S’il réduit l’immigration au nom de la protection du français, Québec doit stimuler la natalité, plaident des experts. Pour éviter le déclin démographique, le gouvernement devrait encourager les Québécoises qui désirent de grandes familles à avoir autant d’enfants qu’elles le veulent.
François Legault se dirige vers une baisse des seuils d’immigration. Pendant ce temps, la fécondité atteint un creux historique au Québec, à 1,33 enfant par femme.
Selon le professeur de droit Guillaume Rousseau, si on débat d’immigration par peur du déclin du français, on ne peut occulter l’autre composante de la démographie: les naissances.
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| Guillaume Rousseau, avocat, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et directeur scientifique de l’Institut de recherche sur le Québec. |
«Si on diminue l’immigration, il faudrait hausser la natalité si on veut éviter une diminution de la population», plaide-t-il, en entrevue avec notre Bureau parlementaire. Mais attention: il n’est pas ici question d’inciter les femmes à vouloir plus de bébés.
« L’objectif, ce serait que le nombre d’enfants conçus rattrape le nombre d’enfants voulus, (...) mettre en place des conditions qui permettent [aux femmes] d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent. »
Désirs de grandes tablées
Une étude de l’institut Cardus, dévoilée il y a quelques semaines à peine, met en lumière le fossé qui existe entre le rêve et la réalité chez les Canadiennes et Québécoises en matière de famille.
La moitié des femmes ont moins de bambins qu’elles en voudraient. Malgré le faible taux de natalité (1,33), elles désirent pourtant avoir deux bébés et plus (entre 2 et 2,4 bébés selon leur âge).
« Les données nous montrent qu’il y a beaucoup de familles qui ne réussissent pas à combler leur désir de fécondité », constate elle aussi Sophie Mathieu, professeure à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke et spécialiste des politiques familiales.
Elle y voit une occasion en or pour le gouvernement de François Legault de stimuler la natalité, lui qui n’a pas fait des familles une de ses priorités. «Il faudrait un changement au niveau de la volonté politique», insiste-t-elle.
L’universitaire rappelle qu’une baisse significative de la fécondité observée à la fin des années 1980 avait convaincu les autorités d’agir. Le Québec avait adopté des incitatifs aux naissances – des «bébés bonus» –, des chèques pour chaque naissance, dont le montant augmentait considérablement à partir du troisième rejeton.
Angle mort du gouvernement
«Mais là, on n’entend pas du tout parler [de la chute de natalité], alors que c’est assez préoccupant, surtout quand on regarde parallèlement à ça les données sur le fait que le français au Québec est en perte de vitesse.»
Pour encourager des comportements, il faut souvent des incitatifs financiers qui se traduisent par un impact concret dans le portefeuille. Mais ce n’est pas suffisant. Il doit aussi y avoir un discours politique, une «ambiance» favorable à la famille, qui doit être davantage valorisée dans la société, croit le professeur Rousseau.
«Si on avait un débat là-dessus, puis une espèce de consensus transpartisan sur l’intérêt collectif d’avoir ça, est-ce que ça ne pourrait pas changer les comportements?»
Voici quelques pistes de solutions
Profiter du surplus record au fonds d’assurance parentale
Moins de bébés, moins de prestations versées par l’État! La cagnotte du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) atteint 896 millions $ cette année, un record, révèlent les plus récentes données. Une occasion de bonifier le programme afin que les parents puissent compter sur des congés payés jusqu’à l’obtention d’une place en garderie pour leur enfant, croit le professeur Guillaume Rousseau. Sophie Mathieu signale que le RQAP peut paraître généreux comparativement au reste du Canada ou aux États-Unis, mais pas lorsqu’on regarde vers l’Europe. «Les pays où la conciliation emploi-famille est la mieux soutenue sont les pays où la fécondité chute le moins», renchérit l’universitaire, citant les exemples de la Suède ou l’Islande. Dans ces deux endroits, «la fécondité n’a pas chuté de la même façon, et dans ces pays-là, la venue d’un enfant est moins associée à une perte de revenus à long terme». En Suède, les parents peuvent utiliser les prestations jusqu’à ce que leurs bambins aient atteint l’âge de 12 ans. Ils peuvent par exemple s’en servir lors d’un épisode de gastro à l’école.
