dimanche 20 juin 2021

États-Unis — La Cour Suprême unanime pour défendre la liberté de refuser l’adoption par des homosexuels

La Cour suprême des États-Unis a donné raison jeudi à un organisme catholique qui refusait de placer des enfants dans des familles homosexuelles. La haute cour a jugé à l’unanimité que la ville de Philadelphie, gérée par des démocrates, avait eu tort de rompre, en 2018, un contrat qui la liait à un de ses prestataires en matière d’aide à l’enfance, l’agence Catholic Social Services (CSS). La décision est en ligne ici.

L’agence Catholic Social Services célèbre la décision de la Cour suprême du 17 juin 2021 à Washington

La mairie avait décidé de ne plus lui confier d’enfants parce qu’un de ses responsables avait déclaré dans la presse qu’elle refuserait de placer des mineurs dans des foyers de couple de même sexe.

Premier amendement violé

Le juge en chef John Roberts a écrit dans un avis à la majorité du tribunal que Philadelphie avait violé le premier amendement en refusant de contracter avec les services sociaux catholiques une fois qu’il avait appris que l’organisation ne certifierait pas les couples de même sexe pour adoption.

« La clause de libre exercice du premier amendement, applicable aux États en vertu du quatorzième amendement, prévoit que » le Congrès ne fera aucune loi… interdisant le libre exercice « de la religion », a écrit Roberts.

« Dans un premier temps, il est clair que les actions de la Ville ont pesé sur l’exercice religieux de la CSS en la mettant au choix de restreindre sa mission ou d’approuver des relations incompatibles avec ses croyances », a-t-il ajouté.

 Système d’exceptions prévu par la ville

« Il est clair que la ville a fait pression sur CSS en lui donnant le choix de restreindre sa mission, ou d’approuver des relations incompatibles avec ses convictions », a estimé le juge en chef John Roberts qui a rendu l’avis de la Cour. Il ajoute que la CSS ne souhaite pas imposer ses idées à qui que ce soit, mais ne cherche « qu’un accommodement qui lui permettra de continuer à servir les enfants de Philadelphie d’une manière conforme à ses croyances religieuses ». Pour la Cour suprême, le refus de la ville de Philadelphie de conclure un contrat avec CSS viole le premier amendement de la Constitution, qui garantit la liberté religieuse.

La cour écrit que « dans ce dossier » le principe de non-discrimination « ne peut pas justifier de refuser une exception pour motif religieux à la CSS » puisqu’il existe un système d’exceptions dans le contrat entre la ville et ses prestataires, a-t-elle souligné.

La Cour suprême a « de nouveau pris une décision favorable aux libertés religieuses ! Aucune institution privée ne devrait avoir à sacrifier sa foi pour aider la communauté », a tweeté l’élu républicain Jody Hice, proche des milieux chrétiens.

La décision sur cette question délicate était très attendue. Elle vient infirmer le jugement rendu par la troisième Cour d’appel des États-Unis, qui avait statué en faveur de Philadelphie, estimant que la ville appliquait de manière neutre sa politique de non-discrimination et que les services sociaux catholiques n’avaient pas le droit à une exemption.  
 
Les clivages demeurent

Alors que le 4 novembre, la Cour suprême examinait le dossier, la juge Amy Coney Barrett, prenant position en faveur de l’agence, recevait le soutien de « dizaines d’églises, d’élus du Congrès et d’États de la Ceinture biblique, mais aussi du gouvernement républicain de Donald Trump, pour qui Philadelphie avait fait preuve d’“hostilité” envers la religion », rapportait alors Le Figaro le 3 novembre 2020.

La grande ville du Nord-Est aux mains des démocrates, quant à elle, recevait également de nombreux soutiens, dont celui de la puissante organisation de défense des droits civiques ACLU, qui mettait en garde contre les conséquences d’un jugement favorable à l’agence catholique. L’association estimait qu’une victoire de la CSS autoriserait des agences privées qui assurent des missions de service public — familles d’accueil, banque alimentaire, foyer pour sans-abri, etc. — à refuser leurs services à la « communauté » LGBT.

Selon le lobby LGBT, une décision en demi-teinte

Selon les défenseurs des droits LGBT, la victoire de leurs opposants ne serait cependant pas complète. « La Cour n’a pas établi un droit général pour les organisations religieuses à violer les lois anti-discriminations », a souligné ACLU.

L’opinion des juges est cependnant considérée comme une nouvelle victoire pour les droits religieux. Une étude publiée plus tôt cette année a révélé une augmentation de 35 points de pourcentage du taux de décision de la Cour suprême en faveur de la religion au cours des 70 dernières années. Il faut cependant se demander si cela n’explique pas par le fait que la liberté religieuse est de plus en plus entamée par des autorités et fonctionnaires, censément « progressistes », rétives aux points de vue conservateurs chers aux religions établies.

Douglas Laycock, professeur de droit à l’Université de Virginie et éminent universitaire dans le domaine de la liberté religieuse, a déclaré que, comme l’a souligné la décision, il existe plus de 20 agences de placement familial à Philadelphie, dont beaucoup s’adressent aux couples LGBTQ. « Personne n’aura de difficulté à adopter ou à proposer un placement familial à cause de cette décision », a-t-il déclaré.

Nécessité d'un arrêt plus large pour renforcer la liberté religieuse

Il faut se demander ce qui se serait passé si Philadelphie n’avait pas prévu des exceptions dans son système d’accréditation. Cette décision n’incitera-t-elle pas les États et les villes à éliminer les possibilités d’exceptions, privant les institutions religieuses de l’argument utilisé par les juges ici.

Trois des neuf sages de la haute cour ont ajouté, dans une opinion distincte, qu’un arrêt plus large était nécessaire pour renforcer les droits des groupes religieux.

L’opinion de Roberts a été rejointe par les juges Stephen Breyer, Sonia Sotomayor, Elena Kagan, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Les juges Clarence Thomas, Samuel Alito et Neil Gorsuch étaient d’accord avec le résultat de l’affaire, mais n’ont pas adhéré au raisonnement de Roberts.

Alito, rejoint par Thomas et Gorsuch, écrit que le raisonnement étroit de Roberts rendra au mieux l’action du tribunal temporaire.

« Cette décision pourrait aussi bien être écrite sur le papier dissolvant vendu dans les magasins de magie », a écrit Alito. « La Ville a insisté pour faire pression sur CSS pour qu’elle cède, et si la Ville veut contourner la décision d’aujourd’hui, elle peut simplement éliminer le pouvoir d’exemption jamais utilisé. »

Alito a écrit que, dans l’arrêt Division de l’emploi que le juge en chef ne remet pas en question, le tribunal « a brusquement écarté près de 40 ans de précédents et a estimé que la clause d’exercice libre du premier amendement [sur la liberté religieuse] tolérait toute règle interdisant ou ordonnant catégoriquement une conduite spécifiée tant qu’elle ne visait pas la pratique religieuse ». Selon une interprétation de cet arrêt donc, tant que les catholiques peuvent « pratiquer leur religion » (aller à la messe, effectuer les sacrements, etc.) il n’y a pas d’enfreinte à leur liberté religieuse même si on leur impose des actions qu’ils réprouvent moralement (comme de placer des enfants à adopter chez des couples homosexuels).

« Même si une règle ne sert aucun objectif important et a un effet dévastateur sur la liberté religieuse, la Constitution, selon l’arrêt [Division de l’emploi c.] Smith, n’offre aucune protection. Cette disposition sévère est mûre pour un réexamen », a ajouté Alito.