mardi 26 novembre 2019

Certificats de francisation de complaisance émis par des établissements anglophones du Québec ?

De forts soupçons de fraudes dans le programme de l’expérience québécoise (PEQ) ont conduit à une enquête de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). « L’intégrité » du système d’immigration économique du Québec serait menacée, selon le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI).

Au cours des dernières années, de supposés « documents faux ou trompeurs » ont été répertoriés par le MIFI. Ce dernier a évoqué ces allégations dans des rapports et notes qui ont été déposés dans le cadre d’une affaire judiciaire concernant le ministère de l’Immigration.

Ces fameux « documents » mis de l’avant sont en réalité des attestations qui permettaient à des étudiants étrangers de postuler au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qu’a voulu récemment réformer le ministre Simon Jolin-Barrette.

Elles servaient à prouver leur connaissance avancée du français, une des conditions nécessaires pour bénéficier de cette voie rapide vers l’immigration permanente.

Concrètement, des centaines de personnes, au minimum, ont affirmé connaître la langue française, par l’intermédiaire d’un cours suivi au Québec. Mais selon le ministère de l’Immigration, la réalité était tout autre.

Le ministre Jolin-Barrette, qui s’est entretenu avec Radio-Canada sur ce sujet, reconnaît officiellement une « situation problématique » qui menace « l’intégrité » de ce programme. Il promet « d’agir » dans les prochaines semaines.

Des signalements dès 2016

Dès 2016 on retrouve la trace des premiers soupçons.

Des fonctionnaires du ministère de l’Immigration, en contact téléphonique avec des candidats au PEQ pour des questions administratives, s’aperçoivent que leur interlocuteur, dans certains cas, ne parle pas, ou peu, français alors qu’une des conditions d’accès au PEQ est précisément de pouvoir parler français.

Les doutes augmentent sensiblement avec la réception d’informations provenant des forces de l’ordre.

Dès septembre 2016, l’UPAC prévient le MIFI et décide d’ouvrir une enquête. Des « dénonciations » et des « signalements » arrivent alors aux oreilles ministérielles.

Ces différents éléments sont également mentionnés dans un mémoire du ministre Jolin-Barrette, présenté au Conseil des ministres le 17 septembre dernier, qu’a pu consulter Radio-Canada. Dans ce texte, le député de Borduas y évoque l’ensemble des mesures d’immigration qu’il compte officialiser quelques semaines plus tard.

Sept candidats interrogés sur dix ne parlent pas ou peu français

À la suite de ces avertissements policiers, dans le but de « s’assurer de l’intégrité du PEQ », le MIFI a convoqué 1301 personnes en entrevue entre le 22 novembre 2016 et le 8 mai 2019, afin de « vérifier le niveau de compétence en français en production orale ». Résultat : « Plus de 68 % des candidats rencontrés n’ont pas démontré le niveau de compétences en français à l’oral requis au PEQ et n’ont donc pas été sélectionnés », selon ce rapport du ministre Jolin-Barrette.

Des Chinois et des Indiens visés

Selon des notes internes produites par le ministère de l’Immigration, la « majorité » des étudiants étrangers n’ayant pas le niveau requis en français, malgré une attestation disant pourtant le contraire, proviennent de Chine et d’Inde. Plusieurs sources confidentielles ont rapporté ces mêmes allégations.

Après avoir vu leur dossier refusé, une cinquantaine de ressortissants étrangers ont contesté cette décision devant les tribunaux. Ils ont notamment dénoncé le procédé utilisé par le gouvernement, qui les aurait convoqués sans les informer d’un test oral de français à venir. Habituellement, aucune entrevue n’est prévue dans le cadre du PEQ.

Pour justifier ces pratiques, une responsable du ministère, qui occupait le poste de coordonnatrice du PEQ, a mis de l’avant les soupçons policiers. Son témoignage figure dans les documents déposés dans cette procédure judiciaire.

« L’UPAC nous a dit : “Il y a des voies de contournement, il y a probablement de la fraude dans vos dossiers” », a-t-elle déclaré, dans le cadre d’un interrogatoire réalisé à la fin de 2017.

Au dire de cette employée du MIFI, une première série d’entrevues a démontré à la fin de 2016 que « 95 % » des candidats « n’avaient pas le niveau demandé ». Un interprète français-mandarin-cantonais a même été requis à plusieurs reprises, est-il précisé dans une autre note présentée devant la justice.

Dans un jugement publié en décembre 2018, la Cour supérieure a finalement tranché en faveur des plaignants, en expliquant notamment que « le procédé utilisé par le ministère » ne serait pas adéquat en fonction des règles en vigueur.

Le MIFI a porté cette décision en appel et aucun autre jugement n’a encore été rendu.

Des établissements anglophones cités

Des agents frontaliers, au poste canado-américain de Saint-Bernard-de-Lacolle, ont eux aussi averti le MIFI, après s’être retrouvés face à des candidats à l’immigration ne parlant pas français.

Selon l’interrogatoire de cette responsable du MIFI, des « voyages organisés » ont même été menés à cette frontière pour faire « le tour du poteau ». Cette pratique consiste à sortir du territoire canadien, avant d’y rentrer immédiatement, afin de valider un nouveau visa.
Les agents des services frontaliers doivent poser des questions aux candidats avant de leur délivrer un document, et ils pouvaient constater à ce moment-là que les candidats ne parlaient pas français, n’étaient pas en mesure de répondre à des questions de base en français.

Extrait de l’interrogatoire d’une responsable du MIFI, le 27 novembre 2017

Les rapports déposés par le MIFI dans le cadre de cette procédure judiciaire entre le ministère et des candidats à l’immigration citent différents établissements scolaires, principalement anglophones, qui ont accueilli des étudiants étrangers ayant postulé au PEQ. En revanche, aucune mention concernant leur implication ou non dans ce dossier n’y est faite.

Toujours selon les documents produits en cour, des « écarts significatifs entre l’attestation délivrée et la capacité réelle des élèves » concernant leur maîtrise de la langue française sont indiqués dans une note datée d’avril 2017, avec des candidats provenant des commissions scolaires English-Montréal, qui a été mise sous tutelle début novembre, Lester-B.-Pearson et New Frontiers.

Le Collège Matrix, à Montréal, et le Cégep de la Gaspésie et des Îles sont également cités dans un autre rapport déposé en cour, dont l’objet fait part de « stratagèmes menaçant l’intégrité » de plusieurs programmes d’immigration du Québec.

Il y est entre autres question de « dénonciations d’agences d’enquête officielles » visant la « véracité » des « attestations de réussite scolaire », mais aussi de la « fréquentation scolaire des étudiants étrangers inscrits dans ces établissements » et de « l’authenticité des compétences acquises par les candidats ».

Il est difficile de déterminer un nombre précis de dossiers touchés par ces soupçons. Au total, entre 2016 et 2018, 1807 personnes ont utilisé ce type d’attestation pour postuler au PEQ, un nombre en nette diminution au fil du temps.

1204 diplômés avec une attestation de réussite d’un cours de français intermédiaire avancé en 2016
417 en 2017
186 en 2018

Par l’intermédiaire du PEQ, près de 40 000 personnes ont pu immigrer au Québec depuis 2016.


Source : la SRC

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