samedi 15 janvier 2022

Attaqués et harcelés des professeurs «cancelés» créent leur propre université au Texas avec le soutien d'Elon Musk

« Nous ne pouvons pas attendre des universités réputées qu’elles s’améliorent d’elles-mêmes. Alors, nous allons créer la nôtre. » C’est ainsi que Pano Kanelos, docteur en littérature et en philosophie politique et ancien président du St. John’s College d’Annapolis, a annoncé le 8 novembre dernier la création de l’université d’Austin (UATX). Qui a été pensée comme un remède aux maux contemporains de l’enseignement américain : la « cancel culture », la censure et la politisation des cours. Une plaisanterie ? L’établissement a déjà rassemblé dix millions de dollars de dotations privées, reçu plus de mille candidatures d’enseignants, et les premiers cursus commenceront cette année. Parmi les donateurs, on trouve Elon Musk.

Des études réalisées par Jordan Moss et Peter J. O’Connor ont montré que la « jeune gauche » en vogue ces dernières années — sur les réseaux sociaux sinon dans la vie politique — est antilibérale, préfère la censure à la liberté d’expression et a davantage en commun avec l’extrême droite qu’avec la gauche libérale traditionnelle. Des psychologues australiens ont étudié les traits de caractère dénommés « triade sombre » (le machiavélisme, le narcissisme et la psychopathie) chez les protagonistes des trois parties de ce conflit politique. Il en est ressorti que ces traits étaient également présents dans les deux camps extrémistes, et rares chez les libéraux classiques.

Quelles sont les conséquences pour les universités américaines ? Les étudiants exigent de plus en plus souvent que les universités créent des espaces dits « sûrs » (« safe »). Un lieu « sûr » est un endroit dans lequel il est possible d’éviter toute confrontation non désirée et d’être protégé, par exemple, des idées du camp politique adverse. C’est pourquoi les universités ne devraient pas inviter d’intervenants dont les positions sont controversées et provoquer de débats sur des thèmes pouvant offenser certaines personnes. Selon une étude sur la génération Z réalisée par des chercheurs de l’université d’État de San Diego, 86 % des étudiants estiment que cette protection fait partie des devoirs de l’université.

« Nous pensions que la censure ne pouvait qu’être le fait de régimes oppressifs dans des pays lointains. Mais il s’avère que la peur peut devenir endémique dans une société libre. Qu’elle peut devenir la règle dans le seul endroit qui ait pour mission de défendre le droit de penser l’impensable, de discuter l’inexprimable et de questionner l’incontestable », écrit Kanelos dans son texte proclamant l’ouverture de l’université.

Revenir aux sources libérales

Selon lui, l’UATX a pour objectif de revenir aux sources : l’université ne doit pas être professionnalisante ni préparer au monde du travail. Sa mission doit être la formation intellectuelle et l’épanouissement des personnes en tant qu’individus et que parties prenantes de la société. L’activité universitaire devrait donc se focaliser sur la « recherche de la vérité » — y compris en se confrontant à ce qui est différent, révoltant ou répugnant. Car si une tendance est représentée dans la société et influe sur notre réalité, nous avons le devoir de la comprendre, et pas de l’éviter.

Kanelos se réfère aux statistiques : presque un quart des enseignants des filières de sciences humaines est prêt à exposer à l’ostracisme un ou une collègue de travail en raison d’opinions « incorrectes » sur l’immigration ou le genre, et un cinquième des doctorants exprime sa volonté de discriminer les enseignants ayant des idées conservatrices. Selon une enquête réalisée sur les campus, 62 % des étudiants se plaignent du fait que l’atmosphère à l’université ne leur permet pas de dire ce qu’ils pensent. Pourtant, 70 % d’entre eux sont prêts à dénoncer les professeurs qui expriment des idées offensantes. Sur les 491 campagnes des dernières années visant à faire retirer les invitations d’intervenants extérieurs, 200 environ ont obtenu gain de cause.

Le cours de Dorian Abott, géophysicien de l’université de Chicago, sur le changement climatique au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) a été boycotté lorsqu’il a déclaré que selon lui, à l’université, l’honnêteté, l’égalité et la compétence sont plus importantes que l’inclusivité raciale ou de genre.

