lundi 8 novembre 2010

Internet comme mirage pédagogique ?

Texte de Norman Baillargeon, professeur à l'UQAM :

Je suis très loin d’être un technophobe et j’utilise au contraire beaucoup et apprécie énormément l’ordinateur, Internet, de nombreux logiciels et des tas d’innovations de l’ère numérique. Tout cela, je le reconnais, a souvent rendu ma vie et certaines des tâches que j’accomplis plus faciles. Pourtant, ce n’est pas sans un grand malaise que j’entends certaines personnes vanter les bienfaits pédagogiques qu’il faut attendre de toutes ces innovations. Je l’avoue : j’ai très souvent de sérieux doutes et de grandes réserves devant les promesses que me font tous ces technophiles.

L’expérience m’a montré que ces doutes sont sains, à la fois sur un plan pédagogique et sur un plan économique, puisque ces technologies coûtent typiquement très cher. Sans nier qu’on trouvera des avantages à certains modestes usages faits en classe de ces nouvelles technologies, je pense que bien souvent les promesses qu’on nous fait miroiter, spécialement pour l’enseignement primaire et secondaire, sont des mirages pour lesquels on dépense des sommes importantes qui seraient mieux investies ailleurs.

Mais c’est là un vaste sujet et c’est pourquoi je voudrais m’attarder ici à une seule idée, bien précise, qui est avancée par certains de ces technophiles. Je pense que si on examine cette idée de près, en particulier à la lumière de ce que nos savons en psychologie cognitive, de très sérieux bémols s’imposent.

Connaissance brute et raisonnement

Cette idée est que l’existence d’Internet comme source quasi illimitée d’informations forcerait à complètement réévaluer l’importance qui était autrefois accordée en éducation à la transmission de connaissances, de faits et d’informations. « Internet », dit en ce sens Michel Serres, « nous force à être intelligent ».

Après tout, vous expliquera-t-on, il sera toujours possible d’aller sur Internet chercher une information qui vous manque, de sorte que c’est perdre un précieux temps scolaire et pédagogique que de vouloir enseigner aux enfants des faits aisément accessibles et qui risquent, de surcroît, d’être vite périmés. Le plus sage et le plus efficace est plutôt d’apprendre aux enfants à raisonner, à synthétiser, à être créatif, à faire preuve d’esprit critique, à questionner, bref de développer chez eux ces habiletés cognitives de haut niveau qui sont celles des experts – sans oublier bien entendu celle qui consiste à chercher de l’information, notamment sur Internet.

En somme, et on invoquera ici Montaigne, une tête bien faite est le but que doit viser l’éducateur : et le moyen de faire une telle tête n’est surtout pas de la remplir de connaissances, d’informations et de « simples faits » vite périmés, mais de développer, par la pratique, ces indispensables habiletés de haut niveau que l’élève pourra ensuite utiliser dans différents contextes – c’est-à-dire transférer –, et cela tout au long de sa vie.

Donnons un exemple : dans une discussion sur la possibilité de la vie extraterrestre, qui ignore ce qu’est une planète, mais sait penser de manière critique, pourra toujours consulter Internet et lire la définition ; par contre, qui sait ce qu’est une planète mais ne sait pas penser de manière critique, celui-là ne l’apprendra pas sur Internet et ce « simple fait » qu’il connaît, outre qu’il est toujours révisable (ne vient-on d’ailleurs pas justement d’exclure Pluton du nombre des planètes ?) ne lui sera d’aucun secours.

Si ces idées sont aussi répandues, c’est qu’elles sont terriblement séductrices et à première vue plausibles. Quelle efficacité et quelle économie de temps ne promettent-elles pas au pédagogue dont le temps est si limité ! Et quelle joie de pouvoir contourner ce pénible obstacle de faits, de dates, de noms et de défi-nitions, qu’il faut péniblement apprendre, pour aussitôt accéder à la joie de com-prendre, de résoudre des problèmes et de penser par soi-même.

En me fondant sur divers écrits de E.D. Hirsch, je voudrais avancer quelques arguments qui suggèrent que ces idées sont un mirage pédagogique d’autant dangereux qu’il est séduisant.

Réfléchir, sans réservoir de connaissances, est-ce possible ?

Pour commencer, et cela semblera un formidable paradoxe, le fait est qu’il faut du savoir pour apprendre et ce n’est que parce qu’on sait déjà beaucoup qu’on peut apprendre. En établissant cela, la psychologie cognitive a confirmé ce que soupçonnait Platon. Ce point est capital. Il implique en pratique qu’une défi-nition qu’on consulte ne peut être comprise que si on connaît déjà une très grande part de ce qu’on y lira et que c’est l’expert, qui sait déjà beaucoup de choses, et non le novice, qui en apprendra plus, plus vite et mieux.

La psychologie cognitive suggère aussi pourquoi il en est ainsi. Nous accé-dons au monde via une sorte de fenêtre à travers laquelle un nombre limité d’items [sic] peut être traité. On estime en fait à sept plus ou moins deux le nombre de ces items que peut contenir ce qu’on appelle notre mémoire de travail : après quoi, nous sommes intellectuellement débordés. Cette limitation est cependant surmontée par un processus qui permet de regrouper des items pour en faire un seul. Or ce qui permet cette synthèse, ce sont justement des savoirs, de « simples faits », mémorisés et connus.

Enfin, lorsque nos habiletés cognitives supérieures peuvent se mettre en œuvre parce que des savoirs préalables existent et ont permis de surmonter les limitations de notre mémoire de travail, ces habiletés sont spécifiques à un domaine du savoir. Ce qui signifie qu’elles ne seront transférables que dans la mesure où, là où on les transpose, ces savoirs qu’on possède soient pertinents.

Ces trois séries d’arguments convergent et ils sont décisifs contre l’idée qu’il existerait des capacités intellectuelles transversales de haut niveau qu’on pourrait exercer et développer pour elles-mêmes. Les experts sont toujours sa-vants et leur expertise, qui dépend de leur savoir, est spécifique à un domaine donné.

Considérez la célèbre expérience... (suite dans le PDF ci-dessous)


Texte au complet




Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)

Aucun commentaire: