jeudi 24 mars 2022

L'école — Fabrique du crétin (suite)

Jean-Paul Brighelli, publie aujourd’hui la suite de La Fabrique du Crétin, son succès de librairie vendu à 150 000 exemplaires. L’école de la transmission des savoirs et de la formation du citoyen français n’en finit plus de mourir. Et 15 ans après le premier avertissement, la situation est encore pire.

C’est l’histoire d’un homme qui a passé quarante-cinq ans dans l’Éducation nationale et qui est en colère. En colère non pas contre son métier, ni contre ses élèves. En colère contre l’effondrement du niveau, contre la confrérie des « pédagos », contre les politiques complices qui depuis près d’un demi-siècle, enfoncent notre système scolaire dans le marécage de l’ignorance.

Dès les années 1960, le terrain est préparé. Farouche adversaire de la souveraineté nationale, père de l’Union européenne, Jean Monnet tient à faire « réécrire les programmes d’histoire, de façon à les débarrasser de tout ce qui ressemblerait à une exaltation patriotique », rappelle Brighelli. Mais c’est le 11 juillet 1975, sous la présidence de Giscard, que l’effondrement est vraiment lancé, avec la création du « collège unique ». « Une réponse à la demande du patronat et un instrument de sujétion sociale », écrira le philosophe Jacques Derrida.

Les effectifs des classes ne changeant pas, eux, l’alignement du niveau des élèves se fait par le bas. C’est très triste, mais c’est comme ça. Ajoutons à cela le regroupement familial. Les futures cohortes d’« esclaves taillables et corvéables à merci », comme les appelle Brighelli, attendent patiemment leur heure dans le ventre de leur mère. Aujourd’hui, les enfants et petits enfants de ces derniers s’abreuvent de smartphone et de jeux vidéos, utilisent la calculatrice pour faire leurs courses et n’ouvrent jamais un livre. Une cible de premier choix pour grossir le peloton des pédaleurs de Uber Eats.

La transmission appartient au passé

« Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine », écrivait Montaigne. Certes, encore faut-il que cette tête ne soit pas vide. Dès l’adoption du collège unique, les « pédagogistes », comme dit Brighelli, sortent de leurs tanières et s’attellent à briser la transmission verticale du savoir au profit de l’horizontalité. En juillet 1989, Lionel Jospin sacralise la parole de l’élève dans une loi, au nom de la liberté d’expression. Tandis que l’enseignant est rabaissé, mal payé et méprisé (ou bien pire), l’enfant devient un enfant roi. Or, « un roi, ça ne travaille pas », rappelle Brighelli.

À chaque gouvernement sa réforme. La vitesse du train s’accélère, le précipice approche. En mai 1999, Ségolène Royal, alors ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire (ne riez pas) lance les premières « heures de vie de classe » et autres « emplâtres sur la jambe de bois du collège unique ». 2005. Cette fois c’est François Fillon, « qui ne connaissait strictement rien à l’école » souligne Brighelli, qui met en place le fameux socle de compétences au collège. Fini les notes, place aux couleurs ! « Savoir apprendre », « savoir faire », « savoir être » etc. Pour chacune de ces « compétences », les enseignants sont priés de mettre une croix dans la colonne « acquis » ou dans la colonne « en cours d’acquisition ». Les plus téméraires, au risque de passer pour des kapos auprès des parents d’élèves ou d’être mal vus par leur direction, peuvent s’aventurer à cocher la colonne « non acquis ».

Le fait que le terme de « compétence » se substitue à celui de « connaissance » est d’ailleurs un symbole fort. Dès 2015, la novlangue s’immisce dans le corps de l’Éducation nationale avant de pénétrer ses esprits : ne dites plus « dissertation », dites « expression écrite », ne dites plus « parler » ou « écrire », mais « produire des messages à l’oral et à l’écrit », ne dites plus « apprendre une langue », mais « aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs ». Ne dites plus « nager », mais « se déplacer de façon autonome, plus longtemps, plus vite, dans un milieu aquatique profond standardisé » etc.

