dimanche 1 octobre 2023

Cour de « justice » européenne interdit de refouler les immigrants qui traverse illégalement la frontière

Immigration : entre les intérêts de la France et la jurisprudence européenne, il faut choisir 
 
Texte de Jean-Éric Schoettl paru dans Le Figaro. Les décisions successives de la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) et, plus récemment, de la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) entravent la capacité des États à endiguer les flux migratoires, analyse l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. M. Schoettl est auteur de « La Démocratie au péril des prétoires » (Gallimard, coll. « Le Débat », 2022).

Il y a quelques jours, le ministre de l’intérieur annonçait un renforcement des contrôles à la frontière franco-italienne, notamment pour empêcher les franchissements irréguliers que laisse prévoir l’arrivée subite d’une dizaine de milliers de migrants en provenance d’Afrique sub-sahélienne sur l’île italienne de Lampedusa.

Concomitamment (le 21 septembre), la Cour de justice de l’union européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’état français, jugeait que, dans des circonstances telles que celles que nous connaissons avec l’afflux massif de migrants illégaux en Italie depuis le début de l’année, « une décision de refus d’entrée pouvait être adoptée sur la base du code frontières Schengen, mais que, en vue de l’éloignement de l’intéressé, les normes et procédures communes prévues par la directive “retour” devaient être respectées ».

Selon la CJUE, la France doit donc, même s’agissant du franchissement irrégulier de la frontière franco-italienne en période d’afflux de migrants, respecter la directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 « relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ». Cette directive impose que le ressortissant d’un pays tiers en situation irrégulière bénéficie d’un certain délai pour quitter volontairement le territoire. Ne peut donc être refoulé vers l’Italie (ni vers aucun autre pays limitrophe) un ressortissant étranger entré irrégulièrement sur le territoire français. Autrement dit, la France peut « inviter » les migrants franchissant irrégulièrement la frontière franco-italienne à quitter le territoire de la République, mais elle ne peut leur interdire ce franchissement.

« La décision de la Cour vide de sa substance les effets des refus d’entrée », se félicite la directrice de l’association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, qui fait partie des organisations ayant saisi le Conseil d’état. Dans un communiqué commun, ces dernières exultent :

« Après huit ans de pratiques illégales du gouvernement français en matière de contrôle et d’enfermement des personnes en migration aux frontières intérieures, la CJUE confirme qu’elles sont contraires au droit. » De son côté, le ministre de l’intérieur persiste publiquement à estimer nécessaire, au vu du contexte sécuritaire et de la pression migratoire, le contrôle aux frontières intérieures (italienne et espagnole), rétabli depuis 2015 en vertu d’une clause dérogatoire du code frontières Schengen. Nécessaire sans doute, mais est-il juridiquement possible ?

La décision de la CJUE du 21 septembre parachève une construction juridique progressivement échafaudée par les organes de l’union européenne et ceux du Conseil de l’Europe.

Cet édifice a ouvert toujours plus largement la porte des entrées, restreint toujours davantage les possibilités de refoulement, de rétention et d’éloignement et réduit la politique européenne en matière d’immigration irrégulière à une question de solidarité entre pays membres en vue de relocaliser les migrants.

La boucle est aujourd’hui bouclée : la flottille de migrants arrivant à Lampedusa en provenance de Sfax ne peut être refoulée vers son port d’origine tunisien en vertu de la jurisprudence de la CEDH. Une fois en Italie, selon la jurisprudence de la CJUE, les migrants ne peuvent être retenus, même le temps d’examiner leur situation au regard du droit d’asile. Ils sont donc libres de se déplacer vers le nord, jusqu’à la frontière française. Enfin, comme vient de le juger la CJUE, ils n’auront pas à craindre d’être refoulés en franchissant la frontière.

Le ministre de l’intérieur a certes tenu un discours ferme sur le maintien du contrôle de la frontière franco-italienne. Mais les paroles ne suffisent pas. L’exécutif français (et pas seulement M. Darmanin) doit choisir entre mettre effectivement en œuvre ce qu’il estime nécessaire aux intérêts supérieurs de la nation ou se plier à la jurisprudence de la CJUE. La contradiction ne pourra être masquée par l’habituelle schizophrénie entre propos martiaux et pratiques obligeantes. L’exécutif français est-il prêt à renverser les tables de la loi européenne ? Prêt à affronter - au lendemain des exhortations papales à accueillir inconditionnellement - une levée de boucliers droits-de-l’hommiste venant non seulement de la gauche, des ONG, des médias et des organes de l’union, mais encore d’une partie de sa majorité ? On peut en douter en observant ses atermoiements autour de la loi sur l’immigration.

Il n’est pourtant pas interdit d’imaginer un sursaut. Il se manifeste déjà dans certains pays membres comme le Danemark (dont la politique migratoire restrictive s’est déconnectée du droit de l’union) ou la Grèce (avec la solution hétérodoxe mais efficace appliquée sur l’île de Lesbos). Les pistes ne manquent pas au plan européen : revoir les directives relatives à l’entrée et au séjour des ressortissants des pays tiers dans un sens moins protecteur et plus respectueux des souverainetés nationales (ce n’est pas l’esprit de l’actuelle proposition de refonte de la directive « retour ») ; inclure dans le projet de « pacte européen sur l’asile et l’immigration » la mise en place de « hot spots » fermés, comme à Lesbos ; réviser le système Schengen afin d’assouplir la possibilité, pour un État membre, de reprendre le contrôle de ses frontières ; conditionner drastiquement notre ouverture et nos aides aux pays d’origine et de transit à leur coopération efficace en matière de reprise de leurs ressortissants et de prévention des départs irréguliers ; faire de Frontex une véritable police des frontières ; aligner les règles d’accueil françaises, aujourd’hui les plus facilitantes, sur la moyenne européenne ; limiter le pouvoir juridictionnel en matière migratoire.

Les opinions publiques et, désormais, de plus en plus de responsables politiques des pays membres, y compris dans la mouvance sociale démocrate, s’insurgent contre un droit qui n’est plus compatible avec leurs intérêts vitaux.

Même l’Allemagne renâcle, puisque le gouvernement fédéral envisage de mettre en place des points de contrôle à la frontière avec la Pologne et la République tchèque et qu’il a déclaré subordonner la relocalisation des demandeurs d’asile entrés par l’italie (prévue par le « mécanisme volontaire de solidarité européen ») au respect par ce pays de son obligation de reprendre « ses » demandeurs d’asile conformément au règlement de Dublin de 2013.

Maîtriser les flux migratoires est, pour l’Europe, un impératif existentiel. Il commande une modification des traités (comme il commande en France une révision constitutionnelle ). Il devient en effet chaque jour plus clair que l’Europe ne peut absorber indéfiniment le trop-plein d’une démographie africaine explosive : ses possibilités de loger, de scolariser, de prendre en charge socialement et médicalement, de former, d’employer et d’intégrer des populations sous-qualifiées et culturellement éloignées des nôtres (particulièrement du point de vue de la place de la religion et des femmes dans la cité) sont saturées. Sa capacité à lutter contre les fruits toxiques des ghettos (paupérisation du tissu urbain, violence, délinquance, séparatisme et terrorisme) est quotidiennement prise en défaut. Les équilibres de la société européenne ne résisteraient pas au maintien durable du rythme imprimé aux flux migratoires d’outre méditerranée parles règles juridiques actuelles. Comme le dit Jean-pierre Chevènement (JDD, 11 juin), « l’immigration zéro n’existe pas, l’intégration de peuples entiers non plus ».