jeudi 18 janvier 2024

École privée : sortir de l’hypocrisie

Anne Coffinier, présidente de Créer son école, évoque dans une tribune du Point l’urgence de « relever l’école publique » et l’hypocrisie quant au choix de l’enseignement privé.

 

À peine arrivée à son poste, la toute nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra se voit reprocher de scolariser ses fils à l'école Stanislas, célèbre établissement privé du 6e arrondissement de Paris. Il faut dire que la ministre n'y est pas allée de main morte dans la justification de ses choix. L'identité de l'établissement (qui vient de faire l'objet d'un rapport de l'inspection après un article assassin de Mediapart) est tout sauf anodine.

Les débuts de Pap Ndiaye avaient été perturbés par le même « problème ». Il s'agissait dans son cas de l'école Alsacienne, cette institution d'élite qui forma… Gabriel Attal. Quant à Jean-Michel Blanquer, ancien de « Stan », n'avait-il pas lui aussi confié sa progéniture à un établissement privé, comme presque tous ses prédécesseurs ?

École publique : « quintessence de l'attachement à la République »

Pourquoi s'en offusquer et persister à voir là une trahison du peuple par les élites politiques ? Tout simplement parce qu'on fait en France de l'attachement à l'école publique la quintessence de l'attachement à la République. On se laisse même aller à faire un signe « égal » entre public et « école de la République », ce qui revient à exclure de la République les familles qui font le choix du privé. Comme l'Église tolère les « homos honteux », la République tolère les hommes et femmes politiques qui préfèrent l'école privée, pourvu qu'ils le cachent. Pas question pour eux d'assumer et de faire leur coming out scolaire : moins ils pratiquent l'école dite républicaine et plus ils doivent donner des gages de leur attachement à l'école publique.

Cette schizophrénie bien française conduit ceux des hommes politiques qui choisissent le privé pour leurs enfants à toujours plus d'efforts pour en freiner l'essor et en interdire l'accès aux classes populaires. Espérons que la nouvelle ministre ne tombera précisément pas dans le piège de pourfendre l'école privée pour mieux prouver sa foi inconditionnelle en l'école publique, après la polémique qui a accompagné sa prise de poste.

« En finir avec l'hypocrisie »

Nous tenons en réalité aujourd'hui l'occasion d'en finir avec l'hypocrisie. Il est évident qu'une large majorité des parents confieraient leurs enfants à l'école privée s'ils en avaient les moyens. Parce que la discipline y est meilleure, les professeurs moins absents, les parents plus investis parce qu'ils payent… les fréquentations choisies, les enfants fauteurs de troubles exclus de l'établissement le cas échéant, et les élèves pas assez brillants impitoyablement exclus des écoles dites d'élite.

Autrement dit, si les parents préfèrent le privé aujourd'hui, c'est parce que l'exigence et l'ambition qu'on y trouve sont annonciatrices de la dureté du monde professionnel à laquelle devrait précisément préparer l'école. Les élites cherchent aussi à doter leurs enfants d'un utile réseau social. Le plus jeune ministre de la Ve République n'a-t-il pas fait « l'Alsa » comme les enfants de Pap Ndiaye ? Si la droite opte plutôt pour Stanislas, Saint-Jean de Passy ou Franklin, les partisans d'Emmanuel Macron préfèrent en effet l'école Alsacienne ou Jeannine-Manuel. Dans tous les cas, c'est le privé qui gagne et qui fait gagner. A fortiori à l'heure où l'école publique a décroché. L'humiliation de la France dans les tests Pisa en apporte la preuve, année après année. Et le président de la République lui-même l'a reconnu dans son discours du 25 août 2022 devant les recteurs : « l'école de la République n'est plus à la hauteur ».


L'urgence de relever l'école publique

Le véritable scandale n'est donc pas qu'une ministre, fût-elle chargée de l'Éducation, scolarise ses enfants dans le privé. C'est plutôt que l'on abandonne les pauvres, les immigrés que l'on prétend « intégrer » et les non-initiés à une école publique dont le président lui-même constate qu'elle ne fonctionne plus. Relever l'école publique doit être l'urgence des urgences. Pas seulement en principe, mais en fait. En attendant les effets d'une politique qui serait enfin courageuse en la matière, la scolarisation dans des écoles non publiques est plus que légitime et doit même être encouragée. Elle devrait être financée par l'État tant qu'il n'est pas capable de fournir à la population une école publique digne de ce nom. Et partout où les évaluations repèrent une défaillance de l'école publique, les parents devraient pouvoir avoir le choix d'une alternative financée par l'État.

