Ce 6 juillet, le Sénat français a publié un rapport sur le patrimoine religieux français : près de 5000 édifices religieux seraient menacés de disparition. À cette occasion, Marc Eynaud, auteur de Qui en veut aux catholiques ?, s’interroge sur la place du christianisme en France. Le Figaro s’est entretenu avec lui.
FIGAROVOX. — Dans votre ouvrage Qui en veut aux catholiques ?, vous précisez que votre travail n’est, non pas universitaire ou théorique, mais est celui d’un journaliste. Quelle est la nature de cet ouvrage et pourquoi avoir décidé de l’écrire ?
Marc EYNAUD. — Je pense que la multitude de ces attaques, dégradations, profanations et autres incendies sont la raison même de ce livre au-delà des clefs de compréhension intellectuelle. Je ne suis effectivement ni universitaire ni un théoricien, je me suis attaché avant tout à écrire et expliquer ce que je vois et ce que j’observe quotidiennement. Sans cela, ce livre n’aurait aucun sens. C’est la réalité de ces attaques qui ont mené à l’écriture de ce livre. Avant de réfléchir sur les causes, il faut voir, rapporter et porter à la connaissance de l’opinion la réalité des faits. C’est pourquoi j’ai voulu apporter ces précisions : je n’ai pas la prétention d’expliquer deux mille ans d’Histoire ni faire un tableau de l’Histoire des Idées. Avant de se demander comment nous en sommes arrivés là, il faut donner le « là ».
— C’est sur le terrain intellectuel que les coups les plus violents sont portés selon vous. En quoi la foi a-t-elle été amputée de sa transcendance avec l’émergence de l’approche rationaliste au XIXe siècle ?
— L’approche rationaliste, qui s’est traduite par une véritable guerre entre l’Église de France et la République dans les manuels scolaires au début du XXe siècle a été un rude coup porté au catholicisme sur plusieurs points. Cette approche a détruit une grande part du sacré et a voulu confronter foi et raison comme si ces deux entités étaient opposables par nature. Ce n’est pas un hasard si le XIXe siècle a été aussi celui des grands mystiques comme le Curé d’Ars ou Sainte Catherine Labouré. Paradoxalement et pendant que les différents régimes occidentaux se lançaient dans la construction de leurs empires coloniaux, des centaines de missionnaires ont trouvé la mort en évangélisant les recoins les plus reculés du globe.
Les quelques chiffres que lâchent du bout des lèvres les services du ministère de l’Intérieur le prouvent : 1052 faits recensés, qui se décomposent en 996 actions et 56 menaces. La religion chrétienne est de loin la plus attaquée. Je demande au lecteur de faire l’expérience de taper les mots-clefs « Profanation église » ou « effraction église » dans un moteur de recherche pour s’en rendre compte. Objectivement c’est assez effrayant. Bien entendu, on peut expliquer ce sinistre record en partie par le fait que les églises et calvaires sont les édifices religieux les plus nombreux sur le territoire, certains d’entre eux abritent des trésors qui excitent l’attrait des voleurs, ferrailleurs et trafiquants d’art. En revanche, les actes purement malveillants sans objectif de vol se multiplient en parallèle. En outre, il ne faut pas l’oublier, mais les chrétiens sont les cibles privilégiées des attentats islamistes. L’assassinat du Père Hamel est le plus symbolique, mais on peut rajouter les attentats manqués de Villejuif et de Notre-Dame de Paris. Celui, réussi hélas, de la basilique de Nîmes et je révèle dans ce livre qu’un attentat au couteau a été déjoué in extremis à Montmartre.
Cette approche rationaliste, cette tentative républicaine de rabaisser le christianisme au même niveau que toutes les autres religions, aura été à la fois un grand tort pour la chrétienté en France, mais a aussi provoqué une réaction forte qui n’a pas enrayé le déclin, mais qui l’a fortement ralenti. Il faut de toute façon être réaliste : l’Église ne s’est jamais remise du coup porté par la Révolution qui a provoqué une saignée irrémédiable et surtout déchristianisé (déprêtrisé pour reprendre la terminologie révolutionnaire) des territoires entiers. Le XIXe a été le siècle de la Mission, mais aussi celui d’une tentative de reconquête spirituelle.
