jeudi 11 juin 2009

Pour assurer un programme de culture religieuse de qualité

Texte transmis au Devoir par le témoin expert Gérard Lévesque au procès de Loyola, ce texte n'a pas encore été publié.

Pour assurer un programme de culture religieuse de qualité

L’État se doit de soutenir l’enseignement confessionnel


Pour échapper au réductionnisme, au populisme, au phénoménisme, le savoir culturel d’ordre religieux doit prendre soin de transmettre le sens profond des expressions du sentiment religieux. Cela est manifeste dans le cas des faits et gestes du culte, comme la posture de prière, telle celle de l’adepte de la religion musulmane, la tenue vestimentaire du sikh et les coutumes alimentaires de la religion juive ou hindoue. Toutefois, il pourrait sembler qu’un soin aussi attentif ne soit pas requis dans le cas où l’on rapporte un récit ou texte sacré puisqu’il peut sembler que l’expression écrite du religieux est en elle-même suffisamment porteuse de sens. En d’autres mots, on pourrait penser, comme le croit le programme Éthique et culture religieuse (ÉCR), que le sens des textes sacrés tombe sous le sens.

Mythes et récits énigmatiques

Or tel n’est pas le cas. Qui, en effet, peut prétendre connaître le sens véritable des mythes et légendes dont le programme ÉCR fait un abondant usage, dans un contexte superficiel et trompeur, dont la légende amérindienne de Glouskap, né de la poussière sur la main de Tabal-dak, l’être créateur, et qui enseigna par subterfuges aux humains l’art de chasser et pêcher ? Qui peut prétendre détenir le sens originel de récits aussi ésotériques qui relèvent, nous dit le dictionnaire, de cette « connaissance qui se transmet par tradition orale » et, de plus, « à des adeptes initiés » et « dont le sens est caché et réservé à des adeptes qualifiés » (Le Nouveau Petit Robert, 2009, au mot ésotérique) ? Quant à la religion musulmane, qui peut avoir la certitude de saisir la véritable teneur de textes aussi fondamentaux que le Coran, alors que les spécialistes de cette religion ne s’entendent pas eux-mêmes entre eux sur l’interprétation qu’il faut en faire, comme le montre Sami Aoun dans L’Islam entre tradition et modernité ? Ne pensons qu’au voile islamique, à son sens et à l’obligation ou non de le porter.

Qui oserait affirmer qu’on peut, sans longues études approfondies, arriver à comprendre le sens d’un livre aussi ancien et fondamental que la Genèse et pouvoir éclairer aisément ses révélations centrales, mais énigmatiques, dont celle qui déclare que nos premiers parents « virent qu’ils étaient nus » à la suite d’une faute originelle qui impliquerait les humains de tous les temps ? Qui pourrait anticiper toutes les questions dont ce texte sacré est porteur et prétendre avoir fait le tour des questions qui s’imposent à la recherche théologique dont la récente problématique du créationnisme ? Même au sujet d’une prière en apparence aussi simple que le Notre Père, prière pourtant souvent récitée par le chrétien pratiquant, qui pourrait avoir sans étude une connaissance distincte de ses demandes ? Qui pourrait par exemple donner le sens de cette étonnante sixième demande « Ne nous soumets pas à la tentation », comme si Dieu lui-même nous exposait à faire le mal ?
[Note du carnet : Plusieurs exégètes pensent d'ailleurs que la phrase est mal traduite en français. Jusque dans les années 1970, la traduction catholique (non officielle) en était « ne nous laissez pas succomber à la tentation ». Les orthodoxes francophones se sont prononcés en 2005 pour l'emploi de la formule « Ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve ».]
Quel chrétien peut prétendre ne pas avoir à approfondir sa foi grâce aux exposés de la richesse profonde de ces récits pourtant fort simples que sont les Paraboles, dont celles-là mêmes que nous croyons les plus connues, tel le Fils prodigue alors qu’une interprétation de premier niveau nous en cache le sens profond, comme le montre éloquemment Frédéric Marlière ?

Qui peut prétendre ne pas avoir à s’interroger sur les sens du message de Jésus annonçant, il y a plus de deux milles ans, rien de moins que l’imminence du Royaume de Dieu en affirmant que « le règne de Dieu est tout proche » (Marc, 1, 14-20) ? Les textes sacrés de quelque religion que ce soit abondent en passages qui prêtent flanc à l’incrédulité et même à la dérision et qui n’y échappent que grâce à la difficile saisie de leur sens profond.

Ces exemples devraient suffire pour prendre conscience que la formation confessionnelle approfondie est nécessaire, non seulement pour procéder à un choix éclairé des textes représentatifs, mais nécessaire à leur compréhension. Et donc, là même où il pourrait sembler qu’un authentique savoir culturel religieux est facilement accessible grâce aux textes sacrés, il ressort que même ce savoir est entre les mains des adeptes et spécialistes autorisés de la religion concernée. Et ces docteurs en leur matière ont la tâche de toujours approfondir davantage les textes et récits de leur confession religieuse. Bref, ici encore, nous sommes forcés de reconnaître que, tout comme au niveau des gestes du culte et des préceptes de la morale religieuse, le fait de manifester la compréhension du phénomène religieux par ses expressions écrites, comme le programme ÉCR dit vouloir le faire, n’est possible qu’en dépendance avec un cadre autorisé de doctrine et de recherche confessionnelles. Seule la connaissance éclairée de sa foi peut permettre au croyant de donner à d’autres un accès culturel et respectueux à sa religion et éviter d’en présenter des simulacres.