Greg Patton, enseignant en communication commerciale à l’University of Southern California, a été suspendu pour avoir utilisé les mots chinois « ne ga » pendant un cours, car ils ressemblent à « nigger », un terme péjoratif pour désigner des gens de couleur. (Il n’est cependant pas péjoratif quand les noirs l’utilisent entre eux.)

Dans la liste, on trouve des personnes qui parlent de « virus chinois », qui mettent en doute la thèse selon laquelle le système politique américain serait raciste ou qui critiquent le mouvement Black Lives Matter.

Lutter contre l’augmentation des prix d’une formation universitaire

Les fondateurs de l’UATX pointent également un autre problème de l’enseignement supérieur américain : son coût. Depuis des années, étudier coûte de plus en plus cher, alors que 40 % des étudiants ne vont pas au bout du cursus choisi. Kanelos estime que les budgets partent dans l’administration, le marketing et des « expériences » triviales telles que des excursions, des concerts, des rencontres avec des célébrités, censées attirer les étudiants. Les établissements d’enseignement supérieur fonctionnent comme des fournisseurs de services, qui s’efforcent d’appâter la clientèle. Et puisque l’étudiant est un client, l’université doit le satisfaire — même si ça doit passer par la censure ou l’évitement de la controverse pour son confort.

Les fondateurs de l’UATX promettent que pour lutter contre ces maux, les frais d’inscription n’excéderont pas mille dollars par an — sachant que ceux d’Harvard s’élèvent à plus de 75 000 dollars, et que même dans des facultés moyennes comme l’East Carolina University, ils peuvent s’élever à près de 40 000 dollars.

Ayaan Hirsi Ali

L’une des fondatrices de l’UATX, est Ayaan Hirsi Ali. Ayaan Hirsi Ali estime que la démocratie, la liberté et la justice ne sont pas des « valeurs occidentales », mais des valeurs universelles qui doivent être défendues Elle est originaire de Somalie et vient d’une famille musulmane. Elle y a subi l’excision et, en 1992, a fui vers les Pays-Bas pour échapper à un mariage arrangé par son père avec un homme plus âgé. En Europe, elle est devenue une pourfendeuse publique de l’islam radical, notamment des crimes d’honneur envers les femmes, des mariages d’enfants, des mariages forcés et de l’excision. En 2004, avec son ami Théo van Gogh, elle a réalisé un film qui a beaucoup fait parler de lui : Submission, qui décrit la vie d’une femme dans le monde musulman fondamentaliste. Les islamistes radicaux ont répondu en lançant une fatwa. Ali a obtenu une protection, mais van Gogh a été poignardé alors qu’il se rendait au travail à vélo. En 2017, elle a dû annuler une série de cours en Australie, car il s’est avéré que les organisateurs n’étaient pas en mesure de la protéger de manifestations hostiles. Ce qu’on lui reproche ? La Néerlandaise estime que la démocratie, la liberté et la justice ne sont pas des « valeurs occidentales », mais des valeurs universelles qui doivent être défendues, et que l’islamophobie est un mot créé de toutes pièces, car l’islam n’est pas une personne, mais une idéologie, et les sentiments d’une idéologie ne devraient pas être défendus en justice.

Peter Boghossian

Peter Boghossian, un autre fondateur de l’UATX, a claqué la porte de sa chaire professorale à la Portland State University. Boghossian est philosophe et partisan de la méthode socratique, gauchiste déclaré, athée et libéral. Dans ses cours d’esprit critique, il confrontait ses étudiants à des partisans de la Terre plate ou à des climatosceptiques, mais aussi à des représentants du mouvement Occupy Wall Street. Il estimait que sa mission était de leur faire connaître les idéologies les plus extrêmes et étrangères aux leurs.

