samedi 21 décembre 2019

Divergences au sommet de l'Église catholique

Extraits d’un article de Constance Colonna-Cesari dans Marianne, magazine en rien de droite, avec quelques corrections éditoriales et des remarques supplémentaires.

À quelques jours des fêtes et de son traditionnel discours de Noël, le premier pape issu du continent américain doit faire face à une vague d’attaques sans précédent.

[Alors que la fréquentation du culte est demeurée constante dans les églises protestantes, celle de la messe s'est effondrée sous le pape argentin. Pour plus de détails, voir Religion — baisse de la fréquentation de la messe sous le pape François, stabilité chez les protestants.


]


Alors que les finances du Vatican sont en berne, ses positions en faveur des migrants, sa volonté de dialogue avec l’islam et son discours antilibéral lui valent la haine tenace d’une partie de l’épiscopat.

Jorge Mario Bergoglio, qui a soufflé ses 83 bougies le 17 décembre 2019, subit des attaques comme jamais aucun pape avant lui. Et la fatigue commence à se lire sur son visage. Triste Noël, que rien n’évoque à Rome, mis à part le sapin et la crèche récemment installés sur le parvis de Saint-Pierre. Au moins n’ont-ils pas été facturés 300 000 €, comme il y a quelques années !

C’est ce qu’avait révélé un certain Mgr Vigano, alors un inconnu. Il ne l’est plus depuis que, au mois d’août 2018, cet ancien nonce apostolique aux États-Unis a fait paraître une lettre ouverte, véritable bombe contre le pontife élu concernant sa campagne de « tolérance zéro » anticorruption et antipédophilie. Carlo Maria Viganò y dénonçait la responsabilité supposée du pape dans la protection du cardinal McCarrick, ancien archevêque de Washington, en affirmant l’avoir informé, en personne, des innombrables abus et harcèlements commis par ce prélat sur de jeunes séminaristes ainsi que sur deux mineurs.

Selon Jean-Pierre Dickès, « Le 4 octobre au Vatican, le pape a fait organiser un raout avec des Indiens de l’Amazonie ; il y fit une déclaration à la fois syncrétiste (toutes les religions méritent d’exister : air connu depuis la réunion à la mosquée du Caire) et panthéiste (Dieu est dans tout, c’est le culte à Gaïa). Après que François ait planté un chêne, les cardinaux se sont regroupés pour faire leurs dévotions d’adoration à la déesse Pachamama avec les Indiens, quelques Blancs et un moine ».

Voix hostiles

Conclusion de son « J’accuse ! » : une demande de démission de François, démarche sans précédent ! McCarrick sera réduit à l’état laïque, mais trop tard. Les fonds de Legatus, de la Fondation Centesimus annus, de la Papal Foundation, richissimes organismes caritatifs américains, n’arrivent plus au Saint-Siège : un déficit de plusieurs centaines de millions d’euros, soit 50 % de recettes en moins, avec pour conséquence la soudaine paralysie de certains secteurs clés de l’activité de l’Église.

Quant à l’affaire de détournement des dons des fidèles ayant débouché, début octobre, sur l’arrestation, à la secrétairerie d’État du Vatican (la plus haute instance du gouvernement central de l’Église), de cinq personnes soupçonnées d’opaques placements spéculatifs, elle tombe mal elle aussi. Quoi que le pape en dise, notamment lorsqu’il précise que, pour la première fois, cela ne vient pas de l’extérieur, mais que l’enquête a été diligentée de l’intérieur : cette unique ligne de défense ne peut suffire à redorer ni son blason ni les finances de son État…

L’argent est le nerf de cette guerre anti-François, mais pas seulement. Frondes doctrinales, menaces de schisme, accusations d’hérésie, voire d’apostasie, instrumentalisation effrénée des scandales de pédophilie, tout est désormais bon pour tirer sur le pape argentin. Ainsi, sur la scène politique italienne, Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, l’attaque sans relâche, un chapelet à la main, ou revêtu d’un tee-shirt au slogan clair comme de l’eau bénite : « Mon pape, c’est Benoît ! »

Pour Matteo Salvini, chef de file de la droite italienne, son pape est Benoît.



Difficile de ne pas entendre toutes ces voix hostiles. Elles portent loin et font mal. Même le cardinal Parolin, le secrétaire d’État du Vatican, l’a reconnu implicitement, en le déplorant, lors d’une audience à une délégation de chefs d’entreprise français, fin novembre. On dénaturerait le message du pontife, s’est-il désolé. C’est ce que répète aussi Mgr Duffé, le secrétaire du dicastère (l’équivalent d’un ministère) pour le Développement humain intégral, officieusement le nouveau centre de gravité du pontificat, puisque c’est là que se déploie cette double priorité de l’accueil des migrants et de l’écologie. 

Priorité du pape François : les immigrants, en grande partie musulmans



[...]