Plus de places en garderie
Et si les parents québécois peuvent bénéficier d’au maximum une année de congés payés lors de la naissance d’un enfant, le manque de places en garderie complique souvent le retour des parents sur le marché du travail. Une réalité qui en rebute plusieurs à réaliser leur rêve de grande famille, plaide Sophie Mathieu. Mère de trois enfants, la professeure est personnellement passée par là. Elle était «très insatisfaite» de la qualité des soins accordés à ses petits, un angle mort de la CAQ. «Si on en parle pourtant si peu, c’est parce que les familles ne font plus partie de la préoccupation centrale du gouvernement actuel, déplore-t-elle. Il y a moins 30 000 familles qui sont en attente d'un service de garde ou d'un meilleur service de garde, il y a des mères qui sont à bout de souffle, des papas qui sont à bout de souffle!»
La gratuité pour les parents-étudiants?
Tendance lourde ces dernières années, les Québécoises donnent désormais naissance à leur progéniture à un âge plus avancé. L’âge moyen des femmes à la maternité est passé de 27,4 ans en 1980 à 31,3 ans en 2023 au Québec. Une réalité qui contribue possiblement à la baisse de la natalité. «Quand on a un premier enfant à 30 ou 35 ans, c’est plus difficile d’avoir un deuxième, puis un troisième, que lorsqu’on a le premier à 22 ans», illustre Guillaume Rousseau. De plus en plus de femmes font des études universitaires, notamment à la maîtrise ou au doctorat. Selon le professeur de droit, on se doit d’agir à ce niveau. «Est-ce que ça prendrait la gratuité des frais de scolarité pour les jeunes parents?» suggère-t-il.
«RAPper» sa deuxième maison
Devenir propriétaire relève pratiquement de l’exploit pour la génération actuelle de jeunes, alors que le prix médian d’une maison unifamiliale au Québec a explosé de 76% depuis cinq ans. L’accès d’autant plus difficile à un domicile suffisamment grand pour accueillir plusieurs bambins freine le désir des couples d’avoir une famille nombreuse, souligne le professeur Guillaume Rousseau. «L’enjeu, ce n’est pas la première maison, c’est la deuxième qui vient avec le deuxième puis le troisième enfant.» Il souligne que plusieurs politiques publiques existent pour une première hypothèque, mais pas pour l’achat d’une seconde résidence. «On devrait pouvoir “RAPper” puis avoir le CELIAPP [Compte d'épargne libre d'impôt pour l'achat d'une première propriété] pour la deuxième ou la troisième maison, quand elle est liée à un enfant né ou à naître.»
Taux de fécondité au Québec à travers le temps
1970: 2,09 [voilà donc 55 ans que le Québec ne fait plus assez d'enfants pour remplacer ses générations]
1987: 1,36
2000: 1,45
2008: 1,73
2024: 1,33
Source: Institut de la statistique du Québec
Démographie du Québec
La population du Québec estimée au 1er janvier 2024: 8 984 900
Elle a augmenté de près de 218 000 habitants au cours de l’année 2023, ce qui correspond à un taux d’accroissement démographique de 2,45%, un record.
L’accroissement naturel, soit la différence entre les naissances et les décès, n’a été que de 400 personnes.
L’accroissement dû aux migrations internationales et interprovinciales a été de 217 600 personnes.
Source: Institut de la statistique du Québec
États financiers du Fonds d’assurance parentale
2024: surplus de 896 millions $
2020: surplus de 511 millions $
2015: déficit de 270 millions $
2014: déficit de 358 millions $
2010: déficit de 591 millions $
Source: Rapports annuels du Fonds d’assurance parentale 2010-2024
Source : TVA






