mardi 20 septembre 2016

Angleterre : retour de la sélection dès l’entrée dans le secondaire, disparue depuis 50 ans

Theresa May quand elle était élève d'une grammar school

Le 9 septembre, la nouvelle Première ministre britannique, Theresa May, a annoncé son plan pour bâtir une « Grande-Bretagne réellement méritocratique » qui assure la mobilité sociale « des meilleurs élèves, indépendamment de leur origine. »

Les détails présentés au Parlement trois jours plus tard, comprennent quelques ajustements mineurs, telles que l’ouverture de plus d’écoles religieuses et une plus grande implication des universités et des écoles privées dans l’enseignement prodigué par l’État.

Mais la pièce maîtresse était un grand changement de politique qui enchante certains députés au sein de son Parti conservateur et en consterne d’autres : la fin de l’éducation « générale » commune (comprehensive education) à toutes les écoles publiques et le retour à la sélection à l’entrée de meilleures écoles publiques. Les académies et les « écoles libres », des écoles autonomes introduites ces dernières années et financées notamment par le Trésor public, ne peuvent sélectionner à l’entrée les élèves qui s’y inscrivent.

Le gouvernement désire donc mettre fin à l’interdiction de fonder de nouvelles écoles publiques sélectives (appelées grammar schools) qui sélectionnent les élèves à 11 ans sur la base de leurs résultats scolaires.

À leur apogée, au début des années 1960, les écoles publiques sélectives formaient environ un quart des élèves. Puis, au milieu des années 1960, le gouvernement travailliste a forcé leur conversion en écoles publiques non sélectives. Anthony Crosland, le ministre travailliste de l’Éducation de 1965 à 1967, aurait déclaré à sa femme biographe qu’il allait « détruire toutes les foutues écoles sélectives en Angleterre ». Certaines autorités locales résistèrent. Mais il ne reste plus que 163 grammar schools en Angleterre. Elles ne forment plus que 5 % des élèves anglais. L’Écosse et le Pays de Galles n’en ont plus aucune ; alors que l’Irlande du Nord en a encore de nombreuses.

Nombre de conservateurs se réjouissent de cette mesure. Les écoles publiques sélectives sont considérées comme un ascenseur social grâce auquel les enfants pauvres intelligents peuvent grimper dans la hiérarchie sociale. Les conservateurs doivent aider les désavantagés et soutenir une vision méritocratique de la mobilité sociale, affirme Dominic Raab, un député conservateur en faveur de plus de grammar schools. Les partisans de cette mesure se rappellent avec nostalgie l’époque où les anciens élèves des écoles publiques sélectives se trouvaient à la tête d’entreprises, de la fonction publique et de la politique. Les cinq Premiers ministres de 1964 à 1997 étaient tous issus de grammar schools. C’est également le cas de Mme May alors que ces prédécesseurs avaient été éduqués dans de prestigieuses écoles privées (David Cameron à Eaton et Tony Blair à Fettes College). Aujourd'hui, près de la moitié des ministres de Theresa May sont d’anciens élèves d’écoles publiques non sélectives ; Justine Greening, la nouvelle ministre de l’Éducation en fait partie.

Theresa May justifie cette décision par l'hypocrisie du système actuel : « Depuis trop longtemps nous avons toléré un système éducatif qui empêche l’existence d’établissements sélectifs sacrifiant le potentiel de nos enfants par dogmatisme et par idéologie. La vérité est que nous avons déjà un système de sélection et que celui-ci est basé sur le prix des logements, c’est une sélection par la richesse. »

Des études démontrent que les bons élèves améliorent leurs notes en allant dans les écoles publiques sélectives (grammar schools) plutôt que dans les écoles non sélectives (comprehensive schools). Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Bristol en 2006 a révélé qu’un élève fréquentant une école publique sélective voyait ses points augmenter de 4 niveaux au GCSE, les examens passés à 16 ans en Angleterre. Il s’agit d’un coup de pouce très important, mais il aurait un coût social. Ceux qui ne parviennent pas à entrer dans une grammar school ont des notes moins bonnes qu’en l’absence de réseau d’écoles publiques sélectives. Une explication probable, selon Rebecca Allen de Education Datalab, un groupe de recherche : les écoles sélectives attirent les meilleurs enseignants. Il n’y aurait donc pas d’amélioration globale des résultats dans la population : l’amélioration des meilleurs étant compensée par le retard pris par les moins bons. Pour certains, récompenser le mérite de cette manière pourrait se défendre s’il améliorait la mobilité sociale. Mais cette séparation en écoles sélectives et non sélectives y ferait obstacle. En effet, à 11 ans, les enfants pauvres accusent déjà près de dix mois de retard en termes de scolaire sur leurs pairs selon l’Education Policy Institute, un laboratoire d’idées, ce qui signifie qu’ils sont moins susceptibles de réussir les examens d’entrée des écoles publiques sélectives.

Les partisans de la sélection à l'entrée du secondaire public soutiennent que les écoles sélectives accueillent les meilleurs enseignants parce qu’elles se trouvent dans de belles banlieues vertes et parce qu’elles sont rares, ce qui augmente la concurrence pour le peu de places disponibles. Il faudrait donc que le gouvernement May en implante davantage et dans des zones défavorisées, de déclarer Don Porter de Voix conservatrice, un groupe de pression qui soutient les grammar schools. Cela pourrait améliorer les choses bien que les parents semblent déjà prêts à laisser leurs enfants se déplacer pour fréquenter de bonnes écoles. Un quart des élèves des écoles sélectives proviennent d’une autre autorité locale (district scolaire).

En Irlande du Nord, près de la moitié des enfants continuent de fréquenter les écoles publiques sélectives et on y trouve plus de diplômés avec de bons résultats que dans le reste du Royaume-Uni. En outre, une augmentation du nombre d’élèves en grammar schools en 1989 avait été suivie par une amélioration globale dans les résultats aux examens. Les partisans concluent que plus d’écoles publiques sélectives augmentent le niveau général, les adversaires affirment que si une telle proportion d’enfants bénéficie de l’effet de sélection et d’une plus grande rigueur scolaire, ces traits devraient être des caractéristiques de toutes les écoles.

Si le gouvernement va de l’avant avec cette réforme, il devra faire face à une forte opposition au Parlement. Mais les sondages suggèrent que les électeurs aiment l’idée.

Pour certains chroniqueurs comme ceux de The Economist, il se peut, toutefois, qu’une mesure moins voyante que le retour de la sélection puisse mieux augmenter les résultats dans l’ensemble des écoles. Il s'agit d'une mesure mise en place par le prédécesseur de Mme May, David Cameron. En effet, les écoles ne seront désormais plus classées en fonction de la part des élèves obtenant cinq notes C lors des examens du GCSE passés à 16 ans (ce qui les encourageait à se concentrer sur le milieu de l'échelle des compétences), mais sur le nombre d’élèves qui font aussi bien que prévu étant donné leurs résultats à l’entrée du secondaire. Cela devrait favoriser de meilleurs résultats dans toutes les écoles.

Source : The Economist, Times de Londres.

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