— Vous revenez minutieusement sur les très nombreuses attaques et dégradations d’églises méconnues, pour leur immense majorité, du grand public. Au-delà des dégâts matériels, ces attaques touchent « à l’intime ». Pourquoi ?
— Elles touchent à l’intime parce qu’elles dégradent ce qu’il y a de plus précieux chez un individu : sa Foi et sa conscience. Mgr Aupetit l’avait particulièrement bien décrit lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris : aussi terrible soit cette perte pour le patrimoine et la culture du monde, cet édifice n’est rien de moins qu’un écrin protégeant ce qu’il y a de plus précieux pour les catholiques : la Présence Réelle. Je pense qu’une grande partie de l’incompréhension vient de là : lors d’une profanation, la justice va estimer le préjudice en se basant sur la valeur marchande d’un ciboire ou d’un ostensoir. Elle ne saurait prendre en compte une hostie que sous sa valeur marchande à savoir quelques centimes d’euros. Pour le profane c’est anecdotique, pour le catholique c’est l’entièreté de sa Foi qui y était contenue et qui a été volé, profané ou détruit.
— Vous citez la formule du père Christian Vénard qui a publié une tribune dans Le Point : « Non, notre unité ne peut se reconstruire que dans une réconciliation nationale, qui passe par une réconciliation de tous les Français avec leur histoire ». Les Français sont-ils en guerre avec leurs racines ? Qui mène cette guerre ?
— Je pense qu’heureusement, une majorité de Français n’est pas en guerre avec son Histoire. Il suffit de voir l’appétence de nos compatriotes pour leur patrimoine historique et le succès des fêtes Johanniques à Orléans ou du rayonnement du Puy du Fou. Hélas, tout est toujours l’affaire d’une minorité. Une minorité dont le principal moteur est la repentance, une minorité qui s’engraisse sur la lutte antiraciste et sur les supposés crimes dont vous, moi, l’agriculteur de la Creuse, le pompier de Paris et le comptable de Suresnes serions coupables de toute éternité et pour toujours. En revanche, l’arme principale et dévastatrice de ces individus reste l’ignorance.
Si l’interdit moral qui protégeait les lieux de culte a visiblement volé en éclats, c’est parce que nous voyons émerger des générations totalement acculturées et ignorantes littéralement de pans entiers de son Histoire dont fait partie le catholicisme. [Une grande partie des générations qui « émergent » ne sont tout simplement plus françaises de culture, ni même européennes.] Au fond, la seule convergence de luttes que vous verrez chez ces militants c’est tout simplement d’enlever l’Église du centre du village. Mais tout cela au nom du bien, évidemment ! D’ailleurs, la sémantique est intéressante : on ne brise pas des statues, on les « déboulonne », on ne détruit pas un peuple, on le « déconstruit ». C’est Attila conseillé par un service marketing.
— Vous pointez l’une des grandes contradictions de la laïcité républicaine poussée à l’extrême : si la République ne reconnaît certes aucun culte, elle s’appuie sur deux mille ans d’histoire et de tradition catholique. Peut-on, en France, dissocier religion catholique et histoire ?
— On ne peut pas à moins d’amputer gravement la seconde. Comment évoquer l’avènement de Clovis, 1500 ans de monarchie et même la République laïque sans prendre en compte le christianisme ? Comment parler du rayonnement de la France sans le corréler à l’essor du catholicisme ? Comment comprendre l’Histoire de France en omettant celle de l’Église Catholique ? C’est tout bonnement impossible. Si un courant au sein de l’Éducation nationale tend à faire croire que l’Histoire de notre pays a commencé en 1789 et qu’avant nos ancêtres étaient analphabètes et subissaient famine continuelle et injustice latente, tout démontre qu’au contraire nous sommes le fruit d’une Histoire longue et riche.
