mardi 20 juin 2023

Crise climatique — Le Sahel reverdit

Le sahel

Climatiquement sinistrée dans les années 1980, la zone enregistre depuis plusieurs années des pluies abondantes et des récoltes records.

Le 10 mai 2023, le ministère malien de l’Agriculture a mis en ligne un communiqué très positif sur la récolte de céréales en 2023-2024. Cette saison encore, elle devrait battre celle de l’année précédente (de 6 % exactement), « sous l’effet d’une expansion des superficies plantées, d’une météorologie favorable et d’une distribution améliorée des engrais aux producteurs ». Le Mali exporte désormais 10 à 15 % de ses céréales vers les pays voisins. En décembre 2022, le gouvernement a même décidé de les bloquer dans l’espoir de ralentir la hausse des prix en interne !

Les disettes subsistent au Sahel, mais beaucoup moins désormais à cause du climat qu’en raison de l’insécurité, qui gêne le travail des agriculteurs. C’est le cas au Niger. Dans ce pays, classé parmi les plus pauvres d’Afrique, les récoltes battent des records : + 69 % pour les céréales en 2022 par rapport à l’année précédente, avec une hausse d’un tiers de la superficie totale des cultures emblavées. L’insécurité alimentaire est causée par les islamistes et le manque d’engrais, bien plus que par la sécheresse.

L’anomalie climatique des années 1970 et 1980

Pour les spécialistes, ces informations n’ont rien de surprenant. Le grand public a gardé du Sahel une image surannée, fixée dans les années 1980 : une immense zone subsaharienne inexorablement grignotée par le sable et les dunes, faute de précipitations. « L’Afrique de l’Ouest a effectivement connu un épisode de sécheresse brutal de 1968 à 1993 », explique Luc Descroix, hydrologue à l’Institut de recherche pour le développement. « C’est du passé. Nous avons désormais des données robustes qui nous permettent de dire que la pluviométrie est revenue à son niveau moyen de long terme. »

Bonne nouvelle supplémentaire, le retour de la pluie au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad va se pérenniser, sous l’effet du changement climatique. « Les terres se réchauffent plus vite que l’eau dans le golfe de Guinée, explique Luc Descroix. Cela rend la mousson plus puissante. »

Le phénomène est comparable à ce que les météorologues appellent un « épisode cévenol », ou les marins un « thermique », mais à l’échelle d’un continent. Schématiquement, l’air surchauffé du Sahel monte, ce qui pompe vers l’intérieur de l’Afrique des masses d’air océanique, relativement plus fraîches et surtout chargées d’humidité. « On est parti pour des moussons efficaces au moins jusqu’en 2100 », résume Luc Descroix. À tel point que le Sahel connaît parfois maintenant des inondations !

L’analyse des séries de photos satellites confirme « une tendance au reverdissement à l’échelle régionale comme résultat de l’amélioration des conditions pluviométriques à partir des années 1990 », expliquent des chercheurs français et africains dans une étude parue en 2021 dans la revue Physio-Géo. La période 1968-1994 était « une anomalie sèche », aux causes encore mal comprises.

Quand la surpopulation fait reculer la famine

Luc Descroix fait beaucoup de terrain. Il se trouvait en Guinée lorsque Le Point l’a interrogé. Il explore sur place un autre phénomène, encore plus contre-intuitif qu’un reverdissement lié au réchauffement climatique. Le recul de la famine serait parfois la conséquence, et pas seulement la cause, de la hausse de la population au Sahel. « On observe un reverdissement accéléré dans les régions les plus peuplées », relève l’hydrologue.

Il a une hypothèse, assise sur ses observations, à confirmer : « Les paysans, plus nombreux, ont les moyens de passer d’une agriculture extensive à une agriculture intensive réfléchie. Rien de nouveau. On pourrait comparer certains secteurs du Sahel aux zones de culture en terrasses de Toscane. La terre est ingrate, mais, avec un travail important, elle peut nourrir beaucoup de monde. »

En deux décennies, dans de nombreuses zones rurales du Sahel, la population a doublé et les rendements ont triplé, amorçant une boucle vertueuse. « Il y a de la main-d’œuvre pour travailler, de la pluie pour faire pousser des acacias qui fixent l’azote et de l’argent pour acheter des intrants. Résultat, la sécurité alimentaire s’améliore. Les terres sont très médiocres, mais, avec un travail intensif, elles nourrissent 400 habitants par kilomètre carré », soit une densité quatre fois supérieure à celle de la France, plus proche de celle des Pays-Bas.

La surpopulation n’épuiserait-elle donc pas forcément une terre spontanément nourricière ? « L’idée fait son chemin, mais elle ne fait pas encore consensus, sourit Luc Descroix. Disons que je fais figure d’afro-optimiste… »

Source : Le Point

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