Au cours des dernières années, il a commencé à percevoir une domination de la culture woke dans l’enseignement des sciences humaines du monde anglo-saxon. Il a alors fait une expérience avec le mathématicien et journaliste James A. Lindsay et l’enseignante en sciences de la culture Helen Pluckrose : il a écrit une vingtaine de faux articles scientifiques sous de faux noms. Entre autres, un article expliquant que le changement climatique était provoqué par le membre masculin qui, à sa manière, n’était qu’une construction sociale ; un autre prouvant que le culturisme discriminait les personnes souffrant d’obésité ; un article sur la spiritualité féministe composé de vers créés par un algorithme ; un autre encore conseillant aux hommes de lutter contre leur transphobie intériorisée et leur « homohystérie » en pratiquant du sexe anal passif avec des sextoys ; et un plagiat d’un chapitre de Mein Kampf. Et le plus populaire : un article qui se penchait sur l’augmentation de la violence canine dans les parcs en raison du fait que le sexisme des propriétaires de chiens se reportait sur les chiennes, dont la conclusion estimait que les hommes, pour se soigner et élargir leurs perspectives, devraient porter des laisses.

Sept de ces articles ont été acceptés, publiés et ont même fait l’objet de critiques positives.

Boghossian espérait provoquer un débat sur la qualité de l’enseignement. Il ne s’attendait pas à des excréments déposés devant sa salle de cours, à se faire insulter et cracher dessus, à voir une svastika dessinée sur sa porte ou à ce que ses cours soient sabotés par des personnes qui déclenchaient l’alarme incendie ou coupaient les câbles du matériel de sonorisation. Finalement, il a été dénoncé à la police au nom du fait qu’il se rendrait coupable de violence domestique envers sa femme et ses enfants. Ces accusations ont été démenties, mais elles ont déclenché une avalanche de ragots. Au bout de trois ans, Boghossian a démissionné de son poste de professeur en dénonçant l’atmosphère sur le campus : « Les facultés et leurs administrateurs ont renoncé à leurs missions de recherche de la vérité et, à la place, font preuve d’intolérance vis-à-vis des convictions et des opinions divergentes. Ce qui a entraîné une culture de l’image dans laquelle les étudiants ont peur de parler ouvertement et sincèrement. Il y a des signes d’un antilibéralisme que l’administration a complètement intégré. J’ai vu des étudiants refuser d’entrer dans un débat avec d’autres manières de penser. On reproche aux professeurs des discriminations quand ils donnent à lire aux étudiants des textes canoniques écrits par des philosophes qui se trouvent être des hommes européens ».

Boghossian va à contre-courant de la tendance selon laquelle l’université devrait se concentrer sur la « décolonisation » des programmes d’enseignement. De nombreuses universités britanniques ont commencé à analyser la manière dont la domination occidentale et le racisme ont influé sur la configuration des facultés, les études et même la définition de ce qu’est le savoir. L’argument qui justifie ces recherches : les schémas d’enseignement de la domination occidentale qui se reproduisent dans le temps ont créé une institution qui perpétue cette domination. Alors que l’université devrait être un lieu d’égalité et de liberté de pensée.

Lutter contre la « décolonisation » des programmes

À l’université de Londres, la décolonisation figure dans les programmes depuis des années. Qu’est-ce que ça signifie ? Déboulonner les Européens et leurs certitudes de leur piédestal, et mettre en avant les réalisations de représentants d’autres cultures. Remplacer l’histoire des conquêtes par la perspective des esclaves, des migrants et des peuples autochtones. Remplacer la littérature produite par des hommes blancs par celle d’hommes noirs et de femmes. L’initiative est louable : davantage de littérature non blanche, notamment africaine et noire, dans les bibliothèques, davantage d’intervenants des pays du Sud, davantage de coopération avec les communautés locales.

Mais les programmes universitaires ne sont pas extensibles. Pour y ajouter quelque chose, il faut en retirer autre chose.

Kathleen Stock

Kathleen Stock, une professeure de philosophie écossaise, fait également partie des fondateurs de l’UATX. Et est l’une des victimes les plus retentissantes de la « cancel culture ».

Jusqu’en octobre, Stock enseignait à la prestigieuse université du Sussex. Elle n’avait pas peur de la controverse. Bien qu’elle soit elle-même lesbienne, elle était en désaccord avec l’idée selon laquelle l’hétérosexualité serait une construction sans lien avec la biologie humaine. En 2020, elle s’est exprimée au Parlement britannique en défaveur d’une réforme qui permettrait de changer de genre sur la base d’une simple déclaration orale. Elle a parlé publiquement des risques qu’une telle décision entraînerait dans les domaines du sport, de l’éducation, de la violence domestique ou de la sécurité des jeunes filles.

