vendredi 20 décembre 2019

Le régime de Kagamé essaie de réécrire l'histoire


En rendant, l’an dernier, un non-lieu en faveur de proches du président rwandais Paul Kagamé poursuivis pour leur rôle dans l’attentat contre le Falcon de l’ancien chef d’État hutu Juvénal Habyarimana, la justice française a officiellement clos vingt ans d’enquête chaotique sur l’événement déclencheur du génocide de 1994. L’équipe Macron avait également obtenu d’imposer une Rwandaise à la tête de la Francophonie alors que le régime de Kagamé (exilé éduqué en anglais à l’étranger revenu au Rwanda, francophobe notoire) a remplacé d’autorité le français par l’anglais dans l’administration et l’enseignement ! 

Le régime autoritaire de Kagamé est accusé d’avoir trafiqué ses statistiques économiques pour présenter sous un jour favorable son bilan. Il est « très probable » que les chiffres relatifs à la pauvreté aient été manipulés au Rwanda, selon le quotidien britannique Financial Times. La Banque mondiale aurait été alertée par plusieurs de ses employés dès 2015 sur ce fait. Le miracle économique rwandais a été remis en cause à plusieurs reprises par les universitaires, notamment en 2015, après la publication de statistiques montrant un taux de pauvreté qui avait baissé de six points entre 2011 et 2014.

Des chercheurs et historiens poursuivent néanmoins leur travail, à rebours des « vérités » martelées par le régime de Kigali et de nombreux médias français. C’est le cas de Charles Onana, un proche du journaliste d’enquête Pierre Péan (disparu en juillet 2019).  Nourri par des archives inédites, il vient de publier une somme sur l’intervention controversée de la France, et plus largement sur la stratégie de conquête du pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) de Kagamé. 
 
Entretien avec le chercheur et journaliste Charles Onana.

Marianne — C’est votre sixième ouvrage traitant de la tragédie rwandaise. Pourquoi ?

Charles Onana — Par curiosité intellectuelle et parce qu’un immense doute m’habite sur le brouillard entretenu autour de l’assassinat de deux chefs d’État, Juvénal Habyarimana, du Rwanda, et Cyprien Ntaryamira, du Burundi, et de l’ensemble de l’équipage français du Falcon, le 6 avril 1994. Les zones d’ombre et la censure palpable dès que l’on commence à poser des questions sur cet assassinat m’ont convaincu de chercher davantage. En 2005, la procureure générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Carla Del Ponte, à La Haye, m’a fait des confidences sur les obstacles déployés par Paul Kagamé, l’ONU et les États-Unis contre les enquêtes spéciales qu’elle avait lancées sur le rôle des membres du FPR dans les massacres. Elles ont achevé de me convaincre qu’il fallait aller plus loin et être patient pour découvrir la vérité. Selon vous, tout ce qui a été écrit sur l’opération « Turquoise », l’intervention française au Rwanda, relevait de mensonges.

— Quels nouveaux éléments apportez-vous pour le démontrer ?

Les accusations contre les militaires et les dirigeants français de l’époque ont toujours été considérées comme des évidences. Pourtant, leur examen serré prouve qu’aucune ne résiste au doute cartésien. Après les avoir étudiées pendant plus de dix ans, je suis obligé de constater qu’elles relèvent tantôt du mensonge, tantôt de la calomnie, voire des deux. Par exemple, soutenir que les militaires de l’opération Turquoise ont exfiltré les membres du gouvernement intérimaire au Zaïre en 1994 n’est corroboré par aucun fait précis, aucun document, ni aucune preuve. Autre exemple, le régime de Kigali et plusieurs journalistes, dont Patrick de Saint-Exupéry, ont prétendu que les militaires de Turquoise auraient livré des armes aux militaires des Forces armées rwandaises (FAR) au Zaïre. Mais ils ne présentent aucun élément rigoureux ! Même l’officier de Turquoise Guillaume Ancel, venu soutenir avec beaucoup de zèle cette accusation, est incapable de donner des détails sur ces allégations. Les archives américaines auxquelles j’ai eu accès montrent que les services de renseignement des États-Unis n’ont trouvé aucune preuve tangible de ces livraisons d’armes.

