mercredi 15 septembre 2021

Le wokisme, hérésie du progressisme et produit du nihilisme fait moralisme

Un succès de librairie américain enfin traduit en français nous raconte les origines et les principes des théories de l’identité du genre et de la race qui gangrènent l’université.

Une militante du groupe « Woke vote » se tient devant une statue d’Abraham Lincoln, en août 2020.

Une actrice qui compte « les noirs dans la salle », des pronoms neutres pour ne pas offenser, un autodafé de bandes dessinées jugées racistes, une pièce de théâtre interdite, une conférence annulée, des portraits d’ancêtres décrochés, des statues déboulonnées, des toilettes transgenres… ? Il ne se passe plus un jour sans que le militantisme woke ne fasse l’actualité.

« Privilège blanc » « masculinité toxique », « grossophobie », « intersectionnalité », « hétéronormativité » : leur jargon prétentieux envahit l’espace public. Leurs postures radicales sont tellement fantaisistes qu’on finit par se demander s’il s’agit d’une menace bien consistante ou bien d’une minorité d’activistes sans réel pouvoir. La lecture de l’essai des deux intellectuels américains Helen Pluckrose et James Lindsay Le Triomphe des impostures intellectuelles vient nous démontrer qu’il faut prendre très au sérieux la théorie qui anime ces nouveaux utopistes. Foisonnant de références (nos auteurs ont pris la peine de lire tous les prophètes de la théorie critique) et écrit dans un style peu littéraire, mais extrêmement clair, ce succès de librairie américain traduit pour la première fois en français est le livre qu’il faut lire pour tout comprendre aux racines et à l’ampleur du mouvement.

Des incohérences en pagaille

Au départ il y a la théorie : le postmodernisme. Pluckrose et Lindsay remontent aux origines de ce mouvement intellectuel né en France dans les années 1960 (et baptisé « French Theory » aux États-Unis) dont les Pères fondateurs furent Michel Foucault, Jacques Derrida et Jean-François Lyotard. Un credo : la déconstruction. Et deux grands principes : le principe postmoderne de connaissance, un scepticisme radical sur la possibilité même d’une connaissance objective (tout est construction sociale, y compris le savoir), et le principe politique postmoderne selon lequel la société est structurée par des systèmes de pouvoir (le patriarcat, le privilège blanc, etc.). Pouvoir partout, vérité nulle part. Ce « complot sans comploteurs », pour reprendre la formule de Boudon parlant de Bourdieu, se mue en délire paranoïaque : nos démocraties, loin d’être des sociétés égalitaires où s’est déployé un progrès unique au monde pour les femmes et les minorités seraient le théâtre d’une oppression aussi puissante que sournoise.

Pluckrose et Lindsay dégagent quatre grandes thématiques postmodernes : le brouillage des frontières, le pouvoir du langage, le relativisme culturel, la fin de l’individu et de l’universel. À l’université, la théorie, au service de la cause de la justice sociale se déploie dans divers départements : postcolonialisme, théorie de la race, théorie queer, études de genre, « fat studies » (« études de corpulence » sic). Le point commun entre ces domaines de recherche ? Indexer la science sur le militantisme, et fonder la recherche sur le nouveau « cogito victimaire » : « Je subis l’oppression, donc je suis… comme sont aussi la domination et l’oppression ».

Le tout enrobé d’un langage délibérément abscons puisqu’il s’agit d’œuvrer dans l’indéfinissable. « Si pendant un certain temps, la ruse du désir est calculable pour les usages de la discipline, bientôt la répétition de la culpabilité (…) des autorités fallacieuses et des classifications peut être considérée comme l’effort désespéré de normaliser formellement la perturbation d’un discours de clivage qui viole les prétentions rationnelles et éclairées de la modalité énonciative » écrit ainsi Judith Butler, la papesse du Queer. Vous n’avez rien compris ? C’est normal : chez les théoriciens de la justice sociale, le manichéisme simplificateur va de pair avec la sophistication intimidante.

