dimanche 19 décembre 2021

Pourquoi le Danemark s’oppose désormais à l'immigration

Pourquoi les Danois s’opposent-ils désormais à l’immigration ? Pour faire bref, parce que bon nombre d’entre eux craignent que les réfugiés ne sapent leur État-providence. […]

Le 1er décembre, [le gouvernement social-démocrate danois] a promulgué une loi pour empêcher la formation de sociétés parallèles en obligeant les autorités locales à privilégier dans les « zones de prévention » [de formation de ghettos ethniques] les personnes instruites et occupant un emploi lors de l’attribution des logements. Il est encore plus soucieux de dissuader les migrants d’arriver en premier lieu. En mars, le Danemark fut le premier pays de l’UE à annoncer qu’il renverrait des Syriens en Syrie, arguant que Damas et ses environs sont désormais sûrs. Mette Frederiksen, la Première ministre danoise, s’est fixé un objectif de « zéro demandeur d’asile ». Le 13 décembre, un tribunal danois a condamné Inger Stöjberg, qui était ministre de l’Immigration dans un précédent gouvernement de centre droit, à 60 jours de prison pour avoir ordonné illégalement que les demandeurs d’asile mariés de moins de 18 ans soient hébergés séparément de leur conjoint. Elle a déclaré que l’intention de cette politique était de décourager le mariage des enfants. Les partis anti-immigrés la considèrent comme une martyre.

Le Danemark est loin d’être le seul pays à fermer les portes. L’Europe a été secouée de convulsions politiques après un afflux de réfugiés en 2015 ; la plupart des gouvernements sont désireux d’éviter que cela se répète. […]

La différence danoise a des racines profondes. Après la perte par la couronne danoise des duchés largement germanophones du Schleswig et du Holstein au profit de la Prusse en 1864, elle a tiré la leçon que le pays doit « rester solidaire [et] être homogène », déclare Ulf Hedetoft, spécialiste du nationalisme à l’Université de Copenhague. Une loi deux ans plus tard stipulait que seules les personnes qui parlaient danois et portaient des vêtements danois pouvaient devenir Danois. […]

Dans les années 1960 et 1970, le Danemark a recruté des « travailleurs invités » ; des réfugiés du Vietnam et d’Iran sont arrivés dans les années 1970 et 1980. L’accueil est devenu moins chaleureux dans les années 1990 avec l’arrivée de réfugiés de guerre dans ce qui avait été la Yougoslavie. Le Parti nationaliste du peuple danois (df), fondé en 1995, s’est alors mobilisé pour leur fermer la porte. En 2001, il a soutenu un gouvernement conservateur-libéral, qui a conçu la stratégie actuelle à deux volets qui consiste à repousser les migrants potentiels et à assimiler ceux qui s’installent.

Ses politiques comprennent l’allongement de la période d’attente des immigrants pour obtenir la résidence permanente, qui passe de trois à sept ans, et la fin de l’obligation pour les écoles d’enseigner dans la langue maternelle des élèves. Pour renforcer la danoisité, il a introduit un « canon » culturel, historique et démocratique dans les programmes scolaires. Sans ces mesures, « la situation aurait été vraiment catastrophique », déclare Peter Skaarup, chef de file parlementaire du df.

En Suède, ces mêmes sentiments se répandent ; au Danemark, ils font désormais partie des idées reçues. « L’État-providence social-démocrate ne peut survivre que si nous maîtrisons les migrations », déclare M. Tesfaye, dont le père était un réfugié éthiopien. Le Danemark est peut-être le deuxième pays le plus heureux du monde, selon un récent sondage, mais son bonheur semble fragile.

La défense par le Danemark de son État-providence est impitoyable et, selon ses critiques, raciste. En octobre, le ministère des Finances, dans son rapport annuel sur la question, a estimé qu’en 2018, les immigrés de pays non occidentaux et leurs descendants ont drainé des finances publiques 31 milliards de couronnes nettes (4,9 milliards de dollars), soit environ 1,4 % du PIB. Les immigrés des pays occidentaux, en revanche, ont contribué pour un montant net de 7 milliards de couronnes (voir le graphique ci-dessus). Les données sur l’effet de l’immigration sur les finances publiques sont ce qui « a changé le point de vue des sociaux-démocrates », explique Torben Tranaes du Centre danois de recherche en sciences sociales.

Les musulmans sont au cœur du problème. Cette année marquait la première fois que le ministère faisait un rapport séparé sur les contributions de personnes de 24 pays musulmans. Ils représentent 50 % des non occidentaux, mais 77 % du fardeau économique. Outre cette inquiétude, les Danois craignent que les musulmans apportent des conceptions menaçantes quant à la démocratie et au rôle des femmes. Les musulmans sont les bienvenus, dit M. Tesfaye, mais « nous ne pouvons pas ménager le chou et la chèvre. On ne peut avoir une moitié de charia et une moitié de constitution danoise. »

Pour les oreilles musulmanes, cela ressemble à un parti pris. Une loi votée en 2018, destinée aux musulmans conservateurs, oblige les nouveaux citoyens à serrer la main d’un fonctionnaire municipal lors des cérémonies de naturalisation. Les politiciens « vous font sentir que vous ne devez pas célébrer le ramadan ou l’Aïd ou quoi que ce soit », dit Agob Yacoub, un réfugié syrien. D’autres groupes ne sont pas soumis à de telles pressions. Les immigrés chinois ne sont pas devenus culturellement danois, mais sont néanmoins « extrêmement bienvenus », note M. Hedetoft. La ponction des musulmans sur le Trésor public a probablement peu à voir avec la religion. Plus de la moitié sont venus en tant que demandeurs d’asile ou dans le cadre du regroupement familial, contre 30 % des autres non occidentaux.

Comme ses voisins scandinaves, le Danemark inscrit les nouveaux migrants dans des programmes qui incluent des cours de langue et d’éducation civique. Mais son système de prestations est, clairement, un peu plus strict. Les aides sociales sont inférieures pour les personnes qui n’ont pas passé sept ans sur huit au Danemark. Cela sert à la fois à dissuader les immigrants et à encourager ceux qui s’installent à travailler. Le Danemark peut se vanter que l’écart de chômage entre les autochtones et les immigrés non européens est inférieur à celui de la Suède. Mais cela peut être en partie dû au fait que la Suède a un salaire minimum réel plus élevé par rapport à son salaire moyen, ce qui prive de nombreux nouveaux immigrants d’emploi, surtout s’ils ne parlent pas bien le suédois. […]

Source : The Economist

Plus de détails sur l’aspect économique de l’immigration en Scandinavie (en anglais)
 
 
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