Le naufrage Belkacem

En 2016, Najat Vallaud-Belkacem parachève ce grand bond en avant avec sa réforme du collège. Sous couvert d’œuvrer à la démocratisation du système scolaire, quarante ans de collège unique et de réformes n’ont fait qu’exalter les inégalités sociales, déplore Brighelli. Alors que faire ? Notre enseignant préconise, cela ne vous surprendra pas, le retour aux bonnes vieilles méthodes. Le par cœur. Apprendre des fables de La Fontaine par cœur, apprendre des passages du Cid par cœur, apprendre les tables de multiplication par cœur (pour ma part, si je suis reconnaissant envers ma professeur de quatrième de m’avoir fait réciter une partie de la tirade de Don Rodrigue à Don Fernand, le martèlement des tables de multiplication n’a jamais pris avec moi).

En histoire, donner un nouveau souffle aux héros. Brighelli rend d’ailleurs grâce à François Bayrou d’avoir, quand celui-ci était ministre de l’Éducation, mis à l’honneur « vingt-deux figures historiques » parmi lesquelles Jules César, Clovis, Charlemagne, Christophe Colomb, Léonard de Vinci, Colbert ou encore, Napoléon. À force de céder aux sensibilités de chacun — certains déboulonnent Colomb, d’autres Colbert —, chaque région ou communauté refera sa propre liste, alerte Brighelli. C’est d’ailleurs déjà le cas : « privés de transcendance, les jeunes gens se sont réfugiés là où ils en trouvaient encore une. Plus de héros ici — alors on y importe Mahomet, qui fut un chef de guerre impitoyable, un tueur sans pitié ». On ne saurait dire mieux.

De la pénétration de l’islam dans les jeunes têtes et dans les salles de classe, il est aussi question. Mais pour cela, le mieux reste de le lire. Résolument sincère, sans langue de bois aucune, Brighelli distille un peu d’humour çà et là, au détour d’une fin de phrase ou d’une parenthèse, mais c’est tout. Quand il vous arrachera un petit éclat de rire, parfois, c’est pour vous faire mieux supporter le désastre qu’il décrit dans ce second volet. Parce qu’il est très bien placé pour savoir à quel point la transmission du savoir est une affaire trop sérieuse pour être évoquée avec légèreté ? Possible. Avant d’être l’érudit Brighelli, Brighelli fut un petit Corse fils de policier et d’une secrétaire, ne l’oublions pas. On ne reste pas enseignant pendant plus de quarante ans par hasard. Quand Brighelli dit qu’enseigner est ce qui lui importe le plus dans la vie, ça peut sembler un peu étrange, mais c’est vrai. Avant de vous plonger dans le second volet de La fabrique du crétin, lisez donc cet extrait, cette confession à destination de ses élèves : « Regarder les rails, dans une banlieue sinistre, avec concupiscence — et ne pas sauter parce qu’on a rendez-vous avec trente ou trente-cinq garnements qui ne maîtrisent pas encore l’accord du participe passé avec le COD antéposé : excellente raison de survivre. Au fond, c’est moi qui vous suis redevable ». Nous aussi, nous sommes redevables à Brighelli de ne pas avoir sauté.

 Source : Causeur


La Fabrique du crétin 2
de Jean-Paul Brighelli,
publié le 24 mars 2022,
à  L’Archipel,
à Paris,
207 pages,
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2809843972

 

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Québec — Plus de 35 % des élèves des cégeps anglophones incapables de suivre des cours en français

L’Assemblée nationale condamnera des milliers d’étudiants à l’échec sur fond de « crise sociale » si elle adopte le projet de loi 96 dans sa forme actuelle, met en garde le président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay.

[Cris d’orfraie]

Il s’inquiète particulièrement des contrecoups de l’obligation de suivre « un minimum de trois cours donnés en français » imposée aux étudiants inscrits dans un cégep anglophone, qui figure dans la version amendée du projet de Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. « Il y a des milliers d’étudiants qui seront dans l’incapacité d’être diplômés », déclare M. Tremblay dans un entretien avec Le Devoir mercredi.

Plus de 35 % des quelque 29 000 étudiants inscrits dans les cégeps anglophones ont une connaissance insuffisante de la langue française pour suivre des cours en français, souligne-t-il, données statistiques à l’appui.

