mardi 23 mai 2023

France — Catholicisme en forte perte de vitesse, les sans religion, protestants évangéliques et musulmans augmentent

L’enquête Trajectoires et origines de l’Insee rendue publique en avril est une précieuse source d’informations sur l’évolution des religions en France. La Croix résume : « L’historien Guillaume Cuchet en liste quelques-unes : chute du catholicisme, montée des évangéliques et de l’identitarisme juif. »  Étrangement ce résumé omet l’augmentation rapide du nombre de musulmans (de 2 % à 9 % en 12 ans…).
 

Selon la nouvelle étude Trajectoire et origines de l’Insee, les catholiques déclarés en France sont passés de 43 % à 25 % en douze ans.
 
Une information chassant l’autre, on ne s’est guère attardé sur les enseignements religieux de l’enquête Trajectoires et origines de l’Insee, dite TEO 2, qui portent sur des données datant de 2019-2020 et qui a été rendue publique en avril. La comparaison avec les données issues de TEO 1 de 2007-2008 est pourtant instructive.

Le premier constat est que les choses évoluent très rapidement depuis douze ans. C’est d’autant plus sensible que l’enquête porte sur les 18-59 ans et pas sur la totalité de la population, c’est-à-dire des personnes nées après 1960, ligne de partage des eaux désormais bien repérée par les historiens. On a affaire à des générations sans grand passé religieux ou issues de l’immigration disponibles pour de profondes réorganisations.

Déclin du catholicisme
 
Les grandes tendances déjà perceptibles dans TEO 1 s’accentuent. La seule vraie nouveauté est la croissance spectaculaire des protestants évangéliques. On peut en distinguer cinq principales. La première est la hausse des sans-religion déclarés qui passent de 45 à 53 %. Avec eux, on est dans un processus classique de « sortie de la religion » tel que le décrivent depuis le XIXe les théoriciens de la sécularisation, d’Auguste Comte à Marcel Gauchet.

La deuxième est le déclin du catholicisme, qui passe de 43 à 25 %, soit une quasi-division par deux en douze ans. La « crise des abus sexuels dans l’Église » a amplifié la tendance mais ne l’a pas créée. Ce n’est plus de déclin qu’il faut parler mais d’effondrement, et nul ne peut dire à quel niveau se fera la stabilisation.

Anciens catholiques : pourquoi quittent-ils l’Église ?
 
La troisième est la forte montée des « autres chrétiens », de 2,5 à 9 %, surtout des protestants évangéliques. C’est la plus forte progression depuis TEO 1. La quatrième est la progression des musulmans, qui passent de 8 à 11 %, moins par conversions d’éléments extérieurs que par reproduction de l’identité et de la ferveur à l’intérieur du monde musulman. 26 % des femmes portent le voile.

Le judaïsme, la religion la plus identitaire
 
La cinquième tendance est le caractère de plus en plus identitaire et fervent du judaïsme. C’est même, à bien des égards, la religion la plus « identitaire » de France, si l’on en croit l’enquête. Les succès de librairies spirituels de la rabbin libérale Delphine Horvilleur ne doivent pas donner le change de ce point de vue sur les tendances dominantes du groupe. 
 
Le bouddhisme enfin reste stable, à 0,5 % des Français.

L’enquête délivre par ailleurs des enseignements instructifs sur les moteurs du changement religieux en France. L’immigration joue un rôle croissant, à la fois parce qu’elle reste massive (plus de 10 % d’immigrés) et parce que le groupe central de la société française sans ascendance migratoire, souvent d’origine catholique, est de plus en plus sécularisé. Elle recompose puissamment la religion qui reste. Le point n’est pas sans importance pour comprendre les impressions collectives qui accompagnent le processus : un grand nombre de Français regardent d’assez loin ces recompositions qui leur paraissent secondaires, liées à l’immigration et ne modifiant pas le sens de leur histoire qui continue de se ramener, bien souvent, à la sortie du catholicisme.

Transmission

Deuxième facteur important, le taux de reproduction spirituelle des groupes, c’est-à-dire leur capacité à transmettre leurs convictions à la génération suivante. Il est lié à la dimension identitaire de la religion et à la ferveur. Le meilleur est celui de l’islam (91 %), le moins bon celui du catholicisme (67 %), mais celui des évangéliques (69 %) est plus près des seconds que des premiers. Les Églises évangéliques sont aussi des Églises dont on sort, ce qui rend d’autant plus spectaculaire leur progression.

Le troisième facteur est l’efficacité du prosélytisme, c’est-à-dire la capacité à faire des convertis. Elle est surtout évangélique, l’islam ayant tendance à se spécialiser dans la reconversion identitaire de populations d’origine musulmane. La croissance des évangéliques est aussi liée à l’immigration parce que les zones de départ, en Afrique par exemple, ont été touchées par la révolution évangélique de ces dernières décennies et que les migrants arrivent déjà convertis. Le dernier facteur est l’inégale dynamique démographique des groupes, notamment à la deuxième génération, avant l’alignement tendanciel de la troisième sur les standards hexagonaux.

Déclassement annoncé

De toutes ces tendances, il ressort que le paysage religieux français au sens de répartition des cultes déclarés, qui n’avait guère bougé dans ses grandes lignes depuis le XVIIe siècle et qui avait résisté à la Révolution française, à la révolution industrielle, aux deux guerres mondiales, à l’effondrement de la pratique depuis les années 1960, est en train de changer profondément sous nos yeux. En 1872, dans le dernier recensement public à avoir comporté officiellement une rubrique religieuse, plus de 97 % des Français avaient répondu qu’ils étaient catholiques romains et on en était encore pratiquement là au début des années 1960.

Dans TEO 2, ils ne sont plus que 25 % à le dire, et la réduction n’est pas terminée. Dans ces conditions, il n’est pas sûr que le catholicisme reste encore longtemps la première religion du pays. À terme, il pourrait passer au deuxième, voire au troisième rang des religions en France. Un déclassement annoncé qui, étrangement, suscite peu de commentaires dans l’Église, comme si les évêques, sonnés par la crise des abus sexuels, ne savaient plus qu’assister, muets et impuissants, à l’effondrement.
 
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