vendredi 20 mai 2022

«Chez les catholiques pratiquants réguliers, le vote contestataire est désormais dominant»

Une étude de l’IFOP pour La Croix montre que quatre électeurs catholiques sur dix ont voté Marine Le Pen ou Éric Zemmour, et 69 % des musulmans pour Jean-Luc Mélenchon. Le politiste Yann Raison du Cleuziou, spécialiste des religions, analyse ces résultats. « Les catholiques et encore plus les catholiques pratiquants ont un très fort niveau de participation électorale », explique Yann Raison du Cleuziou. Yann Raison du Cleuziou est politiste, maître de conférences à l’université de Bordeaux — Institut de Recherche Montesquieu.


 

LE FIGARO. — Selon une étude IFOP pour La Croix, Marine Le Pen et Éric Zemmour réalisent, au total, 40 % chez les catholiques. Que vous inspire ce chiffre ? Faut-il voir, chez une partie des catholiques, le signe d’une hantise du déclin ?

Yann RAISON DU CLEUZIOU. — Pour interpréter le vote des catholiques, il faut déjà se demander de quels catholiques parle-t-on? Le catholicisme renvoie à des idées, à des identités, et à des formes d’appartenance extrêmement variables dans la société française. Selon les différentes études, entre 45 et 50 % de la population française de 18 ans et plus se déclare catholique. En même temps, seulement 1,8 % des catholiques vont à la messe de manière hebdomadaire.

Par ailleurs, tous les catholiques électeurs ne sont pas des électeurs catholiques. Autrement dit, tous les électeurs catholiques ne votent pas en fonction de leur appartenance religieuse. Il faut faire attention à ne pas surinterpréter la dimension religieuse du vote des catholiques. Une enquête de l’IFOP publiée par La Vie en mars 2022 montre que seulement 22 % des électeurs catholiques pratiquants considèrent que leurs convictions religieuses ont beaucoup d’influence dans leurs choix électoraux.

Depuis la publication des travaux de Guy Michelat et Michel Simon (1977), on sait que tendanciellement, les catholiques pratiquants votent bien plus à droite que le reste de la population française. Au premier tour d’une élection présidentielle sous la Ve République, ils ont toujours voté à 65 ou 70 % pour les différents courants de droite, mais le Front national n’en a jamais profité. En revanche, cette résistance où cette réserve ne se retrouve pas chez les catholiques non-pratiquants qui, depuis les années 1990 votent au-dessus des moyennes nationales pour le Front national.

En ce qui concerne les catholiques non-pratiquants, leur engouement pour le Rassemblement national augmente à mesure que ce parti continue de percer dans le corps électoral français. La nouveauté est ailleurs : les réserves que pouvaient avoir les pratiquants à l’égard du RN sont en train de s’estomper : 21 % d’entre eux ont choisi Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2022. C’est donc un clair alignement sur les tendances nationales, même s’ils restent encore juste en deçà.

— Si seulement 7 % des non-pratiquants ont voté Zemmour, ils sont 10 % parmi les pratiquants occasionnels et 16 % parmi les réguliers. Dans un contexte d’effondrement statistique, le catholicisme se recompose sur ceux qui restent, les plus fervents et conservateurs ?

— Le score d’Éric Zemmour chez les pratiquants réguliers, soit plus du double de la moyenne nationale, montre une radicalisation de cette frange du catholicisme. Par ailleurs, une enquête pour La Vie de mars 2022 montrait que ce vote pour Zemmour repose sur une dynamique spécifiquement religieuse : 71 % des électeurs catholiques qui votent pour lui le font au nom de leurs convictions religieuses.

C’est très différent du vote Marine Le Pen puisque la candidate du RN obtient 21 % chez les pratiquants réguliers, 26 % chez les pratiquants occasionnels, et 29 % chez les non pratiquants. Plus il y a un détachement de la pratique religieuse, plus le vote en faveur de Marine Le Pen augmente, au contraire du vote Zemmour.

Éric Zemmour a permis la structuration politique d’une droite catholique conservatrice, et par sa rhétorique (le « grand remplacement ») il a contribué à la tirer vers l’extrême droite. Cela s’explique par plusieurs facteurs. Des facteurs politiques liés à la reconfiguration partisane d’abord. Les courants catholiques conservateurs, qui se sont réaffirmés depuis la Manif pour tous, se sont dispersés après 2013 dans tous les partis de droite. Dans ces formations, les catholiques conservateurs (Sens Commun chez LR, le Cercle Fraternité au RN…) ont été mis en échec et marginalisés. Éric Zemmour a accordé à ces réseaux catholiques conservateurs une place centrale, une notabilité qu’ils ne parvenaient pas à avoir dans leur précédent parti. Jean-Frédéric Poisson ou Laurence Trochu n’ont jamais eu autant d’exposition médiatique que depuis leur ralliement à Reconquête !

Les catholiques conservateurs sont conscients du déclin du catholicisme, mais ils ont le sentiment qu’ils sont les seuls à anticiper les effets sociaux profonds que ce déclin va susciter.

