lundi 19 février 2018

France — le ministre de l'Éducation voudrait restreindre la création d'écoles hors contrat

Alors qu’une proposition de loi visant à restreindre la capacité d’ouverture des écoles hors contrat est étudiée au Sénat, Anne Coffinier signait une tribune ce lundi 12 février dans Le Figaro pour dénoncer le double discours du gouvernement.



Le ministre de l’Éducation, Blanquer, donne raison à une intervenante « laïque » pour qui ouvrir une école libre hors contrat serait aussi facile que d’ouvrir un kébab

Directrice générale de la Fondation pour l’École, Anne Coffinier(*) dénonce sur le plateau de Points de Vue, le projet de loi macronien de soumettre la création des écoles hors contrat à un feu vert de l’État.

Tribune d'Anne Coffinier(*) parue dans Le Figaro du 12 février 2018.
Les écoles libres hors contrat : précieuses et menacées, même dans la France de 2018 !

Avec l’élection d’Emmanuel Macron, nous nous sommes pris à espérer que les innovations de la société civile, de même que les bonnes idées développées chez nos partenaires étrangers pourraient enfin libérer l’énergie et la créativité françaises et renouveler les élites. À peine nommé Rue de Grenelle, notre ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, alimentait cet espoir en déclarant dans le JDD : « Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas s’inspirer du privé, mais aussi des modèles étrangers et surtout des études scientifiques. Le vrai ennemi du service public, c’est l’égalitarisme ; son ami, la liberté. La liberté bien conçue favorise l’égalité. »

C’était reconnaître le rôle de laboratoire pédagogique des écoles entièrement libres, dites hors contrat. En effet, l’alignement des écoles libres sous contrat sur les programmes, les volumes horaires et les normes de recrutement de l’Éducation nationale ne leur donnent pas vraiment la capacité de constituer des alternatives pédagogiques, malgré tous leurs mérites. En revanche, fortes de leur liberté pour ce qui regarde le programme, les horaires, les matières, le recrutement, et riches de leur ouverture à l’international, les écoles privées hors contrat apportent une précieuse respiration au système éducatif français. Ces écoles indépendantes expérimentent de nouvelles approches, notamment au profit des publics que l’Éducation nationale prend mal en charge, tels les enfants dyslexiques ou à haut potentiel.

Les écoles privées hors contrat représentent un utile aiguillon et offrent d’indispensables alternatives. Elles connaissent un développement exponentiel avec une croissance de 11 % en un an, soit 122 ouvertures d’école, et plus de 65 000 élèves scolarisés au total. Il s’agit d’un vrai phénomène de société, souvent méconnu du grand public. Ces écoles indépendantes représentent une planche de salut pour nombre d’enfants qui sont à la peine dans l’Éducation nationale.

Très majoritairement non confessionnels — contrairement aux clichés —, ces établissements entièrement libres offrent une flexibilité pédagogique féconde dans le respect strict de la loi : ils peuvent expérimenter les langues et cultures régionales, les pédagogies (Montessori), le bilinguisme, le bac international ou l’approche écocitoyenne. Ces écoles peuvent faire vivre des traditions d’exigence en optant pour un classicisme académique mettant la grammaire, le latin et le grec à l’honneur ; ou bien, par leur souplesse, permettre l’essor de filières sport-études ou encore ouvertes à une pratique intensive des arts. Ces écoles offrent à la société civile un espace d’engagement et coopèrent avec les familles sans crispation.

Si le privé hors contrat ne subissait pas les interdictions archaïques de financements publics héritées de l’époque de la guerre scolaire, ces écoles pourraient apporter bien plus, à l’instar des « écoles libres » anglaises, qui sont financées sur fonds publics, mais développées sur la base de la vision et de l’énergie de parrains privés, personnalités talentueuses ayant excellé dans le monde de l’entreprise, des arts, ou des universités prestigieuses. Oui, les talents de la société civile ont beaucoup à apporter à l’école, qui ne doit pas être un univers technocratique endogame, mais un lieu vivant, ouvert à l’innovation privée. Xavier Niel, par exemple, ne l’a-t-il pas démontré en fondant son École 42 ?

