dimanche 17 octobre 2021

Ce que nous enseignent les manuels scolaires

Article intéressant paru dans Le Soleil, malgré le laïus sur la femme qui ne pouvait rester qu’à la maison et les poncifs habituels très modernes sur les Indiens caricaturés à l’époque qu’on aurait même appelés les « bourreaux » si on en croit la journaliste. Extraits.

« Autrefois, mon pays était tout couvert de forêt. Il y avait des Indiens dans la forêt. Des Indiens qui se faisaient souvent la guerre. Un jour, la Robe-Noire est venue convertir les Indiens. »

Ainsi commence le livre d’histoire des élèves de 3e année.

Nous sommes en 1952.

[…]

L’amour des manuels scolaires, c’est Jean. « J’ai toujours été un grand amoureux des livres, j’avais gardé mes livres d’école. » Mais il en manquait, entre autres le livre d’histoire où Jean était convaincu d’avoir lu que lors de la messe célébrée pour la fondation de Montréal, la lampe du sanctuaire était illuminée de mouches à feu [lucioles, vers luisants].

« Un jour, je faisais une visite à domicile chez Mme Jacques et j’ai remarqué à l’entrée une boîte de livres. Je lui ai demandé “qu’est-ce que c’est ?”, elle m’a répondu “c’est pour jeter”. C’était rempli de manuels scolaires. » Mme Jacques, Clara Deblois de son nom de jeune fille, avait été institutrice.

Elle se départissait des livres avec lesquels elle avait enseigné et de ceux-là, le manuel d’histoire de 3e année que cherchait Jean. Page 35, ce fameux passage sur la messe célébrée en présence de Jeanne Mance et de Paul de Chomedey de Maisonneuve. « Comme lampe du sanctuaire, on met des mouches à feu… dans une bouteille. »

Jean était content.

[…]

« Les manuels scolaires, c’est tout un monde, c’est comme avoir le Polaroïd de toute une époque. » Une époque où la place de la femme était à la maison, les filles l’apprenaient très tôt avec le manuel Louise et sa maman. Dans l’édition de 1953 pour les 4e et 5e années, on fait dans la grandiloquence. « Vous deviendrez ainsi la force et la gloire de votre pays, tous comme vos grands-mères et vos arrière-grands-mères l’ont été. »  

[Faire des enfants, peupler, bâtir et renforcer son pays, quelle horreur ! N’est-il pas mieux de rester stérile, faire venir des masses d’immigrants de cultures diverses qui ne s’assimilent pas et de disparaître lentement en tant que peuple ? Voilà le progrès !]

Tant que votre mari est heureux.

« On voit qu’il y avait une cohérence, une cohérence qui était une vision commune de la société. Les livres se parlaient, l’école offrait l’ensemble des connaissances pour être un bon citoyen, un bon catholique, pour être un bon Canadien français. Il y avait un souci de donner une formation complète, mais avec ses biais. Il y a une vision commune qui se dégage, par rapport aux autochtones notamment. »


Et c’est là que le Polaroïd nous montre le contraste le plus vif, avec ceux qu’on appelait les « Indiens », les « sauvages », même les « bourreaux » [pas tous évidemment !] dont on apprenait tôt qu’il fallait se méfier, qu’ils étaient donc chanceux que nous soyons là pour leur enseigner l’amour de Dieu et les bonnes manières. Voyez, dans un manuel de géographie : « La race rouge ou américaine a le teint cuivré ; elle peuplait notre continent, mais elle disparaît peu à peu et se confond avec la race blanche en prenant ses habitudes. »

 

Saint Isaac Jogues et ses bourreaux

 

C’était l’époque des pensionnats. [(Soupirs) Cf. Ce qu’on ne dit jamais : certains Autochtones ont grandement apprécié leur pensionnat et De 1945 à 1965, le taux de mortalité dans les pensionnats amérindiens était comparable à la moyenne canadienne.] 

C’était la vision commune.

Mais il n’y avait pas que cet obscurantisme […] dans les manuels scolaires, les enfants apprenaient très tôt les bonnes manières et le civisme. « On devrait ressortir ça », blague Mario en ne blaguant pas tant que ça. Dans le Manuel de bienséance de 1957 pour les élèves de 6e et 7e année, il est écrit ceci : « Être poli, ce n’est pas seulement apprendre des formules de politesse par cœur, c’est se mettre à la place des autres pour deviner et mettre en pratique ce qui peut leur être agréable. »

Ça s’est perdu en chemin.

Les institutrices apprenaient aussi aux enfants à « être serviables », à « prendre soin des personnes âgées », à « combattre l’égoïsme », à « se servir du cure-dent », à « rendre service », à « être bon perdant », à « être affable et bon » et — j’aime particulièrement celle-là — à « ne pas critiquer le menu ».

On apprenait les chansons traditionnelles, ce qui fait que tout le monde pouvait chanter ensemble.

On a perdu ça aussi.