Le clou qui a scellé son cercueil a été le livre Material Girls. Why Reality Matters for Feminism, dans lequel elle défend un féminisme classique et estime que le sexe biologique a plus d’importance pour le droit des femmes que l’identité de genre. Stock a été accusée de transphobie, et une campagne visant à lui faire perdre son emploi a été lancée dans les universités et sur les réseaux sociaux.

Ses collègues se sont joints aux étudiants en colère qui protestaient contre le fait qu’elle rende les honneurs durant la fête de fin d’année de l’université. Une lettre ouverte l’accusant d’encourager l’oppression des personnes transgenres a alors été signée par des professeurs de philosophie. Au début, l’université la défendait en disant qu’elle avait le droit d’exprimer son opinion, mais elle a fini par plier et demander sa démission.

Armée de soutiens libéraux

Stock, Ali et Boghossian seront soutenus par une armée de professeurs, de journalistes, de scientifiques, d’artistes et de philanthropes. Il y a parmi eux des hommes, des femmes, des Blancs, des Noirs, des Russes, des Grecs et, surtout, des personnes ayant des opinions politiques diverses et variées. Sur la liste, on trouve les noms imposants d’enseignants de Harvard, de Stanford ou de la Brown University.

Comme par exemple le psychologue social Jonathan Haidt, auteur du livre The Coddling of the American Mind, dans lequel il se questionne sur la manière dont l’infantilisation des étudiants et des personnes au seuil de l’âge adulte influe sur la société américaine. Haidt a identifié trois principes selon lesquels vit la jeune génération : « ce qui ne nous tue pas nous affaiblit », « fie-toi toujours à tes impressions » et « il y a les bons et les méchants ».

Haidt constate que les étudiants sont protégés des confrontations ou même du sentiment d’inconfort qu’ils pourraient ressentir s’ils étaient exposés à des points de vue qui s’opposent aux leurs. Alors que la réponse à des opinions que nous ressentons comme perturbantes ou même offensantes devrait être le débat ou l’indifférence. Il estime qu’attendre de l’université qu’elle soit un endroit où l’on peut éviter les conflits est puéril.

« Bien sûr, l’aphorisme de Nietzsche n’est pas toujours vrai si on le prend au pied de la lettre, dit-il dans son livre. Certaines choses qui ne nous tuent pas peuvent faire des dégâts. Mais enseigner aux enfants que les échecs, les insultes et les expériences douloureuses leur nuiront durablement est nocif en soi. Les gens ont besoin de défi et de stress ».

Haidt considère que la création de l’UATX est l’événement le plus porteur d’espoir qui ait eu lieu depuis des années. Il voudrait que ses propres enfants y fassent leurs études.

L’équipe pédagogique sera également renforcée par la biologiste évolutionniste Heather Heying. En 2017, elle a démissionné de l’Evergreen State College après une affaire retentissante ayant impliqué son mari, Bret Weinstein, qui y enseignait également. Celui-ci a été l’une des premières victimes de la « cancel culture » universitaire.

Il enseignait la biologie évolutionniste depuis 14 ans. Depuis la création de l’université, chaque année y était organisée une « Journée d’absence » : un jour par an, les étudiants et professeurs noirs quittaient le campus pour attirer l’attention sur l’importance du rôle qu’ils jouent au sein de l’établissement. En 2017, il a été décidé d’inverser la situation : les étudiants blancs ont été informés du fait que lors de la Journée d’absence, ils ne seraient pas autorisés à venir à l’université. L’université n’a pas expliqué sa décision, mais on peut supposer que son objectif était de leur montrer ce qu’est la discrimination dans la pratique.

Dans un courriel privé envoyé à une collègue, Weinstein a dit que participer volontairement à une manifestation non obligatoire n’était pas la même chose que la situation où un groupe ethnique était visé et interdit d’entrer à l’université. En tant que Juif, il y voyait une démonstration de force et un acte d’oppression.

En mai, une cinquantaine d’étudiants sont entrés dans sa salle en plein cours et lui ont demandé de présenter ses excuses, de reconnaître son racisme et de démissionner. Il a été insulté et agressé physiquement, enfermé dans le bâtiment, et au cours des jours qui ont suivi, des étudiants le suivaient partout, même sur la route de chez lui, allant jusqu’à entrer avec lui dans les toilettes de l’université.