Or, un fait incompréhensible et choquant se déroule ces jours-ci : le ministère de l’Éducation nationale apporte son soutien actif à une proposition de loi sénatoriale d’origine centriste (n° 589), qui vise à briser l’essor des écoles hors contrat. Toutes les ingéniosités techniques sont déployées pour rendre quasi impossible la création d’écoles réellement libres, donc porteuses de vraies alternatives pédagogiques. Les délais d’opposition seraient triplés, le gouvernement prendrait la main en faisant basculer dans le domaine réglementaire leurs conditions de création, qui jusqu’alors relevaient de la loi — la moindre des choses pour une liberté de rang constitutionnel !

En outre, si cette proposition de loi funeste était adoptée, des contraintes administratives imposées seraient plus fortes que celles exigées des écoles sous contrat, en contradiction totale avec l’esprit de la loi Debré de 1959, alors que les écoles hors contrat sont légales et qu’elles ne reçoivent, on l’a dit, aucune subvention publique. Ainsi, le créateur d’école devrait donner — trois mois à l’avance — la liste des professeurs et des titres, le projet pédagogique, les programmes, les volumes horaires par matière, les financements…

Quelle est la visée d’une telle proposition de loi ? Toute liberté peut donner lieu à des abus, mais ce n’est pas une raison pour la supprimer. Pour prévenir des dérives, il faut diligenter des contrôles une fois que les écoles existent, pas en amont, sur la foi d’un dossier purement administratif. Oserait-on soumettre la presse à un régime d’autorisation préalable, comme sous Napoléon III ? C’est ce que la proposition de loi soutenue par la Rue de Grenelle cherche de facto à instituer pour les écoles privées hors contrat.

Pour qu’elles puissent stimuler l’innovation pédagogique, il faudrait contrôler les écoles entièrement libres sur leurs résultats académiques et leur performance sociale, bien plus que sur leur conformité à la vision pédagogique de l’Éducation nationale. Enfin, il serait bon que les rapports d’inspection soient rendus publics et que d’autres acteurs que l’Éducation nationale participent à ce contrôle, dont le principe est, nous le reconnaissons, légitime et même nécessaire.

À l’heure où la qualité de l’enseignement est le fer de lance de l’économie, il ne faut pas que le ministre de l’Éducation nationale laisse l’administration étouffer la liberté de la société civile. À lui de protéger les écoles indépendantes, précieux aiguillon de la réforme, soupape de sécurité de tout le système scolaire, lieu d’accueil des différences. Dans le monde entier, les écoles indépendantes sont à l’avant-garde de l’innovation. Il serait absurde que le corporatisme de l’administration de l’Éducation nationale obère les chances de la France de retrouver sa force intellectuelle et son audace d’innover.

* Ancienne élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration. La Fondation pour l’école est reconnue d’utilité publique.

La Fondation pour l’école a également publié ce communiqué :

Hier, dans le cadre de l’Émission politique sur France 2, le Ministre de l’Éducation nationale — cf. vidéo ci-dessus — a donné crédit à son interlocutrice qui prétendait qu’« il est plus facile d’ouvrir une école qu’un kebab ou un lavomatique ».

La Fondation pour l’école, fondation reconnue d’utilité publique qui travaille depuis 10 ans à l’amélioration de l’efficacité et de la justice du système éducatif français par le développement de la liberté scolaire, entend réagir fermement à ces affirmations, parce qu’elles sont erronées.

1— M. le Ministre J. M. Blanquer, meilleur ministre de l’Éducation nationale depuis bien longtemps, annonce son intention d’accomplir des réformes allant dans le bon sens (dictée, autonomie des établissements, 4 opérations, méthodes syllabique, uniforme, portable, autorité, innovation, évaluation...). La Fondation pour l’école salue ces déclarations d’intentions, et souhaite que le Ministre parvienne à les mettre effectivement en œuvre. Le Ministre aborde les problèmes avec pragmatisme et finesse, sans œillère idéologique. Mais sur la question des écoles hors contrat, J. M. Blanquer est manifestement mal informé pour avoir répondu comme il l’a fait. Il suffit de se reporter, en fin de ce communiqué, à la synthèse du régime d’ouverture des classes hors contrat pour s’en persuader.