Aussi, dès la première année, on enseignait aux enfants les règles d’hygiène avec le manuel La santé source de joie, qui disait qu’il fallait boire de l’eau, se laver les mains, qu’il ne fallait pas mettre de crayon dans sa bouche et qu’il fallait avaler de l’huile de foie de morue pour faire le plein de vitamine D.

Encore aujourd’hui, la vitamine D reste une des meilleures façons de renforcer son système immunitaire.

Il ne fallait pas attendre au secondaire avant de recevoir ses premières leçons de comptabilité, question de savoir tenir un budget. « C’était pour les artisans, pour les petits commerçants, pas pour les grands entrepreneurs. » […]

Mais comme le Canadien français avait de bonnes chances de passer sa vie à cultiver sa terre [en 1950 c’est faux, la grande majorité des Canadiens français étaient déjà urbanisés, voir illustration ci-dessous], mieux valait lui enseigner tôt l’art de faire pousser des carottes et de traire une vache. La femme de l’agriculteur n’est pas en reste. Dans le manuel d’agriculture des 6e et 7e années, on l’avise qu’elle « doit être en mesure de soutenir et de seconder moralement son époux dans son travail. »

Depuis 1920, la majorité de la population au Québec est urbaine. En outre, tous les campagnards ne travaillaient pas la terre. En 1951, il n’y avait plus que 134 000 exploitants agricoles au Québec. En 2021, il ne reste que 42 000 Québécois qui ont fait de l’agriculture un métier.
 
On la prévient aussi des tentations de la vie urbaine. « La femme est très souvent responsable du départ de certaines familles d’agriculteurs vers les villes ».

Bonjour la culpabilité.  

[L’auteur n’explique pas pourquoi la ville était mal considérée. Les villes, Montréal, Sherbrooke ou Hull anglicisent. C’est un lieu de plus grand anonymat, de moindre solidarité et souvent de moindre religiosité. L’urbanisation s’accompagne également d’une baisse observée de la natalité : des enfants cela coûte cher à loger en ville et ils n’y travaillent pas comme à la campagne, aucune corvée rentable à leur portée.] 

Évidemment, tout ce corpus est recouvert de l’épais vernis de l’église catholique qui régnait sans partage sur le Québec de l’époque

[Cela mériterait beaucoup de nuances, déjà que les protestants et les juifs échappaient complètement à son emprise supposée. Voir aussi Grande Noirceur — Non, l’Église n’était pas de connivence avec le gouvernement et les élites.]

Les manuels sont l’œuvre de congrégations religieuses, entre autres les Frères maristes et les Frères du Sacré-Cœur, qui ne ratent pas une occasion de rappeler que Dieu est bon. 

[Très mal de dire que Dieu est bon ! L’Écoanxiété et la culpabilisation woke, c’est nettement mieux. Voir aussi Enfants anxieux ? Normal… avec l’école et la société actuelles et Repentance permanente — Les manipulateurs de l’histoire québécoise sont parmi nous.] 

Les enfants apprenaient par cœur le catéchisme.  

Aussi à écrire sans fautes. 

La semaine avant que je passe, Jean et Mario étaient allés chercher d’autres manuels scolaires chez Lydia Nadeau, l’ancienne institutrice ne s’en était jamais départie jusqu’à son décès. « Dans la succession, il y avait les livres d’écoles avec lesquels elle avait enseigné. Elle avait aussi laissé de grands panneaux en carton qu’elle avait fabriqués pour enseigner l’écriture aux enfants. » Il y avait aussi des diplômes. « Elle avait reçu trois fois le diplôme parce que ses étudiants de septième année avaient obtenu les meilleurs résultats dans toutes les matières. » 

C’était beau, le nivellement par le haut.

Voir aussi 

Les manuels et programmes d’Histoire nationale du Québec (de 1832 à nos jours) 

Québec — Le mythe de la « grande noirceur » a la vie dure

« La légende noire du clérico-natalisme »

Gary Caldwell sur l’étatisation de l’école québécoise (1965-2005) [Ire partie]

La Passion d’Augustine et la « reprise en main du système éducatif par le gouvernement »

La Grande Noirceur inventée

Les Québécois à la traîne économiquement depuis 150 ans, rattrapage le plus grand aurait été sous Duplessis

L’État a-t-il vraiment fait progresser l’éducation au Québec ?

Du Grand Rattrapage au Déclin tranquille : déboulonner la prétendue Révolution tranquille

Baisse relative du nombre de diplômés par rapport à l’Ontario après la Grande Noirceur

Grande Noirceur — Non, l’Église n’était pas de connivence avec le gouvernement et les élites

La Grande Nouérrceurrr : portrait de famille monochrome, rictus, pénurie francocentrique et ânonnements (5 pages)

La Grande Noirceur, revue et corrigée

Le « mythe » de la Révolution tranquille

Héritage de la Révolution tranquille : lent déclin démographique du Québec ?

Révolution tranquille : Entre imaginaire et réalité économique et sociale

 

 

 

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