Le bilan des pertes russes et ukrainiennes est l’un des secrets les mieux gardés de cette guerre, dont c’est un paramètre majeur. La question de leur « acceptabilité » dans les deux sociétés l’est tout autant.
Entre 40 et 60 % des premiers militaires ukrainiens que nous avons formés sur le sol français en 2022 ne répondent plus, lâche une bonne source. « Nous pensons que la plupart se taisent parce qu’ils sont déjà morts au combat. » Les formateurs français ayant noué des liens avec leurs élèves ukrainiens en sont réduits à des supputations. Car interroger les autorités militaires de Kiev à ce sujet déclenche leur colère, racontent ceux qui s’y sont risqués. Le bilan des pertes ukrainiennes reste le secret le mieux gardé du président Volodymyr Zelensky, même si, d’après tous les indicateurs périphériques disponibles, il ne fait aucun doute que le nombre des morts et des blessés a explosé depuis la fin de l’été. On vient, par exemple, d’apprendre que le nombre des étudiants avait bondi de 82 % en quelques mois, car ce statut permet d’échapper aux mobilisations qui s’enchaînent.
Au fil de la dizaine d’appels à servir le drapeau bleu et jaune réalisés depuis le début de la guerre, les résultats ont beaucoup baissé. Malgré les renforts, les rangs des unités se sont éclaircis. Les neuf brigades reconstituées avec l’aide de l’OTAN en vue de la future offensive du printemps alignent entre 2 500 et 3 000 hommes, quand les standards otaniens oscillent entre 5 000 et 8 000. Lorsqu’ils sont loin des journalistes et des communicants, les opérationnels ukrainiens dressent pour leurs interlocuteurs étrangers un tableau militaire plus conforme aux informations brutes qui proviennent du front qu’aux éléments de langage colportés sans nuance par les chaînes d’info occidentales. Dans le Donbass, pendant tout l’hiver, confirment-ils, leurs hommes ont subi la pression russe. Les unités au contact étaient en permanence dans la position « du faible au fort » en raison de la « supériorité absolue de leurs feux ».
Au fil de la dizaine d’appels à servir le drapeau bleu et jaune réalisés depuis le début de la guerre, les résultats ont beaucoup baissé. Malgré les renforts, les rangs des unités se sont éclaircis. Les neuf brigades reconstituées avec l’aide de l’OTAN en vue de la future offensive du printemps alignent entre 2 500 et 3 000 hommes, quand les standards otaniens oscillent entre 5 000 et 8 000. Lorsqu’ils sont loin des journalistes et des communicants, les opérationnels ukrainiens dressent pour leurs interlocuteurs étrangers un tableau militaire plus conforme aux informations brutes qui proviennent du front qu’aux éléments de langage colportés sans nuance par les chaînes d’info occidentales. Dans le Donbass, pendant tout l’hiver, confirment-ils, leurs hommes ont subi la pression russe. Les unités au contact étaient en permanence dans la position « du faible au fort » en raison de la « supériorité absolue de leurs feux ».
Trois fois plus d’artillerie russe
Ces témoignages recoupent les calculs des rapports de force effectués par les militaires français. Selon eux, au Donbass, les Russes disposeraient d’environ trois fois plus de tubes d’artillerie que les Ukrainiens. Qui, de surcroît, pâtissent d’un autre handicap, de notoriété publique : les stocks de leurs alliés ont fondu et leur capacité industrielle est lente à remonter en puissance. Actuellement, quand les attaquants russes tirent en moyenne 15 000 coups par jour, les défenseurs ukrainiens répliquent par 5 000 coups. Comme la majorité des morts et des blessés de cette guerre est causée par l’artillerie, certains spécialistes contestent que les pertes soient équivalentes dans les deux camps comme l’affirment les officiels américains. Qui viennent de réviser leurs estimations. En janvier, ils annonçaient environ 100 000 morts et blessés de part et d’autre. Début mai, ils évoquent « au moins 200 000 et peut-être 250 000 morts et tués ». C’est une confirmation que la guerre des tranchées est particulièrement meurtrière. À Bakhmout, chaque camp assure étriller l’autre.