2— Il faut nommer les choses par leur nom. Ce sont des écoles pouvant être instrumentalisées au profit du terrorisme, dont notre société doit absolument se prémunir. Alors c’est ce problème qu’il faut traiter avec courage, sans étouffer la liberté scolaire de l’ensemble des écoles hors contrat, confessionnelles ou laïques, légalement déclarées et inspectées, qui sont en plein essor, parce qu’elles répondent au besoin d’alternative pédagogique et d’innovation que ressentent les familles et la société civile en général. 84 % des créations d’école hors contrat sont non confessionnelles. La plupart sont des écoles Montessori ou écocitoyennes. Les écoles musulmanes régulièrement déclarées représentent moins de 0,5 % de l’ensemble (sources : www.ecoles-libres.fr). S’il y a des risques d’endoctrinement islamiste, ils se trouvent dans les structures périscolaires (cours de soutien, clubs de sport...), pas dans le cadre très encadré des écoles hors contrat légalement déclarées. Il ne faut pas que le Ministre se trompe de combat. La liberté d’enseignement est constitutionnelle. C’est en référence à cette liberté ainsi que celle d’association que le Conseil constitutionnel avait invalidé une précédente réforme législative du régime de création d’écoles qu’avait voulue Mme Najat Vallaud-Belkacem il y a un an.

La liberté d’ouvrir des classes ou des écoles libres de leur pédagogie est indispensable à la liberté de la société et à la réforme de notre école publique.

3— La Fondation pour l’école prend au sérieux la menace terroriste, et n’a certainement pas l’intention de servir de cheval de Troie à des gens qui n’auraient pas le souci des enfants, mais de l’extrémisme religieux. Elle a d’ailleurs proposé aux autorités publiques des modalités efficaces de renforcer le contrôle pour prévenir tout risque, même si à ce jour, il faut bien le dire, la totalité des terroristes est passée par les bancs de l’école publique. Elle attend donc que l’Éducation nationale déploie l’essentiel de ses efforts de contrôle, là où réside l’essentiel du risque.

4— Enfin, rappelons que le contrat n’est légalement accessible qu’au bout de 5 ans, ce qui veut dire que toute création d’école privée passe nécessairement par la procédure dont on parle. Il en va de même pour tout changement de directeur ou de locaux d’une école privée déjà ouverte. En touchant au régime de création des classes hors contrat, c’est l’avenir de l’ensemble des écoles privées, ouvertes ou à venir, que l’on menace. Il faut noter aussi que la plupart des ministres, de gauche comme de droite, placent leurs enfants dans ces écoles privées, en particulier catholiques. Preuve qu’elles ne sont pas sans qualité !

5— La solution pour prémunir nos enfants de tout endoctrinement extrémiste n’est pas de rendre plus difficiles les ouvertures d’écoles libres (sinon il y aura de plus en plus de formes clandestines de scolarisation, sur lequel aucun contrôle n’aura lieu, ce qui sera une régression de l’État de droit). La solution est que les corps de contrôle (et pas uniquement l’Éducation nationale, mais aussi le Ministère de l’Intérieur fort de toute sa compétence en matière d’antiterrorisme) aient le courage d’inspecter effectivement les structures pouvant poser problème, qu’elles soient déclarées sous le statut d’école ou sous une autre forme non scolaire, et que les décisions de justice soient effectivement exécutées. L’affaire de l’école toulousaine Al Badr, condamnée par la justice à fermer, mais toujours ouverte à ce jour parce que les pouvoirs publics n’ont pas exécuté la décision de justice, en est la parfaite illustration.