En revanche, celles de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) révèlent que des officiers supérieurs [y compris le Canadien Dalaire qui a beaucoup à se reprocher] de la mission d’observation de l’ONU savaient que le FPR, pendant les accords de paix d’Arusha [entre le FPR et l’État rwandais], faisait entrer des armes clandestinement au Rwanda, via la frontière ougandaise, pour préparer la guerre contre le régime du président Habyarimana. De même, après l’assassinat de ce dernier, le FPR a bénéficié de l’aide militaire et diplomatique des États-Unis pour asseoir son pouvoir et diaboliser ses adversaires politiques, en les traitant collectivement de « génocidaires ». Beaucoup ont néanmoins été acquittés de cette accusation devant le TPIR. D’autres puissances, comme le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande, ont suivi Washington dans cette stratégie visant à installer le FPR et Kagamé au pouvoir par la violence, plutôt que d’appliquer les accords de paix qui consacraient le partage du pouvoir entre Hutus et Tutsis.


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— Vous relisez la tragédie d’un point de vue politique et social, et pas seulement ethnique, et la resituez parmi les enjeux internationaux, plutôt qu’à l’aune d’une vision franco-française…

Les chercheurs qui ont pris le génocide comme centre d’explication de la tragédie rwandaise sont hors sujet. Ce n’est pas le génocide qui permet de comprendre ce qu’il s’est passé au Rwanda, mais plutôt la conquête du pouvoir par les armes et, ensuite, le contrôle des ressources minières du Zaïre, car ceux qui ont soutenu le FPR comptaient se faire payer sur les mines de coltan et de diamant de l’est du Zaïre. Plusieurs pays et puissances étaient donc impliqués dans cette tragédie, pas seulement la France. Soyons clairs : c’est la décision du FPR, en octobre 1990, de renverser militairement le régime de Habyarimana qui a conduit la France à intervenir pour empêcher un bain de sang dans le pays. Et pour inciter en même temps ce régime à ouvrir des négociations avec l’opposition armée et non armée. Le FPR a d’ailleurs remercié le président François Mitterrand pour cette dernière initiative ! En outre, c’est pour éviter que la conquête du pouvoir ne dégénère en affrontement armé entre le gouvernement hutu et la rébellion tutsie que la Minuar a été instaurée en 1993 au Rwanda. Enfin, si l’opération Turquoise a été enclenchée, c’est bien en raison du désastre humanitaire provoqué par l’effondrement de l’État, après l’assassinat de Habyarimana, le 6 avril 1994, suivi de la lutte armée et des massacres de civils. Ceux qui cherchent des explications uniquement à travers le génocide ne les trouveront jamais. C’est ce que deux chercheurs américains de l’université du Michigan, Allan Stam et Christian Davenport, ont démontré, créant un grand malaise parmi leurs collègues, surtout les plus dogmatiques, qui ont bâti leur notoriété sur le génocide. Ces deux spécialistes des conflits armés sont censurés au Rwanda, aux États-Unis et en Europe alors qu’ils ont creusé un sillon pour faire évoluer le débat scientifique sur les massacres de 1994. C’est dans la même optique que je propose de sortir d’une polémique stérile franco-rwandaise ou franco-française pour analyser la dimension politique et géopolitique du conflit rwandais et ses conséquences sur l’impunité de certains acteurs majeurs dans le drame qui pèse encore sur la région des Grands Lacs plus de vingt-cinq ans après.

— Le développement du Rwanda depuis la victoire de Kagamé ne rend-il pas très compliquée la tâche de ceux qui s’obstinent à établir la responsabilité du FPR avant et après 1994 ?

Le régime de Kagamé essaie de réécrire l’histoire en étouffant la vérité et en intimidant, grâce à ses relais, des journalistes et des chercheurs s’opposant à la version officielle des faits. De plus, il a profité de la paralysie des gouvernements français et européens sur le génocide pour jouer de l’émotion suscitée par les horreurs diffusées par les médias en 1994. Accepter d’interroger froidement la réalité du développement apparent du Rwanda, comme celle des tragiques événements de 1994, revient à interroger le rôle de Kagamé et celui de ses soutiens dans le massacre de millions de Congolais, révélé, depuis 2001, par des rapports d’experts de l’ONU, et dans le pillage de la République démocratique du Congo [et ses millions de morts qui ne sont, eux, pas instrumentalisés...]


Source : Marianne

 


Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise :
Quand les archives parlent
de Charles Onana
paru le 30 octobre 2019

chez L’Artilleur
à Paris
688 pp.
ISBN-13 : 978-2810009176


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