L'École domine le débat politique français depuis deux cents ans. Longtemps perçue comme un instrument d'émancipation sociale et politique, elle connaît, depuis la massification des études secondaires et supérieures commencée durant la seconde moitié du XXe siècle, une crise qui souligne les contradictions existant entre sa fonction de reproduction des élites méritocratiques et le projet humaniste égalitaire dont elle se réclame, et, au-delà, les contradictions internes à l'idéal démocratique du peuple français.
L'École doit-elle rester le socle d'une république méritocratique instituant plus de justice dans les inégalités, ou devenir la matrice d'une société égalitaire ? Doit-elle avant tout transmettre le savoir de manière peu ou prou magistrale et impositive ou ouvrir des voies d'accès, diversifiées suivant les publics et les individus, à la connaissance ? Les hommes, égaux en dignité, sont-ils tous capables d'accéder au registre supérieur du savoir élaboré ? L'égalité de dignité et de raison implique-t-elle l'égalité devant le savoir ? Jusqu'à quel point la correction des inégalités sociales et culturelles par l'École s'accorde-t-elle avec la fonction de promotion individuelle (impliquant de tirer parti des inégalités) que l'on attend d'elle ? Ces questions, posées de façon cruciale par l'unification du système éducatif et l'accès de tous les jeunes aux études secondaires, voire supérieures, les Français ont voulu les éluder.
D'intérêts opposés, les parents et les syndicats d'enseignants ont imposé au pouvoir politique la passivité devant la submersion démographique des enseignants secondaire et supérieur, le statu quo, le refus de choisir entre une orientation méritocratique repensée et une option privilégiant la recherche de l'accès de tous à la connaissance au moyen d'une pédagogie différenciée et d'accompagnement. Les uns et les autres ont concouru à rendre impossible la nécessaire réforme de l'institution scolaire et à un immobilisme qui a contraint à un enseignement de masse une institution conçue pour un public restreint et homogène. Notre système éducatif, dès lors privé de tout projet cohérent, de toute politique clairement définie, s'efforçant de tenir la balance entre des exigences contradictoires, incapable de canaliser les flux de sa population d'élèves et d'étudiants, est devenue une organisation gigantesque, contradictoire dans ses initiatives et ses directives, ingérable, productrice d'effets pervers et autres dysfonctionnements, et plus que jamais incapable de corriger les inégalités sociales. Les professeurs du secondaire ont eu une lourde responsabilité dans ce marasme. Représentants d'une conception aristocratique du savoir remontant à l'antiquité classique, et héritiers d'une tradition corporative apparue dès le Moyen Age et consolidé par l'État jacobin, ils n'ont pas voulu renoncer à leur statut de maîtres dépositaires du savoir qui leur conférait une puissance certaine aux yeux de leurs contemporains. Maîtres, ils n'ont pas voulu devenir des éducateurs, et ont subi, souvent dans la plus grande souffrance, l'enseignement de masse. Se réclamant d'idéaux démocratiques avancés, ils n'ont pas voulu faire les frais de la démocratisation de l'enseignement.
L'idéal scolaire français : de l'utopie à l'entropie
par Yves Morel
263 pages
Éditions Bellier, Paris, octobre 2007
ISBN-13 : 978-2846311908
Biographie de l'auteur
Yves Morel, docteur en Histoire (EHESS, Paris), titulaire d'un DEA de Sciences de l'Education, certifié d'Histoire-Géographie, travaille à la Délégation académique à la Formation des personnels (DAFOP) du Rectorat de Lyon.
L'École doit-elle rester le socle d'une république méritocratique instituant plus de justice dans les inégalités, ou devenir la matrice d'une société égalitaire ? Doit-elle avant tout transmettre le savoir de manière peu ou prou magistrale et impositive ou ouvrir des voies d'accès, diversifiées suivant les publics et les individus, à la connaissance ? Les hommes, égaux en dignité, sont-ils tous capables d'accéder au registre supérieur du savoir élaboré ? L'égalité de dignité et de raison implique-t-elle l'égalité devant le savoir ? Jusqu'à quel point la correction des inégalités sociales et culturelles par l'École s'accorde-t-elle avec la fonction de promotion individuelle (impliquant de tirer parti des inégalités) que l'on attend d'elle ? Ces questions, posées de façon cruciale par l'unification du système éducatif et l'accès de tous les jeunes aux études secondaires, voire supérieures, les Français ont voulu les éluder.
D'intérêts opposés, les parents et les syndicats d'enseignants ont imposé au pouvoir politique la passivité devant la submersion démographique des enseignants secondaire et supérieur, le statu quo, le refus de choisir entre une orientation méritocratique repensée et une option privilégiant la recherche de l'accès de tous à la connaissance au moyen d'une pédagogie différenciée et d'accompagnement. Les uns et les autres ont concouru à rendre impossible la nécessaire réforme de l'institution scolaire et à un immobilisme qui a contraint à un enseignement de masse une institution conçue pour un public restreint et homogène. Notre système éducatif, dès lors privé de tout projet cohérent, de toute politique clairement définie, s'efforçant de tenir la balance entre des exigences contradictoires, incapable de canaliser les flux de sa population d'élèves et d'étudiants, est devenue une organisation gigantesque, contradictoire dans ses initiatives et ses directives, ingérable, productrice d'effets pervers et autres dysfonctionnements, et plus que jamais incapable de corriger les inégalités sociales. Les professeurs du secondaire ont eu une lourde responsabilité dans ce marasme. Représentants d'une conception aristocratique du savoir remontant à l'antiquité classique, et héritiers d'une tradition corporative apparue dès le Moyen Age et consolidé par l'État jacobin, ils n'ont pas voulu renoncer à leur statut de maîtres dépositaires du savoir qui leur conférait une puissance certaine aux yeux de leurs contemporains. Maîtres, ils n'ont pas voulu devenir des éducateurs, et ont subi, souvent dans la plus grande souffrance, l'enseignement de masse. Se réclamant d'idéaux démocratiques avancés, ils n'ont pas voulu faire les frais de la démocratisation de l'enseignement.
L'idéal scolaire français : de l'utopie à l'entropie
par Yves Morel
263 pages
Éditions Bellier, Paris, octobre 2007
ISBN-13 : 978-2846311908
Biographie de l'auteur
Yves Morel, docteur en Histoire (EHESS, Paris), titulaire d'un DEA de Sciences de l'Education, certifié d'Histoire-Géographie, travaille à la Délégation académique à la Formation des personnels (DAFOP) du Rectorat de Lyon.
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