Voici une synthèse du cadre juridique strict régissant les ouvertures de classes hors contrat :

La possibilité de créer une école hors contrat découle directement de la liberté d’enseignement, qui est une liberté constitutionnelle encadrée par la loi, la jurisprudence constitutionnelle et administrative. La circulaire n° 2015-115 du 17 juillet 2015 détaille exhaustivement la totalité des régimes d’ouverture et de contrôle des écoles hors contrat.


La personne qui veut ouvrir une école privée doit préalablement déclarer son intention et non son ouverture (art. L 441-1 code de l’éducation). C’est donc un projet qui est soumis à l’Administration, laquelle n’est pas mise devant le fait accompli. L’Administration est constituée en l’espèce de quatre autorités de contrôle : Maire, autorité académique, procureur et préfet qui peuvent bloquer son ouverture en s’y opposant. Nombreux sont donc les interlocuteurs qui disposent en amont d’un droit de regard et d’opposition sur le projet d’école.

Le Maire d’abord, qui reçoit la déclaration d’intention pour tout projet d’établissement scolaire du premier degré, dispose d’un délai de 8 jours pour s’opposer à l’ouverture s’il juge que les locaux ne sont pas convenables pour des raisons tirées des bonnes mœurs et de l’hygiène. Il doit par ailleurs afficher en Mairie cette déclaration durant un mois, afin de transmettre l’information sur ce projet à toute personne intéressée. Un contrôle par les services de renseignement sur les porteurs de projet est généralement diligenté à ce moment — là.

Le candidat à l’ouverture doit ensuite adresser copie de sa déclaration d’intention à l’autorité académique. Il doit y joindre un dossier complet comportant de nombreuses informations sur son parcours tant personnel que professionnel et sur son école. Le dossier doit comporter impérativement : son acte de naissance, ses diplômes, l’extrait de son casier judiciaire, l’indication des lieux où il a résidé et des professions qu’il a exercées pendant les dix années précédentes, le plan des locaux affectés à l’établissement et, s’il appartient à une association, une copie des statuts de cette association.

En outre, pour un établissement du second degré, la personne qui déclare son intention d’ouvrir un collège ou un lycée d’enseignement général doit justifier durant cinq ans au moins avoir exercé les fonctions de professeur ou de surveillant dans un établissement d’enseignement du second degré.

Tant que le dossier du demandeur ne contient pas l’ensemble des pièces demandées (article R. 441‑1 du code de l’éducation) aucun récépissé ne peut être délivré. Les délais pour faire opposition ne courent donc pas.

Le candidat à l’ouverture doit également adresser copie de sa déclaration d’intention d’ouverture au préfet et au procureur de la République. Cette dernière déclaration génère très souvent une enquête de police sur la personne du futur directeur (qui est alors convoqué au commissariat).

Une fois que le dossier de projet d’école est considéré comme complet par l’académie, le procureur et le préfet ces trois administrations délivrent alors au demandeur un récépissé. Après quoi, elles disposent d’un délai d’un mois pour examiner le dossier d’ouverture et s’y opposer. Les motifs pour faire opposition sont ceux de l’intérêt des bonnes mœurs et de l’hygiène.

Dès lors qu’une opposition a été faite, l’établissement ne peut pas ouvrir. Si l’établissement ouvre alors qu’une opposition a été notifiée au demandeur, le juge pénal est compétent (v. l’article 111‑5 du code pénal).

Pour mémoire, l’établissement scolaire en tant qu’établissement recevant du public (ERP) peut par ailleurs donner lieu à d’autres contrôles. Le maire dispose de compétences en matière de police, d’urbanisme, ou de sécurité des établissements recevant du public qui peuvent lui permettre de s’opposer à l’ouverture d’un établissement, sans se fonder sur le code de l’éducation. Il en va de même pour le préfet et le procureur de la République, qui, de plus, ont des compétences en matière de maintien et de respect de l’ordre public.

Une fois ouvert, l’établissement scolaire fait l’objet d’autant de contrôles que l’administration le souhaite.




Anne Coffinier, Directrice générale de la Fondation pour l’école