Qu'est-ce sinon que « l'égalité des chances » ? À quoi bon avoir constitutionnalisé le droit pour chaque enfant à l'égal accès à l'instruction ? Ce n'est pas parce que le même article 13 du préambule de la Constitution de 1946 déclare que « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l'État », qu'il est justifié de vilipender et de culpabiliser les parents choisissant une école privée. L'heure est décidément venue de financer le libre choix de l'école par les parents, pour qu'il cesse d'être le privilège des nantis et des initiés. Afin qu'il ne reproduise pas les inégalités sociales, on prendra soin de créer des structures gratuites aidant les parents à choisir au mieux de l'intérêt de leurs enfants.

Condorcet l'avait brillamment exposé en son temps : l'école publique a besoin d'être stimulée par une autre école, si l'on ne veut pas qu'elle se sclérose. La prophétie s'est, hélas, réalisée. À force de fausser la concurrence entre l'école publique et l'école privée, rendue artificiellement payante et en accès limité faute de places disponibles, l'école publique a été privée de cette nécessaire stimulation qui aurait pu la pousser à l'excellence. Preuve en est que, dans l'ouest de la France, où presque la moitié des enfants sont scolarisés à l'école privée, le niveau général du public est plus élevé, car il est contraint à se dépasser pour garder ses élèves.

Alors, si 2024 était la sortie de l'hypocrisie ? Si cette nouvelle année était placée sous le signe du respect de la liberté du choix de l'école par les familles ? On commencerait l'année en faisant faire un considérable bond en avant à l'égalité des chances.


Anne Coffinier, présidente de Créer son école.

Voir aussi

Condorcet (mort le 29 mars 1794) : L’éducation publique doit-elle se borner à l’instruction ?

Condorcet : « Il faut donc que la puissance publique se borne à régler l’instruction, en abandonnant aux familles le reste de l’éducation. »

Polémique à la suite d'un article à charge de l'extrême gauche sur le Collège Stanislas

Attaqué par le média internet d'extra-gauche Mediapart et l'aile gauche de la classe politique, l'établissement paye la liberté scolaire des enfants d'Amélie Oudéa-Castera mais également son identité catholique. La polémique autour des déclarations d’Amélie Oudéa-Castera n’en finit plus d’ébranler l’institution Stanislas. L’école privé catholique parisienne est sous le feu des critiques après la publication par Mediapart d’un rapport académique faisant suite aux volontés de l’ancien Ministre de l’éducation nationale Pape Ndiaye, conséquence d’une première enquête de Mediapart publiée en avril 2023.

C’était le point de fixation. Ce rapport demandé par Pap Ndiaye était sur le bureau de Gabriel Attal et a échu à la ministre Amélie Oudéa-Castera lorsque cette dernière a été nommé rue de Grenelle tandis que son ancien occupant posait ses cartons à Matignon. Étrange paradoxe que de nommer rue de Grenelle une personne scolarisant ses enfants dans un établissement faisant l’objet d’une enquête administrative demandé par un ancien ministre de l’éducation nationale… Surtout quand cette ministre aborde elle-même le sujet devant les caméras et se révèle confuse dans ses excuses et justifications. Si le caractère politique de l’attaque « ne fait aucun doute » estime un fin connaisseur des intrigues de cours, c’est bel et bien l’établissement scolaire qui prend les coups. « Avec l’affaire Stanislas on assiste à deux combats parallèles : un coup politique visant à déstabiliser une Ministre et un combat idéologique relançant la guerre scolaire » conclue notre interlocuteur. Dans la soirée, Amélie Oudéa-Castera a annoncé auprès de France Info qu’elle va « se déporter des actes relatifs à l’établissement ». Son entourage précise auprès de nos confrères qu’elle a pris cette décision pour « suivre une recommandation de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ».

Charge de la gauche

Il n’en fallait pas plus à la gauche pour attaquer. « Sexisme, culture du viol, homophobie, catéchisme obligatoire. Les dérives et dysfonctionnements de Stanislas sont absolument accablants ! » a posté sur X le député LFI Bastien Lachaud. Quant au député Paul Vannier, lui aussi membre de la France Insoumise, il va jusqu’à demander « la rupture du contrat entre Stanislas et l’Etat ». De son coté, la mairie de Paris a pris position en suspendant le versement du financement obligatoire de la ville à destination de l’établissement scolaire comme l’a annoncé le premier adjoint d’Anne Hidalgo Emmanuel Grégoire.

Une sortie qui a entrainé les foudres de la droite. La conseillère de Paris Inès de Raguenel (LR) s’est indignée : « Le financement aux écoles privées sous contrat avec l’Etat est obligatoire ! La décision idéologique d’A.Hidalgo est celle d’une gauche ringarde pleine de préjugés. La vérité ? L’excellence d’un établissement catholique leur est insupportable », a-t-elle posté. De son coté le magistrat Charles Prats a affirmé qu’une telle initiative pouvait être stoppée immédiatement. « Le préfet a le pouvoir de mandater d’office le paiement de ce financement prévu par la loi. C’est l’article L.1612-16 du code général des collectivités territoriales », observe-t-il depuis son compte X. « Ce serait en outre l’occasion pour Gabriel Attal de taper du poing sur la table et de siffler la fin de la récréation », affirme-t-il à Valeurs actuelles.

