mercredi 7 avril 2021

Passé historique blanc : San Francisco débaptise 44 écoles (m-à-j : projet suspendu)

Le Conseil scolaire de la ville de San Francisco a voté à l’unanimité ce mardi la suspension du projet consistant à renommer un tiers de ses écoles publiques, y compris celles portant les noms des présidents George Washington et Abraham Lincoln, mettant ainsi fin à la controverse qui animait les débats depuis plusieurs mois.

En annulant le vote de janvier dernier, le conseil offre un répit à de nombreux San-Franciscains qui s’étaient déclarés outrés par ce projet de changement le nom des écoles publiques, considérant cette procédure comme irrespectueuse du processus de décision habituel.

A contrario, cette décision a bien évidemment été mal reçue par les militants qui espéraient que la ville n’honorerait plus des personnages historiques du pays qu’ils considèrent comme liés à la suprématie blanche, à la colonisation, à l’esclavage et à l’oppression.

Lorsque le conseil avait voté à la majorité absolue ces changements de nom en janvier, Jeremiah Jeffries, enseignant et chef du comité de changement de nom, ravi, déclarait : « Nous poursuivons sans vergogne la suprématie blanche ». Certains étudiants et familles du quartier se sont réjouis du fait que de nouveaux noms mettent en valeur des héros communautaires plus modernes.

« Nous reconnaissons que nous devons ralentir. Et nous devons être davantage à l’écoute de la communauté. Nous travaillons avec des enseignants pour impliquer et éduquer nos communautés scolaires sur tout processus de changement de nom d’établissement », indique Gabriela López, présidente du Conseil, dans un éditorial du San Francisco Chronicle.

Cette décision de suspendre le processus fait suite à l’action d’associations d’anciens élèves du secondaire et aux parties prenantes de la communauté, dirigées par l’avocat Paul Scott. Celles-ci poursuivaient le conseil scolaire afin qu’il annule le vote qu’il avait organisé pour renommer les écoles. Ces associations alléguaient que le conseil avait violé la loi Brown, qui régit la manière dont les réunions publiques doivent être menées et que le conseil avait refusé aux membres de la communauté scolaire de suivre la procédure régulière lors de la décision de changement de nom initiale.

Source : Los Angeles Times


Billet originel du 27 janvier 2021

Les présidents George Washington et Abraham Lincoln ou le missionnaire espagnol Junipero Serra ne sont plus en odeur de sainteté à San Francisco : le conseil des écoles de la ville a décidé de débaptiser quarante-quatre établissements (un tiers des 114 écoles publiques de la ville) portant le nom de personnalités selon lui associées au racisme, à l’esclavage ou à la colonisation blanche.

Cette mesure, qui a suscité une vive controverse localement, remonte à la création d’une commission chargée de réviser les noms des écoles publiques en mai 2018, avant que des statues de Christophe Colomb et des monuments confédérés ne soient mis à bas par des manifestants dans la foulée des rassemblements dénonçant le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd.

La commission en question a produit une liste de quarante-quatre établissements à rebaptiser. Parmi eux figurent des écoles aux noms des présidents Washington et Jefferson, qui possédaient tous deux des esclaves. Outre Washington et Thomas Jefferson — anciens présidents liés à l’esclavage ou à « l’oppression » — la liste comprend le naturaliste John Muir, le prêtre espagnol Junipero Serra, le patriote de la révolution américaine Paul Revere (descendant de huguenots français) et Francis Scott Key, le compositeur de l’hymne national, le « Star Spangled Banner ». Également banni, Balboa le conquistador qui découvrit le Pacifique. Doivent changer de nom la Mission High School (les missions espagnoles c’est mal) et la Presidio Middle School (les forts espagnols c’est mal). La liste complète est ici.