« Oui, les Ukrainiens ont moins de canons, mais leurs modèles sont beaucoup plus performants et leurs servants les utilisent mieux », rétorquent les partisans du bilan « équilibré », en référence aux Caesar français et aux Himars américains livrés à Kiev. Ceux qui minimisent les effets de ces armes (« trop peu nombreuses ») avancent que les Ukrainiens auraient perdu au cours des huit derniers mois a minima deux fois plus d’hommes que les Russes. Les ratios se seraient donc inversés par rapport au début de la guerre, où les attaquants, en position d’infériorité tactique et numérique, ont eu beaucoup plus de tués et de blessés, notamment parmi leurs forces spéciales et leurs officiers, habitués à commander au feu.
[Notons aussi que « ces derniers mois, les systèmes [Himars] ont été rendus de moins en moins efficaces par le blocage intensif des Russes, ont indiqué à CNN cinq sources américaines, britanniques et ukrainiennes » et « Ces derniers mois, la Russie a contrecarré plus fréquemment les systèmes de roquettes mobiles de fabrication américaine en Ukraine, en utilisant des brouilleurs électroniques pour désactiver le système de ciblage guidé par GPS et faire en sorte que les roquettes manquent leur cible, ont déclaré à CNN plusieurs personnes informées de la question.» Asia Times de Hong Kong qui cite Forbes et le Royal United Services Institute de Londres : « La Russie gagne la guerre électronique en Ukraine. Les capacités de guerre électronique de la Russie ont décimé les drones ukrainiens »]
Les derniers chiffres des pertes communiqués par Moscou, en septembre 2022, étaient à l’évidence sous-évalués : 5 900 morts, 3 800 blessés. Cependant, les autorités ne cherchent pas vraiment à dissimuler le coût humain de leur guerre. Elles incitent d’ailleurs la population à rendre hommage à ses « héros ». L’antenne russe de la BBC, en partenariat avec un média indépendant, a pu éplucher les listes nécrologiques publiques et visiter les cimetières pour s’en faire une idée plus précise. À la fin février, ses journalistes ont confirmé la mort certaine d’environ 15 500 soldats et en ont déduit une fourchette de 45 000 à 60 000 blessés (selon le ratio militaire : un mort pour trois ou quatre blessés). Le total recoupe la première estimation américaine.
Profondeur stratégique…
Dans cette « guerre d’attrition » (d’épuisement du potentiel humain et matériel ennemi, en langage militaire [simplement « guerre d'usure » en français, attrition est le terme anglais]), la Russie dispose d’un avantage majeur sur l’Ukraine. Son réservoir de population est trois fois et demie plus important (143 millions d’habitants [146 selon Rosstat] contre 41 millions [en 2021, probablement proches de 30 millions en 2023]). Toutefois, la question de l’« acceptabilité » de morts est sans doute plus sensible chez les Russes, qui ne se battent pas directement pour défendre leurs frontières et leurs terres et ne sont pas dos au mur, comme les Ukrainiens. Tant que l’appel au volontariat, à des conditions financièrement très attractives, suffira pour combler les rangs, Vladimir Poutine s’en contentera sûrement et les généraux devront adapter leur stratégie en conséquence. Devant le Congrès des États-Unis, début mai, le général Christopher Cavoli, qui commande les troupes américaines en Europe et est, à ce titre, chef militaire de l’OTAN, a douché l’enthousiasme d’un élu se félicitant de la dernière estimation des pertes russes communiquée par le Pentagone : « Une grande partie de l’armée russe n’a pas été affectée par ce conflit. »
Source : Valeurs actuelles
Voir aussi
Soldat de Kiev : « Il sort son téléphone et parcourt une série de photos : "Tué... tué... tué... tué... tué... tué... blessé. . . . Maintenant, je dois m'habituer à d'autres personnes. C'est comme si je repartais à zéro." » [Reportage dans les tranchées kiéviennes par le New Yorker (en anglais)]
L'Ukraine a envoyé des hommes pauvres et peu entraînés dans le hachoir à viande de Bakhmout afin de conserver ses meilleures forces pour la contre-offensive promise. Un homme a déclaré au Wall Street Journal qu'il n'avait jamais tenu une arme avant d'être envoyé au combat.
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