dimanche 11 juillet 2021

L'essor de la culture victimaire

L’Essor de la culture victimaire (The Rise of Victimhood Culture) est un livre paru en 2018. L’ouvrage est le résultat de la collaboration de deux sociologues universitaires : Bradley Campbell (professeur à l’Université d’État de Californie à Los Angeles) et Jason Manning (professeur à l’Université de Virginie occidentale).

Campbell et Manning soutiennent que les accusations de micro-agression se concentrent sur des affronts involontaires, contrairement au mouvement des droits civiques, qui se concentrait sur des injustices concrètes. Ils soutiennent que le but d’attirer l’attention sur les micro-agressions est d’élever le statut de victime vexée. « Lorsque les victimes publient des micro-agressions », écrivent Campbell et Manning, « elles attirent l’attention sur ce qu’elles considèrent comme le comportement déviant des délinquants. Ce faisant, » elles « attirent également l’attention sur leur propre victimisation ». Elles le font parce que cela abaisse « le statut moral du délinquant » et « élève [leur] statut moral de victimes ».

Manning et Campbell s’appuient sur les travaux du sociologue Donald Black sur les conflits et sur les études interculturelles des conflits et de la moralité pour affirmer que les guerres culturelles contemporaines ressemblent à des tactiques décrites par des universitaires dans lesquelles une partie ou un groupe lésé recherche le soutien de tiers. Ils soutiennent que les conflits fondés sur des griefs ont conduit à un changement moral à grande échelle dans lequel une nouvelle culture de victimisation entre en jeu et remplace les anciennes cultures de l’honneur et de la dignité.

Les cultures d’honneur, souvent appelées cultures d’honneur-honte, sont des cultures comme celle de l’Ouest américain ou de l’Europe à l’époque où les duels étaient courants. Dans de telles cultures, l’honneur est primordial et, lorsqu’il est atteint, la partie offensée se venge directement. Les mécanismes de conflit comprennent la vendetta. Dans les cultures d’honneur, les victimes ont un faible statut moral.

Manning et Campbell décrivent la culture de l’honneur et de la honte comme ayant été remplacées dans les sociétés occidentales modernes des XIXe et XXe siècles par une culture de la dignité où « les insultes peuvent provoquer une offense, mais elles n’ont plus la même importance qu’un moyen d’établir ou de détruire un réputation de bravoure. Au lieu de cela, “lorsque des conflits intolérables surviennent, les cultures de la dignité prescrivent des actions directes, mais non violentes”. couper les relations avec le délinquant sans aucune confrontation » ou « conceptualiser le problème comme une perturbation de leur relation et ne chercher qu’à rétablir l’harmonie sans porter de jugement ». Une action en justice a été engagée : « Pour des infractions telles que le vol, l’agression ou la rupture de contrat, les personnes dans une culture de dignité utiliseront la loi sans honte “Mais conformément à leur éthique de retenue et de tolérance, ce n’est pas nécessairement leur premier recours, et ils pourraient condamner de nombreuses utilisations des autorités comme frivoles. On pourrait même s’attendre à ce que les gens tolèrent des blessures graves, mais accidentelles. »


Une culture de la dignité, selon Campbell et Manning, a des valeurs morales et des normes de comportement qui promeuvent la valeur de chaque vie humaine, encourageant la réussite de ses enfants tout en enseignant que « les bâtons et les pierres peuvent me briser les os, mais les mots ne me feront jamais de mal ».

Parce que la culture de victimisation est maintenant censée conférer le statut moral le plus élevé aux victimes, Campbell et Manning soutiennent qu’elle « augmente l’incitation à faire connaître ses griefs ». Les parties vexées et offensées qui auraient pu jadis donner un coup de poing ou intenter une action en justice font désormais appel à l’aide sur les réseaux sociaux, demande qu’on « annule », qu’on bâillonne ceux qui les vexeraient.

Selon Campbell et Manning, la culture de victimisation engendre une « victimisation compétitive », elle incite même les personnes privilégiées à prétendre qu’elles sont victimes, par exemple, de discrimination à rebours. La culture de victimisation de Manning et Campbell considère la valeur morale d’une personne comme largement définie par la couleur de la peau et l’appartenance à un groupe à identité « minoritaire » fixe, comme les LGBTIQ, les musulmans ou les peuples autochtones.