Weinstein a fini par faire cours à ses étudiants dans des parcs. Chaque jour, il semait sa « garde rapprochée » en changeant de lieu de rendez-vous. Il conseillait à ses étudiants de s’y rendre un par un en s’assurant qu’ils n’étaient pas suivis.

Heying et Weinstein (qui aujourd’hui animent un podcast intitulé « Dark Horse », et dont la traduction du best-seller A Hunter-gatherer’s Guide to the 21st Century sortira bientôt en France) ont assigné l’université en justice pour « non-protection d’une activité protégée par la loi. » Le procès s’est terminé par un accord amiable.

L’attention de l’opinion publique se focalise sur des noms controversés ayant déjà été frappés d’ostracisme et souvent traînés dans la boue. Mais on trouve aussi sur la liste des enseignants de l’UATX des personnes dont la réputation n’est pas entachée, mais qui occupent un rang élevé dans le monde académique, comme le physicien et bioéthicien Leon Kass, le célèbre historien Niall Ferguson, le chercheur sur l’exclusion raciale et premier enseignant d’économie noir de Harvard Glenn Loury, l’ancien secrétaire au Trésor de Clinton et conseiller économique d’Obama Larry Summers, ou encore l’économiste progressiste renommée dans le monde anglo-saxon (et transsexuelle) Deirdre McCloskey.

Ce qui convient à Elon Musk peut convenir à l’UATX

Les fondateurs soulignent vouloir créer une université dans le style antique — avec une vraie cafétéria, des tableaux et le moins d’écrans possible. Mais pourquoi au Texas, l’État des « gens libres », des porteurs d’armes, des fans du Ku Klux Klan et des électeurs de Trump ? « Si le Texas est assez bien pour Elon Musk et Joe Rogan, alors il est assez bien pour l’UATX », explique Kanelos.

On ne présente plus Elon Musk, le propriétaire des Tesla, promoteur de la conquête spatiale et homme le plus riche du monde. Le déménagement de son entreprise avait avant tout pour motivation la mansuétude du droit fiscal texan. Mais pourquoi des artistes, des journalistes et des scientifiques, y compris libéraux ou sensibles aux questions sociales, pas forcément très en phase avec le libertarianisme et le darwinisme de Musk, pas plus qu’avec le pays des chapeaux de cow-boys et les camionettes polluantes, le suivent-ils ?

Joe Rogan, auteur du podcast le plus célèbre du monde, dit avoir quitté la Californie en raison de la crise du logement et des restrictions dues à la pandémie. En raison de ces dernières, au moins un tiers des entreprises de l’« État doré » ont mis la clé sous la porte, et rien qu’à Los Angeles, on compte près de 100 000 sans-abris. Venice Beach est le symbole de cette chute. Autrefois, il s’agissait de l’une des plages les plus célèbres. Aujourd’hui, elle n’est plus qu’un campement qui s’étend à perte de vue. Qui plus est, la diminution des financements de la police a entraîné une montée en flèche de la délinquance.

C’est pourquoi la Californie, qui jusqu’à présent était un symbole de développement et de tolérance, le fief, sur l’air du « vivre et laisser vivre », des innovateurs, des pionniers, des freaks et des non-conformistes, cède sa place au Texas. Grâce au divorce entre la nouvelle gauche et les valeurs libérales, l’État conservateur-libertarien sert donc de refuge aux partisans de la liberté de pensée sans domicile politique, qui cherchent la protection de la droite. À tort ou à raison (les orphelins de la gauche académique classique sont tout de même contraints de fermer les yeux sur l’adoption l’année passée de l’interdiction totale d’avorter), le Texas, résistant à la « maladie woke », se pose en bastion de la liberté.

Premiers cours à l’été prochain

L’UATX n’a pas encore obtenu son accréditation. Les premiers cours débuteront l’été prochain sous l’audacieux nom de « cours interdits ». Les fondateurs promettent « une vive discussion sur les thèmes les plus provocants, du type de ceux qui se terminent par la censure dans d’autres universités ». Des masters en entrepreneuriat, en histoire et en sciences politiques commenceront ensuite puis, l’année suivante, en ingénierie et en mathématiques.

