dimanche 13 septembre 2009

Histoire au Québec : obsession pour le XXe siècle

Extraits d'un article de Christian Rioux dans Le Devoir, les intertitres sont de nous :
Plus de spécialiste de la Conquête au Québec

Ironie du sort, l'auteur de cet article a pu constater que la plupart des historiens québécois ne connaissaient même pas le principal ouvrage publié ces dernières années en Europe sur la guerre de Sept Ans, dont la bataille des Plaines d'Abraham fut un épisode. Il s'agit du livre de Jonathan F. Dull intitulé La Guerre de Sept Ans, Histoire navale, politique et diplomatique (Les Perséides).

« On ne trouve plus de spécialistes de la Conquête dans les grandes universités québécoises », dit Charles-Philippe Courtois, qui accuse les partisans de l'histoire dite « sociale » d'avoir tout balayé sur leur passage.

Triomphe de l'école sociale et, par défaut, de l'école de Québec

Courtois rappelle que, dans les années 60, s'affrontaient les partisans de deux grandes écoles historiques. Il y avait d'abord l'école de Montréal (Maurice Séguin, Michel Brunet, Guy Frégault), pour qui la Conquête était une catastrophe politique, un moment déterminant. Il y avait ensuite l'école de Québec (Jean Hamelin, Fernand Ouellet, Marcel Trudel), pour qui la Conquête représentait un progrès démocratique. « Les partisans de l'histoire sociale ont renvoyé ces deux courants dos à dos, dit Courtois. Mais au fond, lorsque les partisans de l'histoire sociale ont affirmé que, par exemple, l'industrialisation était plus importante qu'un événement politique comme la Conquête, c'est l'école de Québec qui a triomphé, par défaut. Pourtant, 250 ans plus tard, que peut-on comprendre aux Québécois si l'on fait abstraction du fait qu'ils vivent dans un monde anglophone depuis 250 ans ? »

Seuls 5 % des cégépiens étudient l'histoire du Québec

Mais le malaise est peut-être encore plus profond qu'on ne le croit. L'an dernier, c'est dans l'indifférence que furent accueillies les conclusions d'une enquête menée par Gilles Laporte. L'historien qui enseigne au cégep du Vieux-Montréal révélait que moins de 5 % des étudiants qui sortent du cégep suivaient un cours d'histoire du Québec. D'ailleurs, le cours intitulé Histoire du Québec est pratiquement en voie de disparition puisqu'il n'est enseigné que dans une dizaine d'établissements (sur 46 cégeps) et ne compte plus que pour 13 % des cours d'histoire donnés au cégep, contre 25 % en 1990.

Les meilleurs sur la rébellion sont en anglais

« L'histoire politique est en train de disparaître au Québec, dit Laporte. Dans certains domaines, comme l'histoire militaire, c'est encore plus grave. Les meilleures livres sur l'histoire des rébellions de 1837 et 1838 se publient en anglais. Plus généralement, le Québec est de moins en moins un objet d'étude dans les sciences humaines. Si les universitaires québécois n'étudient pas le Québec, qui va le faire ? » Selon Laporte, il n'y en a plus que pour l'international dans les universités et les cégeps québécois. « On confond l'étude de l'international avec l'ouverture au monde. On peut pourtant s'ouvrir sur le monde en prenant appui sur sa propre histoire. » D'ailleurs, les programmes obligatoires du cégep ne font référence nulle part à l'importance du fait que l'étudiant comprenne la société dans laquelle il vit. Même les programmes de sciences humaines ne mentionnent pas cet objectif.

Déclin de l'histoire politique au Québec

Spécialiste du mouvement ouvrier, l'historien Robert Comeau a assisté au lent déclin de l'histoire politique au Québec. Les dizaines de diplômés dont il a dirigé la thèse de doctorat ne trouvent généralement pas d'emploi dans les grandes universités de Québec et de Montréal. « L'histoire politique est laissée aux chargés de cours, dit-il, alors que, par exemple, on enseigne l'histoire de la consommation en long et en large. Au Québec, les départements d'histoire voient d'un mauvais œil les historiens qui écrivent des biographies, contrairement à ce qui se passe dans les universités anglophones. La disparition de l'histoire politique au secondaire et au cégep n'est finalement que la conséquence de ce qui se passe dans les universités depuis 30 ans. »

Obsession pour le monde contemporain en histoire

Avec plusieurs collègues, Comeau a fondé la Coalition pour la promotion de l'histoire au Québec. Celle-ci réclame que l'histoire soit dorénavant enseignée à chaque année du secondaire, indépendamment de l'éducation civique à laquelle elle est actuellement intégrée. La coalition réclame que l'obtention du DEC soit soumis à la réussite obligatoire d'un cours d'histoire du Québec. Afin de relancer la recherche, les membres de la coalition souhaitent aussi la création d'une section consacrée à l'histoire du Québec à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS).

L'historien José Igartua,[...] reconnaît [...] que « presque plus personne ne travaille sur 1760. Il n'y a que le XXe siècle qui intéresse aujourd'hui. C'est ce que demandent les étudiants. » Selon lui, le Québec a suivi l'évolution des universités américaines, à la différence qu'à cause de la petitesse du milieu il n'y a pas de place pour deux spécialistes de la même période historique dans la même université.

[...]

On a jeté le bébé avec l'eau du bain

Spécialiste des États-Unis, l'historien français Jacques Portes connaît très bien le Québec, qu'il fréquente depuis les années 1960. « Partout, les historiens se sont intéressée à l'histoire sociale, dit-il. Mais, ici, on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Ce n'est pas du tout le cas en France, où l'histoire politique a traversé un creux dans les années 70 et 80, mais sans jamais disparaître. Avec le temps, l'histoire de l'école des Annales [fondatrice de l'histoire sociale] s'est beaucoup diversifiée, mais elle n'a jamais tué l'histoire politique, qui a encore toute sa place. Au Québec, le balancier n'est pas encore revenu de l'autre côté. »

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