Pour schématiser :

  • Prémodernité : culture de l’honneur
  • Modernité : culture de la dignité
  • Postmodernité : culture victimaire

Les deux professeurs se sont également penchés sur la prolifération récente de faux actes haineux (« hate crime hoaxes ») comme fait social.

Qu’est-ce que ces « canulars » nous apprennent sur la culture victimaire actuelle ? Campbell et Manning en tirent la conclusion suivante : « Si le statut de victime ne conférait aucun avantage, pourquoi tout cela se produirait-il ? Pourquoi quelqu’un prétendrait-il faussement être une victime s’il n’y avait aucun avantage à le faire ? […] Le fait qu’ils le fassent démontre que le statut de victime est en réalité une ressource sociale, une forme de statut [enviable]. » Le statut de victime devient ainsi désirable, ce qui mène à une « course vers le bas » très paradoxale. »

Pour les auteurs, les diversitaires, les wokes, font tout leur possible pour pousser de tierces personnes à intervenir coûte que coûte. Ayant été éduqués constamment sous supervision parentale, ils gardent ce réflexe enfantin de se tourner vers une source d’autorité pour régler leurs différends. Les auteurs rejoignent ici le diagnostic de Greg Lukianoff et Jonathan Haidt. Voir Aux racines du wokisme dans les universités. Pourquoi cette crise dans les universités ?

C’est pourquoi il est adroit pour les wokes de privilégier une vision manichéenne et « d’interdire » toute position de neutralité ou d’indifférence pour obliger les tiers à intervenir et à les sortir de l’indifférence et de la tolérance. C’est d’ailleurs ce que dit un des maîtres à penser du wokisme, Ibrahim X. Kendi, pour lequel « il n’y a pas de politique “non raciste” ou “neutre” », car, les gens se divisent en « racistes » ou « antiracistes ». (Voir Formation des fonctionnaires fédéraux en racialisme [pardon antiracisme…] et stéréotypes anti-blancs). 

Dans les universités, les diversitaires cherchent d’abord l’intervention de la bureaucratie universitaire. « Lorsqu’un groupe d’étudiants de Yale a exigé que les poètes blancs soient retirés du programme, ils n’ont pas formulé leur demande sous la forme d’une préférence (“Nous préférons lire des poètes non blancs”) ni même sous la forme d’une question de vertu (“La diversité ethnique est une bonne chose”), ils ont plutôt insisté sur le fait que les étudiants souffraient  » de devoir lire les auteurs blancs. L’intervention de l’administration se justifiait sous le prétexte en apparence louable de « protéger » des étudiants.

Les réseaux sociaux permettent également de démultiplier le nombre de tierces personnes qui pourraient venir au secours des victimes présumées lors d’une dispute.

Quelles sont donc les conditions culturelles et sociales de l’émergence du wokisme ? Nos auteurs en établissent quatre : 

  1. Une bureaucratie étendue ;
  2. L’atomisation sociale ;
  3. De la diversité visible ;
  4. Un grand niveau d’égalité.

1) La bureaucratie sert de réceptacle aux plaintes et de source d’autorité. Elle remplace les parents qui ont chouchouté la génération woke. L’administration y voit son intérêt : cette nouvelle culture morale engendrant nombre de disputes, la bureaucratie pourra justifier son rôle grandissant et ses salaires.

2) L’Atomisation sociale : ce n’est que lorsque l’on ne vit pas dans une communauté forte que l’on a besoin de faire des campagnes de soutien. Les interventions bureaucratiques ne deviennent nécessaires que si l’on n’est plus assuré d’avoir des partisans déjà acquis à sa cause.

3) L’importance d’une diversité visible. Pour qu’il y ait une discrimination réelle ou apparente, il faut une base sur laquelle distinguer facilement oppresseurs et opprimés. La race, notamment, est un facteur de distinction évident. On peut ainsi aisément répartir les rôles entre  « dominants » et « dominés » !

4) C’est le paradoxe tocquevillien : ce n’est que dans les sociétés les plus égalitaires que la moindre inégalité fait tache. Personne ne se plaint d’inégalités dans une société de castes. On ne se plaint d’avoir faim que la bouche pleine.

Campbell et Manning sont formels : la croissance de cette culture victimaire ne fera que s’accélérer dans les prochaines années.

(En partie inspiré de gazouillis de Pierre Valentin, @Valent1Pierre) 
 
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