samedi 29 mai 2021

Un pays à très faible fécondité peut-il jamais renouer avec le taux de renouvellement des générations ?

Dans un article récent consacré à l’hiver démographique, le New York Times écrivait que « aucun pays avec un ralentissement sérieux de la croissance démographique n’a réussi à augmenter son taux de fécondité bien au-delà de la légère hausse que l’Allemagne connaît actuellement ».

La fécondité allemande est passée de 1,25 en 1995 à 1,54 en 2019 après avoir élargi l’accès à des services de garde d’enfants abordables et à un congé parental payé. En 2019, 75,6 % des enfants sont nés de mères de nationalité allemande, tandis que 24,4 % des enfants sont nés de mères de nationalité étrangère. La population allemande d’origine immigrée s’élève à 21 millions, soit environ 26 % de la population allemande. Quelque 65 % de toutes les personnes issues de l’immigration venaient d’un autre pays européen. En 2019, le taux de natalité des immigrés était bien supérieur à la moyenne et dépassait 2 enfants par femme.

Au moins un pays a réussi à remonter la pente démographique, la Géorgie dans le Caucase. Cet ancien pays de l’URSS, a augmenté son indice de fécondité de 1,53 enfant/femme en 1994 à 2,31 enfants/femme en 2015. Ensuite, bien qu’en diminution, l’indice de fécondité est resté proche du taux de renouvellement des générations.

Ce pays subit depuis la fin de l’Union soviétique une très forte émigration. Selon le recensement de 2014, la population de la Géorgie atteignait 3 729 635 habitants. Il s’agissait d’une diminution de 14,7 % depuis 2002, alors que la population était de 4 371 535 habitants.

Cette émigration est causée par les conflits, le départ des Russes de la Géorgie, un haut niveau de chômage depuis deux décennies et un pouvoir d’achat en baisse. Un facteur additionnel accentue cette tendance : la généralisation — initiative soutenue par les États-Unis — de la langue anglaise comme première langue étrangère, plutôt que le russe, et l’appétence des jeunes générations diplômées à une formation universitaire à l’étranger et leurs souhaits d’expatriation définitive. 

Malgré ces obstacles, la Géorgie est parvenue à redresser sa fécondité.

En 2013, la Géorgie a considérablement augmenté les aides financières à la maternité. Le congé parental payé a été prolongé de 126 à 183 jours et le congé sans solde de 477 à 730 jours. De même, le gouvernement a augmenté la « prime pour bébé », une somme unique payée à la naissance d’un enfant, d’environ 250 $ à environ 400 $ américains (le PIB par habitant de la Géorgie n’était que d’environ 9 000 $ à l’époque), et il a augmenté la prime pour un quatrième enfant à près de 800 $. Puis, en 2014, les autorités augmentèrent à nouveau cette somme pour offrir aux parents de trois enfants ou plus dans les régions faiblement peuplées un paiement annuel de 850 $.

L’Église orthodoxe géorgienne a également entrepris une campagne afin de relancer la natalité et le Gouvernement a créé un Secrétariat d’État à la diaspora afin de garder le contact avec les émigrés et en particulier encourager les retours.

Pour Lyman Stone de l’Institute for Family studies, le rôle de l’Église orthodoxe est primordial.

En 2007, le patriarche Élie II de l’Église orthodoxe géorgienne a pris une décision : face à un pays avec une population en déclin, de faibles taux de natalité et des taux d’avortement élevés, le chef de l’église a annoncé qu’il baptiserait personnellement et deviendrait le parrain de tout troisième ou ultérieur enfant orthodoxe né d’un couple marié en Géorgie et officiellement enregistré auprès du gouvernement. La Géorgie est orthodoxe à près de 90 %. Le patriarche Élie II jouit d’une grande confiance et est respecté. Enfin les Géorgiens sont les plus susceptibles de tous les pays à majorité orthodoxe de dire que leur religion est une question de foi personnelle. En d’autres termes, la Géorgie est un cas type idéal pour voir si les dirigeants nationaux peuvent utiliser le capital social ou culturel pour effectuer des changements sociaux ciblés. Depuis les premiers baptêmes de masse fin 2007, Élie a baptisé plus de 36 000 bébés (jusqu’en 2018), soit environ 5,8 % du total des naissances en Géorgie au cours de cette période, ou environ 34,5 % des troisièmes et ultérieures naissances, de sorte que le nombre de ces baptêmes est significatif sur le plan démographique. 

Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, la Géorgie connut une forte augmentation des naissances en 2008. Les reportages et les politiciens de l’époque attribuaient cette hausse à la campagne nataliste et antiavortement du patriarche.

Mais la campagne du patriarche Élie était-elle vraiment la cause de cette montée en puissance ? Le moyen le plus simple de vérifier cette hypothèse est de voir si cette augmentation concernait principalement les troisièmes naissances et au-delà, c’est-à-dire les bébés susceptibles d’être baptisés par le patriarche.

La figure ci-dessus montre que de 2007 à 2008, les naissances ont augmenté pour chaque rang de naissance. De 2008 à 2009, elles ont de nouveau augmenté pour chaque rang de naissance. Mais à partir de là, les premières naissances ont diminué, les deuxièmes naissances sont restées stables, tandis que les troisièmes naissances ont continué d’augmenter. Il s’agit pour Lyman Stone d’un élément qui suggère que la campagne du patriarche Élie aurait fonctionné : les naissances de troisième rang ont presque doublé entre 2007 et 2010, puis ont continué à augmenter avec le temps. Surtout, il est possible que sa campagne puisse stimuler même la première ou la deuxième naissance si les parents espèrent avoir plus de bébés plus tard pour profiter de l’offre de baptême spécial pour les futurs enfants. Ils peuvent devancer les naissances planifiées, car le patriarche Élie n’est pas un jeune homme (il a 88 ans) et son successeur pourrait ne pas s’engager à suivre le même programme de baptêmes de masse.

Mais le pic des première et deuxième naissances est-il vraiment lié à l’accélération de la fertilité des couples pour obtenir le baptême patriarcal ? Eh bien, c’est difficile à dire avec certitude, mais on peut répartir la fécondité en fonction de l’état matrimonial. L’offre de baptême n’a été officiellement proposée qu’aux couples mariés, on peut donc s’attendre à ce que la fertilité des mariés augmente, tandis que la fertilité des mères célibataires ne devrait pas être affectée. 


Comme l’indique la figure ci-dessus, la totalité de l’augmentation observée de la fécondité s’est produite dans la fécondité des femmes mariées, tandis que le nombre de naissances pour les femmes non mariées a en fait diminué. Il est vrai que les naissances des femmes mariées avaient commencé à augmenter avant même 2008, la première année où la politique d’Élie devrait vraiment avoir eu un effet significatif, ce qui suggère qu’il y a peut-être eu une tendance sous-jacente à la hausse. Mais la divergence est si grande et persistante que, combinée aux données sur le rang de naissance présentées ci-dessus, il semble extrêmement probable aux yeux de Lyman Stone qu’une grande partie de ce sursaut soit due à l’offre de baptême du patriarche Élie.

Il est souvent difficile en démographie d’établir l’impact des facteurs culturels ou sociaux sur la démographie. Mais le cas de la Géorgie serait assez clair pour Lyman Stone et montrerait que la présence de capital social — c’est-à-dire un acteur non étatique qui peut influencer le comportement d’autrui sans coercition — peut être un atout énorme pour une société, lui permettant de faire des changements démographiquement significatifs avec un prix relativement bas, car les politiques natalistes relativement efficaces sont coûteuses. C’est ainsi qu’en Hongrie les sommes allouées à la politique familiale représentaient près de 4 % du PIB.

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