lundi 5 décembre 2022

Dénomination de la brioche de Saint-Nicolas

La Saint-Nicolas est une fête chrétienne, qui met en scène Nicolas de Myre (qu’on appelle plus généralement saint Nicolas), et son méchant compagnon, le Père Fouettard (Zwarte Piet [Pierrot le Noir] en néerlandais). Dans l’est de l’Europe, la Saint-Nicolas est surtout fêtée dans les pays à tradition essentiellement orthodoxe (Chypre, Grèce, Russie, etc.) et dans les pays de tradition (partiellement) catholique se rattachant historiquement ou géographiquement à l’Empire germanique (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse, etc.). En France, les régions où l’on célèbre la Saint-Nicolas les plus souvent mentionnées comprennent le Grand Est, les Hauts-de-France et l’ex-Franche-Comté.

Les données collectées dans le cadre des enquêtes conduites dans le cadre du programme de recherche Français de nos Régions a permis d’établir précisément la vitalité et l’aire d’extension du phénomène dans la francophonie d’Europe.

La carte ci-dessous a été établie sur la base des réponses de plus de 11 500 internautes ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur vie en Belgique, en France ou en Suisse ; et à qui l’on a présenté l’instruction suivante « Le 6 décembre de l’an, c’est la Saint-Nicolas. Faites-vous quelque chose de spécial (distribution de cadeaux ou friandises aux enfants, p. ex.) pour célébrer cet événement ? ». Nous avons calculé le pourcentage de réponses positives pour chaque arrondissement de Belgique, de France et de district en Suisse, et fait varier leur couleur en fonction de la valeur des pourcentages (plus la couleur est froide, plus le pourcentage de participants ayant indiqué célébrer la Saint-Nicolas est bas ; inversement, plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants ayant déclaré fêter l’événement est important). 

 

Pourcentage de francophones ayant déclaré fêter la Saint-Nicolas le 6 décembre, d’après les enquêtes Français de nos Régions (échelle : 0/100 %). Les symboles carrés donnent la position des centres urbains d’arrondissements en France et en Belgique, de districts en Suisse.

À la Saint-Nicolas et jusqu’à l’épiphanie, les boulangers en activité dans les régions où l’on fête Nicolas de Myre fabriquent de petites pâtisseries briochées en forme de petits bonshommes dans l’est (du Luxembourg à la Suisse romande, en passant par la Lorraine, l’Alsace et la Franche-Comté).

Dans le nord de la francophonie d’Europe, de la Wallonie au Nord–Pas-de-Calais, ces petits pains prennent la forme de petits Jésus emmaillotés.

Ces viennoiseries, vendues natures, au sucre, aux raisins secs ou aux pépites de chocolat, changent non seulement de forme, mais également de nom en fonction des régions où elles sont commercialisées.

Les dénominations de la « brioche » de Saint-Nicolas dans la francophonie d’Europe d’après les enquêtes Français de nos Régions.

Dans l’est de la France, la fracture la plus évidente sépare le Haut-Rhin (männala) de la région englobant le Bas-Rhin et la Moselle (männele) : à l’origine, c’est un même mot alsacien signifiant littéralement « petit homme » (où Männ — : « homme », — le : suffixe diminutif), dont la prononciation diffère. Toujours au rayon des emprunts aux parlers germaniques, signalons la forme grittibänz sporadiquement utilisée dans les cantons de l’arc jurassien romand (où Benz est le diminutif du prénom « Benoît », naguère synonyme en suisse-alémanique du mot « homme » ; Gritte, « fourche » et par extension « jambes écartées » dans ces mêmes dialectes) ; ainsi que boxemännchen, employé dans le Grand-Duché du Luxembourg et emprunté au parler local sans avoir été adapté (où box — = « pantalon », — männ — [= « homme » et — chen = « joli, mignon », soit « petit bonhomme en pantalon »].

Un certain nombre de variantes n’appellent pas de remarques particulières, puisque le choix du mot s’explique en raison de l’aspect de la viennoiserie.

C’est notamment le cas à Liège, comme en Suisse romande, des formes bonhomme et bonhomme de/en pâte, mais aussi de la forme jean-bonhomme [rappelons que le prénom Jean était le prénom le plus couramment donné à des hommes jusque dans les années 50] que l’on rencontre en Haute-Saône, dans le nord du Doubs et dans le Territoire-de-Belfort. Le tour Petit Saint-Nicolas en Lorraine fait référence au caractère miniature de la viennoiserie [on dit aussi parfois qu’il ferait référence aux enfants de Saint-Nicolas]. Quant au composé pain de jésus qui survit sporadiquement sur la frange occidentale de la Lorraine [départements de la Marne et de l’Aube, essentiellement], il s’explique par la ressemblance entre la viennoiserie et l’enfant vedette de la crèche.

Ailleurs, les liens entre forme de la viennoiserie et choix de dénomination sont moins transparents.

C’est notamment le cas dans les Vosges, où il faut savoir que le mot coualé, emprunté aux parlers locaux signifie « tordu ». Dans le Nord–Pas-de-Calais et le Hainaut belge, le mot coquille est employé par analogie avec l’enveloppe dans laquelle le petit Jésus est emmailloté.

La Wallonie est divisée entre les partisans du cougnou [aire dialectale wallonne, à l’est] et les partisans de la cougnole [aire dialectale picarde, à l’ouest]. Comme les variantes cugnole et quéniole, en usage de l’autre côté de la frontière [de même que la forme quénieu attestée naguère en Champagne ne semble désormais plus en usage], cougnou et cougnole continuent un type wallon/picard cougn, à rapprocher du français coin. Comme le rappelle Michel Francard dans l’une de ses chroniques, ces dénominations remontent toutes à la forme originelle de la pâtisserie. Avant d’avoir l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui [pain de forme oblongue composé de deux boules], les cougnous et autres cougnoles avaient la forme d’un losange, c’est-à-dire d’un double coin.

Source : Le français de nos régions


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