Le monde universitaire, ce n’est pas comme Las Vegas — ce qui se passe à l’université ne reste pas cantonné à l’université

Helen Pluckrose et James Lindsay

Contrairement à la psychanalyste Élisabeth Roudinesco, qui dans son livre Soi-même comme un roi, tentait de disculper la French Theory des dérives identitaires de ses héritiers, Lindsay et Pluckrose démontrent la continuité entre les grands discours déconstructeurs des années 1960 et les fruits vénéneux du wokisme. Ils comparent les trois phases du postmodernisme à un arbre : le tronc, c’est la théorie, élaborée dans les années 1960-1970, les branches, c’est le postmodernisme appliqué (postcolonialisme, études queer, théorie critique de la race, études de genre, fat studies), et les feuilles de l’arbre c’est l’activisme proprement dit de justice sociale et ses méthodes de cancel culture. « Le monde académique, ce n’est pas comme Las Vegas — ce qui se passe à l’université ne reste pas cantonné à l’université » remarquent nos auteurs, qui soulignent que l’université, gagnée par la théorie devient « outil d’endoctrinement culturel nuisible à nul autre pareil ».

Nos auteurs ne manquent pas de relever les incohérences de la théorie. Ainsi elle professe un scepticisme absolu sauf en matière d’oppression conçue comme une réalité objective et irréfutable (Robin di Angelo, la papesse de la race, écrit ainsi : « la question n’est pas : “Y-a-t-il eu du racisme ?”, mais plutôt “Comment le racisme s’est manifesté dans cette situation ?” »). Elle brouille les frontières en permanence sauf quand il s’agit de la race. Elle prétend déconstruire tout essentialisme et multiplie les catégories (LGBTIQ). Surtout, point essentiel, on comprend à les lire le paradoxe d’un postmodernisme qui, parti du relativisme le plus radical, arrive au dogmatisme le plus extrême. Parce que justement, s’il n’y a de vérités que subjectives, c’est la dictature des ressentis qui s’installe.

Un échec du libéralisme

« Le nihilisme s’est fait moralisme » remarquait déjà Allan Bloom dans son chef-d’œuvre L’Âme désarmée, où il analysait dès 1987 les dérives à l’œuvre dans les universités américaines. Lindsay et Pluckrose dédouanent eux complètement le libéralisme progressiste des dérives du postmodernisme, et en font même l’antidote. De l’arbre du postmodernisme surgi brutalement dans les années 1960, ils oublient les racines. Pour le conservateur Allan Bloom il y a au contraire une continuité entre le principe d’ouverture radicale prônée par les démocraties libérales, l’idée progressiste de table rase et le terreau sur lequel s’épanouissent les rêves rageurs de déconstruction. Si l’éthique minimale promue par le libéralisme se veut une promesse de paix, elle échoue dans les faits à maintenir une société ensemble. Il n’y a pas de civilisation composée uniquement d’individus. Une société dont les rapports sont organisés uniquement par le marché et le droit, sans traditions ni transmission est vouée à l’implosion. 

Le délire woke n’est qu’une hérésie de la religion du progrès.

Source : Le Figaro


Le triomphe des impostures intellectuelles

Comment les théories sur l’identité la race, le genre gangrènent l’université et nuisent à la société,
par Helen Pluckrose et James Lindsay,
publié aux éditions H&o
paru le 3 septembre 2021,
à Paris,
380 pages,
ISBN-13 : 978-2845473843

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Extraits de La Grande Déraison ; Race, genre, identité de Douglas Murray

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Le wokisme se répand dans les entreprises, dans son ouvrage (La Grande Déraison) Douglas Murray indique :

L’activisme en faveur de la justice sociale est censé — à juste titre — être le paramètre par défaut de tous les employés des grandes entreprises et la plupart d’entre elles, y compris Google, font passer des tests aux candidats pour éliminer toute personne ayant des penchants idéologiques non conformes. Ceux qui ont passé ces tests confient avoir dû répondre à de multiples questions sur les problèmes liés à la diversité — sexuelle, raciale et culturelle — et témoignent que des réponses « correctes » à ces questions constituent la condition préalable à tout recrutement. La théorie de la « fragilité blanche »

La théorie de la « fragilité blanche » 

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