Yann Raison du Cleuziou

Cet engouement repose aussi sur le positionnement d’Éric Zemmour et la manière dont il construit les enjeux politiques. Il accorde une place cardinale au catholicisme dans la définition des défis politiques que la France doit relever dans les prochaines décennies. Pourquoi ? Parce qu’il fait du catholicisme l’origine de l’identité nationale. Il en fait ensuite la matrice des formes de gouvernement qui existent en France, lesquels accordent une grande importance à la liberté politique et à la laïcité. Enfin, il en fait le marqueur des mœurs majoritaires. Par conséquent, pour Éric Zemmour, l’effondrement statistique du catholicisme pose des problèmes fondamentaux à la France. Et ces problèmes sont selon lui aggravés par des flux migratoires qui tendent à importer une autre forme de civilisation sur le territoire, une forme de civilisation qu’il identifie à l’islam. Ce discours a été abondamment mis en scène, et suscite un engouement certain chez les catholiques qui pensent que leur religion à une dimension civilisationnelle.

Les catholiques conservateurs sont conscients du déclin du catholicisme, mais ils ont le sentiment qu’ils sont les seuls à anticiper les effets sociaux profonds que ce déclin va susciter. Cette indifférence les accable. Éric Zemmour vient leur apporter de la reconnaissance et les confirmer dans leur vision de la décadence de la France.

— Aussi, 29 % des catholiques ont voté pour Emmanuel Macron, et le vote de gauche n’a pas disparu, y compris chez les pratiquants réguliers, comme cela a pu être parfois avancé. Comment l’expliquez-vous ?

— Emmanuel Macron fait un score tout à fait honorable parmi les catholiques pratiquants réguliers, avec 25 % des voix. Cela reste en deçà des moyennes nationales. Et en 2017, François Fillon obtenait dans le même électorat 55 % des voix au premier tour. Le président sortant ne parvient donc pas à mobiliser derrière lui les catholiques pratiquants qui partagent un positionnement de centre-droit ou un attachement à une droite de gouvernement raisonnable dans son conservatisme.

Chez les électeurs catholiques pratiquants, il y a toujours entre 20 et 25 % de voix qui vont à gauche.

Yann Raison du Cleuziou

Grâce à cette enquête IFOP/La Croix, on observe que le vote contestataire est désormais dominant, à plus de 60 %, chez les catholiques pratiquants réguliers alors qu’auparavant le vote pour les partis de gouvernement était la tendance dominante. C’est un phénomène majeur qui nécessite de nouvelles investigations pour être bien compris. Je pense qu’il peut y avoir un effet de la pandémie de Covid-19. La restriction des libertés publiques et religieuses, la surexposition aux réseaux sociaux, la montée en puissance d’un pouvoir médical dont les catholiques se méfiaient déjà en raison de leur expérience des débats bioéthiques, ont sans doute favorisé une exaspération dans le rapport aux institutions.


 

Jean-Luc Mélenchon, lui, a considérablement augmenté son vote. Cette dynamique est encore plus forte que celle du vote pour Éric Zemmour, mais est moins liée à des considérations religieuses.

Chez les électeurs catholiques pratiquants, il y a toujours entre 20 et 25 % de voix qui vont à gauche. Cette année, le candidat LFI a réussi à prendre un leadership sur toutes les autres candidatures de gauche. La logique de vote utile a fonctionné parmi les catholiques pratiquants. De plus, un certain nombre de personnalités catholiques, comme l’économiste et jésuite Gaël Giraud ou Samuel Grzybowski, cofondateur de la Primaire populaire, avaient appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon.

— En termes de participation, 78 % des catholiques ont mis un bulletin dans l’urne. Est-ce lié à un sens du civisme plus prononcé ou en raison du statut social des catholiques, en moyenne plus favorisés que le reste des Français ?

— Le très fort civisme des catholiques est un fait établi. C’est un constat qui se renouvelle à chaque élection. Les catholiques et encore plus les catholiques pratiquants ont un très fort niveau de participation électorale. Cela s’explique, historiquement, par une forte conscientisation de l’enjeu moral qu’est la participation à la vie de la cité politique. Ils ont un vrai sens du devoir, et de la culpabilité lorsqu’ils ne peuvent pas participer.

Les travaux de Claude Dargent ou de Vincent Tiberj ont montré que les Français musulmans votent, de manière massive et quasi unanime pour la gauche.

Yann Raison du Cleuziou

Ce phénomène est aussi lié à leur intégration sociale, lié à la classe sociale ou à l’âge. Il ne faut pas oublier que la pyramide des âges du catholicisme est inversée. Les retraités constituent de forts bataillons du catholicisme. Et il est connu que les retraités ont aussi un fort niveau de participation électorale.

— Par ailleurs, 69 % des Français musulmans ont voté Jean-Luc Mélenchon. Est-ce un vote d’adhésion, lié au projet économique du candidat notamment, ou un rejet d’Éric Zemmour et Marine Le Pen, qui ont en partie fait campagne sur la crainte de voir la France s’islamiser ?

— Les travaux de Claude Dargent ou de Vincent Tiberj ont montré que les Français musulmans votent, de manière massive et quasi unanime pour la gauche. Cette orientation électorale s’inscrit dans la longue durée. C’est pourquoi leur choix pour Jean-Luc Mélenchon n’a rien d’exceptionnel, et il ne faut pas le surinterpréter.

Claude Dargent a par ailleurs expliqué que ces Français ne votent pas en raison de leur foi, mais en raison de leur positionnement social et de leur environnement professionnel. L’expérience de la précarité et la mémoire ou l’expérience des migrations par exemple, nouent leur alliance avec les gauches plus que leur positionnement religieux. [C’est vrai en partie, les musulmans demandent plus d’interventions de l’État, mais c’est une explication lacunaire, l’abandon de la volonté d’assimilation républicaine et de la laïcité militante par les Insoumis a rapproché Mélenchon des musulmans, voir : « Il est le seul qui a défendu les musulmans ».]


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