Nécessité de l’enseignement confessionnel

En matière religieuse, le savoir culturel est donc tributaire du savoir confessionnel. Cette dépendance fait qu’on n’est pas ici en présence de raisons de convenance, de quelque chose de simplement souhaitable ou facultatif, mais face à une exigence qui découle de la nature des réalités en cause et qui s’impose à nous. Nous ne sommes pas en matière arbitraire, laquelle se définit comme étant ce « qui dépend de la seule volonté, du libre choix… qui ne tient pas compte de la réalité, des exigences de la science ». (Le Nouveau Petit Robert, 2009 ).

Or, comme en tout savoir, français, histoire ou mathématique, en matière religieuse, pour avoir des spécialistes autorisés et des chercheurs avisés, comme le sont les théologiens, les rabbins et les imams, il faut les former. Ce sont d’eux que des enseignants compétents et leurs manuels peuvent tirer la validité de leurs connaissances. Comme dans les autres disciplines, cette formation religieuse est d’abord reçue de façon embryonnaire dans la famille et doit être complétée par l’école pendant de nombreuses années subséquentes, jusqu’à l’université. Il n’y a là rien de bien étrange. Ce n’est rien d’autre que le processus normal de formation. Les véritables spécialistes de confession religieuse le sont devenus grâce à ce long parcours. Cette formation particulière, formation doctrinale, ne peut être transmise par la famille, ni par l’enseignement catéchétique dispensé par la communauté de croyants. Même religieux, ce savoir ne tombe pas du ciel !

Le système scolaire a donc comme responsabilité de dispenser l’enseignement confessionnel pour contribuer à assurer l’acquisition de la formation doctrinale que requiert son intention de transmettre un savoir culturel religieux authentique. Nous sommes ici en présence d’une nécessité telle que, si ce qui est nécessaire ne s’impose pas de façon absolue ou en toute circonstance, cela s’impose néanmoins de façon conditionnelle, en ce sens que si l’on veut une chose, il est nécessaire de faire telle autre chose. Ainsi, il n’est pas absolument nécessaire de vivre, mais si l’on veut vivre, il faut manger. Et, davantage en rapport avec notre sujet, si l’on veut enseigner, il faut apprendre, quel que soit le savoir que l’on veut transmettre, qu’il soit religieux ou profane. De même, il n’est pas de nécessité absolue que l’école transmette une culture religieuse authentique et respectueuse de diverses croyances. Mais si l’on veut que l’école le fasse, il est tout à fait impérieux qu’elle contribue à l’apprentissage du savoir confessionnel qui est nécessairement requis à cette transmission. Il ne peut être que contraire aux lumières de la raison, et donc déraisonnable, que l’on supprime l’enseignement confessionnel scolaire pour que l’école transmette, comme veut le faire le programme ministériel ÉCR, une culture religieuse visant à « manifester la compréhension du phénomène religieux » !

Or comprendre, comme nous le dit le dictionnaire Multi de la langue française, ce n’est pas apprendre de façon quelconque ou simplement acquérir la connaissance de quelque chose, c’est connaître avec une certaine profondeur, c’est saisir le sens de quelque chose, et non pas n’en voir que les apparences. Quiconque fait une analyse sérieuse du programme ÉCR et ses manuels constate que les cas abondent où les expressions du religieux ne découlent pas d’un savoir confessionnel authentique, mais sont plutôt présentées aux élèves de façon réductrice et fort trompeuse. Il en est ainsi du fait de mettre sur le même pied, sans aucune distinction, des êtres dits surnaturels comme le Christ ou Bouddha avec Glouskap et le Cerbère de la mythologie grecque, un chien à trois têtes qui garde la porte des enfers, ou encore l’Ange Gabriel avec Vénus, déesse de la mythologie romaine. Pareils programme scolaire et manuels peuvent-ils représenter un véritable savoir de culture religieuse à transmettre à nos jeunes Québécoises et Québécois ?


Gérard Lévesque
Philosophe et éthicien

1 commentaire:

Julie de la riviere a dit…

Manuel de l'él`ve A
Éthique et culture religieuse
Etre en Société
1e cycle du secondaire
Les Éditions CEC(Québecor)

p.115
Les récits dans la culture religieuse
..., et le récit ne se préoccupe pas de la réalité historique de ce qu'il ranconte....

p.129
Les Regles
...Les moines et les nonnes bouddhistes sont toujours végétariens; les laics les plus conscients le sont, mais pas toujours.

sans commentaires.

Julie