— Vous écrivez qu’à « l’ère de la postmodernité et de l’individu roi, le message catholique est chaque jour un peu plus marginalisé ». Le catholicisme, dont la pensée s’inscrit dans la durée, peut-il être en paix avec le monde moderne ?
— Le philosophe Nicolas Gomez Davila disait : « Le monde moderne tourne le dos aux catholiques qui eux ne le lui tournent pas ». Le problème étant que le monde moderne ne le leur pardonne pas. Le « problème » du catholicisme est d’être une sorte de modèle contre-révolutionnaire universel. Contre le mondialisme, le wokisme, l’islamisme… Ces dernières années, chaque « avancée » sociétale a été un coup porté à l’anthropologie chrétienne, la question n’est en fait pas de savoir si un catholique peut être en paix, la question étant a-t-il conscience qu’il ne vit plus dans une civilisation chrétienne et admet-il que les choix sociétaux posés sont en inadéquation avec la vision de la religion dont il se réclame ? On pourrait couper court à ce débat en constitutionnalisant les racines chrétiennes de la France, mais cela reviendrait à faire opérer à la société un virage à 180 degrés. Ce qui serait aujourd’hui presque utopique.
— Vous écrivez comme première phrase de conclusion « Tuer le père ». Cette sentence résume-t-elle le malaise profond engendré par la haine du catholicisme ?
— Il faudrait tuer le père symboliquement pour s’émanciper et devenir adulte. Cette vieille théorie psychanalytique prend tout son sens tant on assiste aux balbutiements d’une société adolescente en proie à une véritable frénésie. Au fond, la France a tué son roi, et essaye de tuer son Dieu. Mais pour arriver à ce dernier point, il faudrait en finir avec le catholicisme dans ce qu’il a de spirituel et d’intellectuel, mais aussi et surtout parce qu’il est lié à une Histoire devenue impossible à assumer, un joug perçu comme trop lourd, un frein, un ancrage, etc. Autant de concepts que la société moderne voudrait détruire, car à l’ère du liquide, il faut absolument abattre tout ce qui enracine. La Foi n’est pas qu’une croyance à une vie éternelle comme un bouddhiste croirait en la réincarnation. Elle est une identité qui résiste aux modes du temps, une liberté intérieure, un modèle social basé sur la famille… En bref tout ce que hait la modernité.
— En quoi l’universalisme des droits de l’Homme, qui a remplacé l’universalisme chrétien, puise-t-il paradoxalement ses valeurs dans le christianisme ?
— Lorsque la Révolution décapite le Roi, lieutenant du Christ sur Terre, donc de Dieu, il faut trouver un nouveau centre sur laquelle fonder une morale et l’Homme y revêt une importance toute particulière. Aujourd’hui, l’universalisme des Droits de l’Homme a pris une dimension presque « religieuse ». Beaucoup connaissent cette citation de Chesterton : « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles », mais peu savent que cette citation a été amputée de sa partie la plus importante : « Elles sont devenues folles, parce qu’isolées l’une de l’autre et parce qu’elles vagabondent toutes seules ». C’est le drame du monde moderne qui, en s’amputant de la transcendance, en voulant sortir de la chrétienté en tant que civilisation, s’est vaguement raccroché aux « Droits de l’Homme ». Or, et c’est tout le paradoxe, en évacuant de ce concept la dimension chrétienne, cet universalisme des Droits de l’Homme est réduit à une vision purement occidentale et idéologique, mais surtout boiteuse. Ainsi, la Ligue des Droits de l’Homme milite pour le droit à l’avortement et à l’euthanasie alors même que ces actes contreviennent au premier des droits qui est de vivre. Nous ne sommes plus sur une protection de l’homme de sa conception à sa mort naturelle, mais sur la promotion des droits individuels au détriment de l’Homme. En se séparant du christianisme, et au nom de vertus devenues folles on oppose l’individu au droit humain le plus élémentaire : celui de vivre.
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