À partir de 2024, des cursus de licence divisés en deux blocs sont prévus. Le premier propose une formation, c’est-à-dire des études approfondies et rigoureuses en sciences humaines et sociales, et dans le second, les étudiants devront choisir entre quatre spécialisations. Un laboratoire de réflexion sera également créé à l’université.

Média de gauche sceptique

Le Guardian qui, malgré son statut et son gauchisme, a également eu affaire aux jeunes radicaux au cours des dernières années, appelle l’UATX une start-up, suggérant que les enseignants et les fondateurs ne s’intéressent qu’à l’argent, et que s’ils voulaient vraiment améliorer le système éducatif, ils feraient mieux d’aller travailler dans les lycées. L’UATX est aussi dénommée « l’école des parias » et comparée à la « Trump University » : une université dans laquelle il est possible d’acheter un diplôme scientifique. Ses défenseurs font remarquer que beaucoup d’institutions américaines respectées ont une histoire plus courte que ce qu’on pourrait croire. À côté d’Harvard et de Yale, ouvertes au XVIIe siècle, on trouve l’université de Chicago, qui date de 1890, et Stanford, créée en 1891.

« L’amour l’emportera »

Le projet a rencontré des obstacles dès ses débuts. Robert Jeffrey Zimmer, le chancelier de l’université de Chicago, a renoncé publiquement à y occuper une chaire. Il s’est irrité du ton populiste (ou publicitaire, comme il préfère l’appeler) des fondateurs : « Je ne suis pas d’accord pour dire que les autres universités ne recherchent plus la vérité, et je n’ai pas l’impression que l’enseignement supérieur soit irréversiblement perverti. » Gordon Gee, le président de la West Virginia University, s’est désolidarisé de l’UATX pour des raisons similaires.

Quant au célèbre psychologue et linguiste Steven Pinker, il a jeté l’éponge sans indiquer de raison. Les mauvais esprits disent qu’il préfère la sécurité de son emploi à Harvard à la liberté de pensée, surtout dans le contexte de controverse lié à ses rapports avec Jeffrey Epstein, Pinker ayant voyagé à plusieurs reprises en compagnie du condamné pour pédophilie et ayant pris part à sa défense devant les tribunaux.

Il se pourrait que, profitant de son caractère libéral, de sa localisation et de l’esprit du temps, des conservateurs et des membres de l’alt-right ne fassent main basse sur l’UATX. Mais l’idée en soi semble intéressante à l’heure où la liberté de pensée est prise pour étendard par la droite radicale et les complotistes de tout poil, tandis que la jeune gauche, comme le faisaient autrefois les fondamentalistes religieux ou les ultramontanistes, appelle au boycottage de livres politiquement incorrects et exige des médias qu’ils ne publient pas de contenus « nocifs ».

Hannah Arendt avait déjà remarqué chez ses étudiants une tendance à bouder la théorie et le débat scientifique au profit d’opinions et d’idéologies. Beaucoup d’entre eux rejetaient les vieilles idées non pas parce qu’ils voulaient les remplacer par la liberté d’opinion. À la place, ils voulaient plutôt imposer leurs propres vérités. Dans Les Origines du totalitarisme, Arendt estimait que la solitude qui, dans le monde moderne, est devenue une expérience universelle, rendait l’esprit vulnérable aux idéologies totalitaires des deux camps.

Lex Friedman, jeune ingénieur en intelligence artificielle lié au MIT et blogueur, a rejoint l’UATX, car contrairement à Arendt, il est plein d’espoir : « La “cancel culture” et les gens woke peuvent devenir une force de haine et d’intolérance similaire à celles qu’ils veulent combattre. À court terme, la haine et la moquerie leur permettront d’obtenir quelques clics, mais à mon humble avis, au bout du compte, l’amour l’emportera ».

Voir aussi

États-Unis — Des profs lancent une université afin de lutter contre l’idéologie woke dans l’enseignement supérieur

Notons qu’il existe déjà d’autres universités « antiwoke » aux États-Unis, telles que Hillsdale (1400 étudiants), l’Université Brigham Young ou celle de Cedarville. Il existe même un palmarès des universités les plus conservatrices aux États-Unis. Cette nouvelle université semble plutôt se positionner au centre, sera libérale, voire progressiste à l’ancienne, mais résolument anti-woke.  

Le triomphe des impostures intellectuelles (livre)

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