Lutter contre « le racisme »

Selon le San Francisco Chronicle, 6 commissaires scolaires ont voté en faveur de cette résolution contre un seul qui s’y est opposé. La majorité a noté que l’effort de changement de nom « est opportun et important, compte tenu du passé raciste du pays ». Mark Sanchez, membre du conseil d’administration de l’école, a ajouté : « C’est un message pour nos familles, nos élèves et notre communauté. Ce n’est pas seulement symbolique. C’est un message moral ». 

Liste bâclée

Des critiques ont déclaré que le Comité consultatif des noms d’écoles n’était « pas minutieux », utilisant des sites tels que Wikipédia et des sources sélectionnées de manière orientée au lieu d’« universitaires, de documents historiques ou de recherches approfondies ». Le comité n’aurait même pas su si le collège Roosevelt avait été nommé en l’honneur du 26e président (Theodore Roosevelt)… ou de son cousin le 32e (Franklin Delano Roosevelt) Lors de la réunion de mardi, le conseil scolaire a également présenté des excuses officielles aux Amérindiens pour le « vol de terres » et la « douleur et le traumatisme causés par les images racistes, les manuels scolaires racistes et les mascottes racistes ». 

Abraham Lincoln visé

Plus surprenant, Abraham Lincoln, pourtant symbole de l’abolition de l’esclavage dans le pays, est aussi visé, car il est accusé par certains d’avoir joué un rôle dans le massacre de tribus amérindiennes. La sénatrice démocrate Dianne Feinstein, 87 ans, se retrouve sur la liste adoptée par six voix contre une : la commission lui reproche d’avoir fait remettre un drapeau confédéré qui faisait partie d’une vingtaine d’autres étendards flottant traditionnellement devant l’hôtel de ville et qui avait été vandalisé lorsqu’elle était maire de San Francisco, en 1986. Le drapeau sudiste est désormais devenu pour les progressistes un symbole des discriminations raciales et de ceux qui prônent la suprématie de la « race blanche ».

Critiques

La décision de rebaptiser ces écoles a provoqué de nombreuses critiques, parmi lesquelles l’actuelle maire de San Francisco, London Breed, qui est noire. En octobre dernier, London Breed avait jugé « insultant » pour les parents d’enfants privés d’écoles à cause de la pandémie que les autorités scolaires consacrent leur énergie à changer le nom des établissements plutôt que de les rouvrir. Notons cependant que London Breed ne s’oppose pas à ce que ces noms soient changés à l’avenir.

Des critiques ont souligné le coût du changement de nom, estimé à au moins 1 million de dollars et « potentiellement beaucoup plus ». Le district est déjà confronté à un déficit budgétaire de 75 millions de dollars.

Écoles publiques désertées par les blancs

À San Francisco, 40,0 % de la population totale est blanche non hispanique, selon l’estimation du recensement de 2018. Seuls 28 % des jeunes  âgés de 19 ans et moins de la ville sont blancs (les blancs sont vieux et ont peu d’enfants, voir Des grandes villes progressistes sans enfants aux États-Unis ?) On pourrait donc s’attendre à ce que les élèves blancs représentent environ 28 à 30 % du réseau scolaire public. Mais, au cours de l’année scolaire 2013-2014, seuls 12,9 % des élèves des écoles publiques de San Francisco étaient blancs.

 Données démographiques

Selon les estimations du Bureau du recensement américain de 2018, la population du comté de San Francisco était à 45,4 % blanche (40,0 % de Blancs non hispaniques et 5,4 % de Blancs hispaniques), 5,2 % de Noirs ou Afro-Américains, 34,3 % d’Asie, 8,1 % d’une autre race, 0,3 % d’Autochtones Amérindien et originaire d’Alaska, 0,2 % d’île du Pacifique et 6,5 % de deux races ou plus.

Proportion des blancs à San Francisco au cours des 80 dernières années 

201820102000199019701940
  45,4 %    48,5 %    49,7 %    53,6 %    71,4 %    95,0 %

 La population de San Francisco était de 634 536 habitants en 1940, elle est aujourd’hui de 881 549.

Voir aussi

Les nouveaux talibans à l’école californienne
 
 
 
 
  
 
  
   
 
 
 

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