L’offensive, orchestrée sur les réseaux sociaux par la rédaction de Mediapart est du même acabit. Le rapport révèle les discours homophobes & sexistes d’intervenants, et le silence de l’encadrement » estime Antton Rouget. Même son de cloche chez David Perrotin, ancien du média d’extreme gauche Loopsider : « Un seul cas d’homophobie à Stanislas selon Amélie Oudéa-Castéra ? Aperçu de cours proposés aux élèves de Stanislas jusqu’en 2015. «Le désir homosexuel est le désir de viol» », «Je crois aux guérisons», «On nous sort l’homophobie, le suicide des jeunes…»

Le ton est donné. Dans un bref communiqué publié le 17 janvier, le directeur de l’établissement visé précise que « les Inspecteurs généraux ne confirment pas les faits d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme ». Le directeur Frédéric Gautier a d’ailleurs précisé « se réserver le droit de réagir devant la Justice face à des accusations mensongères et diffamatoires ».

Que dit le fameux rapport ?

Comme Valeurs actuelles l’avait révélé, ce rapport, s’il fait état de propos problématiques tenus par des individus, ne remet aucunement en cause le contrat avec l’État et ne démontre aucune faute caractérisée remettant en cause ledit contrat. Le rapport fait en revanche état de recommandations que l’établissement assure appliquer. « On s’est aperçu que certaines accusations avaient comme origine une ancienne élève de l’établissement qui avait été exclu de Stan pour des faits de harcèlement », assure-t-on du coté de l’équipe pédagogique. Mediapart s’est également appuyé sur des faits remontant à 2014. « Je n’ai jamais été témoin du moindre propos problématique », assure un ancien surveillant de l’établissement en poste durant ces années. Celui-ci garde le souvenir « d’élèves particulièrement bien élevés et éveillés ». En outre, le rapport s’étonne d’une catéchèse obligatoire.

L’éternel deux poids deux mesures.

« On est passé d’un cas personnel à un problème systémique. Stanislas fait de la propagande anti-républicaine avec l’argent de l’État. Nous pensions que le séparatisme mis en œuvre par Stanislas était social, il est aussi politique. Stanislas bafoue les valeurs de la République. On ne peut pas accepter d’un établissement catholique ce qu’on refuse à un établissement musulman. On ne peut faire deux poids deux mesures », réagit le sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui demande sur la chaine parlementaire de mettre fin au conventionnement dont bénéficie cet établissement, et faisant au passage une allusion avec la polémique autour du lycée musulman lillois Averroes.

Une charge surprenante, qu’elle soit politique et médiatique lorsqu’on la compare avec les débats autour d’Averroès justement. Cet emblématique établissement islamique dont l’État a acté la rupture du contrat après avoir constaté des manquements graves. Une décision qui avait entraîné une protestation officielle des députés Insoumis du Nord. En effet, Ugo Bernalicis, David Guiraud et Adrien Quatennens, ont pris position, le 7 décembre, en faveur du lycée Averroès dans un communiqué. Défendant le maintien du contrat avec l’État, ils se sont aussi interrogés sur la fréquence des contrôles dont le lycée fait l’objet depuis plusieurs années, par rapport aux contrôles jugés « minimalistes » chez leurs équivalents catholiques. Ce dernier serait ciblé particulièrement car « musulman », affirmaient-ils. et qui avait entraîné une salve émanant de Mediapart accusant la Préfecture d’avoir « tronqué son rapport ». Un zèle à deux vitesses de la gauche qui interroge.

Un message posté sur X du fondateur du mouvement des Veilleurs met en lumière le malaise. Est-ce le catholicisme assumé de Stanislas qui irrite davantage que des propos tenus individuellement ? La réaction de la députée EELV Sandrine Rousseau interpelle sur ce point : « Français sans peur, Chrétien sans reproche ». La devise de Stanislas pourrait être un slogan zemmourien », s’agace la députée de Paris. « Pour moi, le catholicisme est par nature conservateur, au sens propre: il conserve le dépôt de la foi. L’Eglise est contre l’union homosexuelle et contre l’avortement, que je sache, non? », avait déclaré Frédéric Gautier dans un article du Monde.

C’est là toute la question sous-jacente autour de l’enseignement sous-contrat. Est-ce que la société a évolué au point de considérer l’enseignement de l’église catholique comme anti-républicain ? « Les liens se distendent, se fissurent mais tiennent bon. Jusqu’à quand ? », confie un membre de la direction diocésaine. Des questions qui vont bien au-delà de la scolarité des enfants d’Amélie Oudéa-Castera.

 

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