Benjamin Harnwell est l’associé anglais de Steve Bannon (ex-conseiller de Trump et figure de la droite américaine), pour lequel François est l’ennemi juré. À deux pas de Rome, il a fondé Dignitatis Humanae, un réseau pensant conservateur dans lequel gravitait jusqu’à peu le cardinal américain Raymond Burke, l’opposant numéro un du pape à la curie. À cet institut est adossé le projet de fondation d’une école de formation des élites populistes européennes dans la chartreuse médiévale de Trisulti, à une centaine de kilomètres à l’est de Rome, dans le Latium, où réside Harnwell. Ce dernier, tout comme Bannon, est en croisade pour la défense de la vie et de la famille, et la sauvegarde des fondements de l’Occident judéo-chrétien. « Salvini a raison : l’Italie aux Italiens », tonne cet Anglais qui a voté pour le Brexit. Parmi ses pires griefs : le combat pontifical en faveur des migrants, son dialogue avec l’islam ou ses préoccupations écologiques, mais aussi les attaques de François contre « l’économie qui tue », un discours antilibéral irrecevable pour les Anglo-Saxons. « L’Église doit s’occuper de sauver les âmes, pas se mêler de politique, dit-il. Le pape se trompe sur le capitalisme, sur le climat et sur l’islam, qu’il continue de regarder comme s’il s’agissait d’une religion pacifique ! » Autre voix largement relayée, celle de Roberto de Mattei, l’historien à la tête de la Fondation Lepante, un mouvement de reconquête catholique abrité dans une église des premiers siècles sur le mont Aventin. Pour ce leader d’opinion de la galaxie traditionaliste, François menace depuis le début de son règne l’avenir de l’Église et celui de l’Europe. [Europe que le pape François n'aime pas selon Odon Vallet, voir vidéo ci-dessous.]





Menace de schisme

[...  Le] dernier acte [du pape], le Document sur la fraternité, un engagement signé en février 2019 aux Émirats arabes unis entre le pape et le recteur de l’université Al-Azhar du Caire, plaidoyer pour un dialogue islamo-chrétien plus ouvert que jamais, engagerait l’Église trop loin. « Moi, catholique militant romain, je ne veux pas d’un schisme, mais je le vois pourtant venir », avertit le professeur, dont les voyages aux États-Unis se multiplient. À l’unisson des évêques de ce pays, ou de l’archevêque d’Astana, au Kazakhstan, Roberto de Mattei égrène la longue série d’hérésies pontificales, dont celle contenue dans l’exhortation apostolique Amoris laetitia de 2016 consacrée à l’amour dans la famille : selon lui, un premier coup de canif au magistère de l’Église et aux sacrements du mariage. C’est à sa suite que quatre cardinaux de la curie, dont Burke, avaient émis des dubia (« doutes »), puis des correctio, soit, en d’autres termes, une menace de schisme.

Le récent synode sur l’Amazonie a réactivé toutes les inquiétudes dans ce camp de l’Église. Ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, remercié en 2017, le cardinal allemand Gerhard Ludwig Müller en parle avec d’autant plus de réticence que ce sont les fonds de l’Église allemande qui ont financé l’événement, en mettant à son agenda la question de l’ordination possible dans cette région d’hommes mariés (viri probati) comme celle de femmes diacres. Cela, afin d’ouvrir une brèche visant à introduire ces sujets sensibles dans le propre synode de l’Église allemande, prévu pour débuter en janvier. Une Église allemande décidément bien trop audacieuse et progressiste pour Müller, ancien gardien du dogme.

Les statuettes de la Pachamama, installées dans une église de Rome pour les représentants amazoniens du synode, puis dans les jardins du Vatican, et enfin dans la basilique Saint-Pierre, avant d’être volées par un jeune et fervent catholique autrichien, qui s’est filmé en les jetant dans le Tibre, ont créé un ramdam sur Internet. Pour Roberto de Mattei, intervenant dans une vidéo défendant l’acte de l’Autrichien, cette adoration idolâtre d’un autre culte admise sous la coupole de Saint-Pierre relève de l’apostasie… [plus de détails ici].

La fin de règne de François pourrait être agitée alors que le prochain conclave se fomente déjà et que de puissants lobbys médiatico-financiers américains y travaillent avec beaucoup de moyens. Baptisé « Red Hat report », leur projet promet une campagne à l’américaine, avec investigations et révélations des moindres éventuelles « casseroles » de tout cardinal de la ligne « bergoglienne » ayant un profil de papabile. Pour cette Amérique [...] la plus va-t-en-guerre contre François, le pape péroniste, sinon même marxiste, il serait bon que son successeur soit ouvertement pro-vie, moins pro-homo, qu’il ne se mêle ni des questions migratoires ni du réchauffement climatique et qu’il arrête de dialoguer avec l’islam. [...]

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