepte automatiquement tous les mineurs non accompagnés. « Nous avions l’habitude de prendre 500 mineurs non accompagnés par an », a-t-il ajouté. « Cette année, nous nous attendons à 12.000 mineurs non accompagnés. »

M. Sanandaji remarque que les graves problèmes liés à l’immigration en Suède apparaissent à peine dans les médias traditionnels. Les journalistes considèrent que leur mission est d’abord de lutter contre le racisme, de sorte qu’ils ne répercutent pas les mauvaises nouvelles. Malgré — ou peut-être à cause de — cette autocensure, le fossé entre les leaders d’opinion et les électeurs sur la question de l’immigration est devenu un gouffre. Selon un récent sondage d’opinion, 58 pour cent des Suédois pensent qu’il y a trop d’immigrants, note M. Sanandaji. Selon des sondages récents, 20 à 25 % des Suédois soutiennent désormais le parti anti-immigration des Démocrates de Suède.

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