lundi 14 juillet 2014

L’école privée ne mérite pas de mourir à petit feu

Lettre ouverte de Marc-André Girard, directeur des services éducatifs dans un établissement d’enseignement privé québécois :

L’école privée ne mérite pas de mourir à petit feu. Or, c’est précisément ce que les règles budgétaires du MELS proposent par des moyens insidieux

La fin de plusieurs subventions aux écoles privées risque de mettre en péril des services éducatifs importants offerts par ces dernières.

Au Québec, l’allocation de subventions destinées à l’école privée a toujours soulevé les passions principalement parce que le préjugé voulant que les écoles privées n’accueillent que les élèves doués et fortunés est particulièrement tenace, et ce, bien qu’il soit de moins en moins fondé.

Parallèlement, l’école québécoise en entier est en pleine crise identitaire. De plus en plus d’élèves à besoins particuliers revendiquent de plus en plus d’adaptations de la part des écoles, le taux de diplomation au secondaire demeure léthargique, les enseignants peinent à se renouveler professionnellement, etc. En ces temps troubles, le MELS fait office à la fois de rédempteur et de vache à lait. Cependant, malgré la tourmente, le gouvernement libéral, fervent promoteur de ce qu’il a lui-même jadis qualifié de réingénierie, impose des coupures au monde de l’éducation. Les commissions scolaires en font les grands frais et, bien évidemment, il en va de même pour le réseau des écoles privées. Surtout que les premières avancent que les secondes sont la principale source de leurs difficultés ! Le MELS n’a d’autre choix que de frapper durement le réseau privé.

Le Rapport du comité d’experts sur le financement, l’administration, la gestion et la gouvernance des commissions scolaires a d’ailleurs été soumis au MELS en mai dernier. Une des conclusions auxquelles le comité en est venu indique que le Québec accorde aux établissements d’enseignement privés agréés un niveau de financement supérieur à ce qui existe dans la majorité des autres provinces canadiennes. Sans vouloir entrer dans une guerre de statistiques, il n’en demeure pas moins que ledit rapport fait état de plusieurs recommandations issues de différentes activités de consultations qui excluent pourtant la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP). Il est quelque peu inquiétant de savoir que le comité qui conseille un nouveau ministre de l’éducation consulte des organismes qui pensent tous de la même façon !

Des coupes mettant en péril les services éducatifs

Les règles budgétaires du MELS proposent des moyens insidieux de faire mourir les écoles privées à petit feu. Bien que le montant de la subvention de base augmente de 1,1 % (légèrement moins que la hausse du coût de la vie), plusieurs allocations supplémentaires seront coupées, dont les suivantes qui représentent des choix insensés et paradoxaux :

Encadrement des stagiaires : Désormais, la présence de stagiaires dans le milieu privé est menacée. Cela se traduit directement par un manque de connaissance du futur enseignant sur les us et coutumes d’un milieu réputé pour la qualité de son encadrement et l’implication de ses enseignants à la vie scolaire. Il faut s’attendre à ce que les universités québécoises fassent connaître leur mécontentement, elles qui peinent déjà à placer leurs stagiaires en milieu professionnel. Alors qu’on parle de professionnalisation des enseignants et d’insertion professionnelle, il est difficile de comprendre comment le MELS lui-même peut adopter un comportement contraire à ce qu’il prêche !

Micro-informatiques à des fins éducatives (RÉCIT) : L’école privée a une longueur d’avance sur bien des écoles publiques en ce qui concerne l’animation technopédagogique. On veut faire de l’éducation un milieu actuel mais on retire aux écoles privées les moyens pour permettre aux enseignants d’être formés et accompagnés par leurs pairs dans un virage technopédagogique plus que nécessaire !

Soutien à l’information et à l’orientation scolaire : qu’en est-il de l’école dite orientante, dont l’objectif principal est de faciliter le cheminement vocationnel des élèves ? Qu’en est-il de l’annonce récente du MELS de voir à l’implantation d’un programme d’orientation scolaire dans les écoles, alors qu’en même temps, l’école privée se voit retirer les moyens pour y parvenir ?

Également, la subvention pour assurer le transport scolaire se voit diminuée du tiers à chacune des deux prochaines années, pour être totalement annulée lors de l’année scolaire 2016-2017. L’école privée, particulièrement en région, pourrait ne pas se remettre de ces coupes. Sa clientèle étant éparpillée sur un large territoire, plusieurs parents ne pourront pas envisager de payer ce qui peut avoisiner les 1000 $ supplémentaires selon les écoles et les ententes qu’elles ont avec les commissions scolaires. Il en va de même pour l’allocation tenant lieu de valeur locative qui se voit diminuée de façon appréciable et qui freine les dépenses de modernisation, de rénovation des bâtiments ou de renouvellement du matériel destiné à la tenue des activités éducatives.

Le début de la fin

Sommes-nous en train d’assister au début de la fin des écoles privées au Québec ? Le souhait des commissions scolaires d’aspirer à un meilleur financement en tuant la concurrence du réseau privé se concrétisera-t-il ? Dans un modèle démocratique, autant dans le domaine social qu’économique, l’école privée subventionnée a sa place. Elle permet de concurrencer l’école publique et de permettre le rehaussement des activités éducatives offertes quotidiennement par les acteurs du monde scolaire. Son dynamisme est contagieux et son ouverture quant à différents dossiers est exemplaire : élèves à besoins particuliers, nouvelles pédagogies, intégration des TIC, etc. [Note du carnet : Malheureusement cette concurrence est fortement bridée sur ce qui est du programme scolaire et du personnel enseignant, le tout étant soumis aux règles du MELS.] Ces écoles sont, pour la plupart, des organismes sans but lucratif, gérés de façon serrée, par un conseil d’administration. Le réseau privé est, en quelque sorte, l’incarnation de l’entrepreneuriat appliqué au milieu scolaire. C’est un milieu qui se soucie de sa clientèle pour survivre et qui met en place différentes mesures, par exemple, pour encadrer les élèves et faciliter la conciliation famille-travail. Si, entre autres, 20 % de la clientèle scolaire secondaire fréquente le réseau privé, c’est qu’elle y trouve quelque chose qu’elle ne trouve pas dans le milieu public.

Il est évident qu’un large débat doit être entrepris concernant le système d’éducation. Tout doit être discuté : financement, instauration d’un ordre professionnel des enseignants, intégration des outils technologiques à la pédagogie, etc. Le monde de l’éducation occidental est à la croisée des chemins et le Québec n’échappe pas à cette saine remise en question. Cependant, ce n’est pas en éliminant un réseau d’éducation parallèle [Note du carnet: relativement] privé que nous pourrons faire avancer la cause de l’éducation. Bien au contraire, ce qui est envisagé est plutôt d’appauvrir le milieu en procédant à l’ablation d’un de ses principaux organes. Ce sera un immense pas en arrière qui pourra inéluctablement être regretté dans un proche avenir.




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