La proportion d’étudiants ayant une connaissance insuffisante du français varie d’un programme à l’autre : 57,4 % en Techniques en soins infirmiers, ou 85,9 % en Techniques d’éducation à l’enfance, par exemple. Le projet de loi 96 a récemment été amendé sous l’impulsion du Parti libéral du Québec afin de contraindre tous les étudiants inscrits dans un programme d’études conduisant au diplôme d’études collégiales (DEC) dans un cégep anglophone, y compris ceux déclarés admissibles à l’enseignement en anglais à l’école primaire et secondaire, de suivre au moins trois cours en français autres que des cours de français, langue seconde ou des cours d’éducation physique. « Cet amendement-là a un effet catastrophique et, de toute évidence, un effet discriminatoire », souligne M. Tremblay, qui porte la voix des 48 collèges publics, dont 5 collèges anglophones, du Québec.

« L’impact [sera] majeur pour les étudiants qui ont été scolarisés en anglais au Québec et qui poursuivent leur parcours dans un cégep anglophone », poursuit-il, avant de demander : « Comment la communauté anglophone peut-elle accepter que l’on condamne de jeunes Québécois anglophones, qui ont le droit, en vertu des lois du Canada, de suivre des cours en anglais ? Comment peut-on faire en sorte que ces jeunes-là vont se retrouver dans une situation d’échec ? »

[Il semble évident que ces jeunes ont reçu une éducation lacunaire en français pour s’intégrer en français au Québec et qu’il faut que l’école primaire et secondaire anglaise forme beaucoup mieux ces jeunes privilégiés. Prochain chantier ?]

[Larmes de crocodile]

Le président de la Fédération des cégeps s’« insurge » contre l’« absence de sensibilité » des députés de l’Assemblée nationale — qui ne sont pas des spécialistes du régime d’études collégiales, relève-t-il — appuyant cette « fausse solution au problème de vitalité du français » retenue par l’auteur du projet de loi 96, Simon Jolin-Barrette, après discussion avec le PLQ. « On fait ça sous prétexte qu’on veut se donner bonne figure, donner l’impression qu’on règle le problème du français. Alors, on condamne des étudiants à l’échec. On ne peut pas se taire », lance-t-il au cours d’une entrevue téléphonique.

[Nous sommes d’accord que cette mesure est insuffisante pour vitaliser le français au Québec et qu’il faudrait aussi appliquer la loi 101 aux cégeps. À moins de considérer la francisation de tous les cégeps publics, un peu comme la Flandre belge a néerlandisé tout le réseau scolaire publique de l’école primaire à l’université. Le tout culminant par la néerlandisation complète de l’Université de Louvain en 1968.]

[Appels dilatoires devant une mesure qui n’a déjà que trop tardé] 

Bernard Tremblay presse les membres de la Commission de la culture et de l’éducation, qui examinent actuellement le projet de loi renforçant la Charte de la langue française, d’en retirer l’obligation pesant sur les étudiants des collèges anglophones de suivre trois cours en français, ou à tout le moins d’en « différer » l’entrée en vigueur afin de prendre la juste mesure de tous ses impacts, y compris sur le personnel enseignant du réseau collégial. « Prenons le temps de faire l’analyse. Peut-être que l’on constatera que la disposition est inapplicable. Si on s’est trompé, on n’aura pas mis des milliers d’étudiants en situation d’échec », souligne-t-il.

Le projet de loi 96 « va véritablement changer le visage de l’enseignement au niveau collégial », selon le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette.

L’élu caquiste compte également imposer une épreuve uniforme de français aux étudiants du réseau collégial anglophone, sauf à ceux étant déclarés admissibles à l’enseignement en anglais à l’école primaire et secondaire, en plus de plafonner le nombre places dans les cégeps anglophones. Il s’est toutefois refusé à appliquer la loi 101 aux cégeps, au regret notamment du Parti québécois.

« Le problème n’est pas du côté du collégial. Le problème du français, surtout à Montréal, est dans : l’anglais, langue du travail ; l’anglais, langue d’affichage ; l’anglais, langue de l’administration. Il est un peu partout », prétend Bernard Tremblay.

[En toute logique, il faut donc s’attaquer à tous ces aspects en ne négligeant en rien l’école, car comment imposer le français au travail, par exemple, quand une grande partie des diplômés des cégeps seront incapables de travailler en français ?]

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