Dans son dernier livre, Belles-mères, beaux-pères, leurs brus et leurs gendres, publié chez Odile Jacob, Aldo Naouri, célèbre pédiatre, s’interroge sur les liens familiaux, mais aussi sur la place du père dans le couple, sur les jeunes et la société de consommation, avec un regard psychanalytique et historique.
Question — Pourquoi se méfie-t-on d’emblée de sa belle-mère ? Aldo Naouri — C’est la question que je me suis posée, compte tenu du nombre très important de jeunes femmes et de jeunes mères qui sont venues me parler des difficultés qu’elles avaient avec leur bellemère. Une date m’a frappé : le mois de Janvier. En effet, après Noël, le jour de l’an et toutes ces fêtes de famille, j’ai constaté à quel point ces moments intenses, où des disputes peuvent éclater, étaient parfois suivis de destructions de couple. Et en grande partie, à cause d’une pression du côté des bellesmères. Je me suis demandé pourquoi ? La réponse la plus immédiate, c’est qu’une belle-fille et sa belle-mère [la marâtre] sont deux femmes qui aiment le même homme.
Q. — La Bible parle des origines de la famille. Que nous raconte, par exemple, l’histoire d’Adam et Ève ?
A. N. — Elle nous raconte l’histoire de ce face-à-face qui montre que la vie est bien le résultat d’un équilibre entre deux forces opposées, un homme et une femme et que, pour un enfant en particulier, avoir un père et une mère, c’est absolument fondamental. Les sociétés ont œuvré dans le sens de cet équilibre en dressant un pouvoir paternel face à la puissance maternelle, cette puissance naturelle de donner la vie.
Il est bon que les deux parents soient présents et que, de la confrontation du masculin et du féminin, naisse un véritable équilibre pour l’enfant. Pourtant Ève, dans la Bible, en appelant son fils Caïn, qui signifie « je l’ai conçu avec Dieu », roule un peu dans la farine ce pauvre Adam qui ne devient plus que l’inséminateur. Symboliquement, Ève marque d’emblée son pouvoir sur l’univers infantile. Le vrai père étant Dieu, Ève sera bien la plus puissante du couple dans le destin de l’enfant.
Q. — Et que dit la science ?
A. N. — La science va s’efforcer de corriger le symbolique. Anthropologiquement et historiquement, on constate en effet que l’avènement de la puissance du père naît avec l’avènement de la culture, c’est-à-dire la loi de l’interdit de l’inceste, première initiative humaine dans le déséquilibre naturel. On rompt alors avec la nature. Cette loi sera le premier mur de soutènement de toutes les autres lois qui organiseront les sociétés. Et pourquoi les humains ont-ils pris cette décision, il y a environ 500 000 ans ? Toutes les explications anthropologiques ou psychanalytiques nous disent, une fois de plus, que c’est pour mettre de l’ordre dans le chaos de la sexualité masculine.
Cette initiative va créer au cours du temps une disparité entre l’homme et la femme. On constate en effet que la domination masculine, dont les femmes seront au fil du temps les victimes, va entraîner à son tour chez elles un investissement majeur vis-à- vis de leur enfant, qu’elles vont considérer comme légitime et leur appartenant.
Q. — À propos de cet enfant trop investi, vous insistez sur l’égoïsme, l’individualisme du monde contemporain. Comment influe-t-il sur nos liens familiaux ?
A. N. — Aujourd’hui, nous avons évacué l’idée de dette symbolique : les jeunes sont extrêmement investis par leurs parents, tout leur est dû. Ces adolescents dont on fait un marché en les flattant sur tout, et qui, parfois, prétendent savoir comment diriger le monde ou le refaire, et bien, ces jeunes ne se sentent pas du tout en dette envers leurs parents. On a supprimé l’idée de différence générationnelle, effacé la verticalité de la relation pour mettre en place une horizontalité.
Et la société de consommation a pu s’engouffrer dans cette brèche, jusqu’à consommer du partenaire comme un produit. Simplement parce que notre environnement culturel (cinéma, musique, télévision) projette une idée de l’amour purement adolescente. L’amour ne pourrait être qu’amour passion ! Celui-ci est fort, intelligent et beau, mais il est spécifique à l’adolescence parce qu’il est si intense, que l’on ose alors abandonner le giron parental sécurisant pour prendre le risque de l’inconnu. Mais après, il faut tenir compte de la réalité.
Le mariage en particulier, qui demande de faire des concessions pour que l’autre existe, ce qui est le contraire de l’individualisme où il n’y a pas d’autre que moi.
Q. — Vous dites que dans le couple la mère doit rester une femme avant d’être mère et que seul le mari peut l’y aider ?
A. N. — Aujourd’hui, où la société tend à effacer le père dans un couple — nom de la mère juridiquement égal à celui du père, congé paternel prolongé… —, c’est d’abord à l’homme de faire l’effort de rester suffisamment séduisant pour que sa femme ait envie de redevenir une femme et ne sombre pas dans le gouffre de la maternité. La société a gommé le patriarcat pour faire triompher le matriarcat, mais celui-ci va s’écrouler s’il n’y a plus en face la force symbolique de la dimension paternelle, toujours au nom de cette loi de l’équilibre familial ! Pour répondre à votre question, si l’homme demande à une mère de redevenir une femme, alors l’autorité passe bien, les rôles sont plus harmonieusement répartis. L’homme, la femme, l’enfant, retrouvent leur juste place...
Source : Famille & Éducation n° 489
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