mercredi 19 mai 2021

France — Histoire du baccalauréat

Une histoire du baccalauréat qui est aussi une sorte d’histoire de France depuis Napoléon. Un voyage dans les évolutions du système éducatif français et de ses impasses actuelles. L’auteur, Robert Colonna d’Istria, est historien et écrivain, auteur de nombreux ouvrages dont Une famille corse (Plon, 2018), finaliste du prix Renaudot. Une recension d’Éric Zemmour.

Les images reviennent chaque année en juin. Des images de jeunes gens joyeux, complaisamment filmés par les caméras de télévision — surtout les jeunes filles et les représentants de la « diversité » — qui exultent dans la rue pour célébrer leur baccalauréat. Des images qui font plaisir aux intéressés et sourire de tendresse leurs parents, mais qui apparaissent au mieux ridicules, au pire indécentes à tous les autres.

Le bac a plus de deux siècles. Comme la plupart de ces « masses de granit » qui ont fait la France moderne, c’est une création de Napoléon. En 1808, pour la première année, il y a 32 lauréats. Faire l’histoire du bac, c’est faire une histoire de France. C’est ce qu’a compris et voulu Robert Colonna d’Istria. Notre historien se fait aussi conteur lorsqu’il nous décrit les affres de la première femme reçue, les fraudes et les triches, les résultats du jeune Flaubert ou encore l’échec de Zola.

Mais derrière l’anecdote, il y a la politique. Le bac est une grande question politique. Depuis l’origine. Lorsque Napoléon choisit Fontanes contre Fourcroy pour être le premier « patron » de son institution naissante, il engage l’école française pour un siècle. Fontanes est un catholique, monarchiste, favorable aux humanités. Fourcroy est un révolutionnaire, favorable aux sciences. À Sainte-Hélène, Napoléon regrettera son choix et pas seulement parce que Fontanes l’aura trahi en 1814. Lui qui était à la fois un grand lecteur et un féru de mathématiques aurait voulu une synthèse harmonieuse entre les deux. En 1870, Bismarck vainqueur de l’armée française, se moquera de ces élites françaises qui ne se sont pas intéressées à la science à l’époque de la révolution industrielle.

Entre-temps, le bac aura pris ses quartiers de bourgeoisie, cette classe désormais dominante s’en servant à la fois comme d’une barrière pour se protéger de l’invasion des « barbares » populaires mais aussi comme moyen de sélection des meilleurs, afin de ne pas renouveler l’erreur de l’aristocratie au XVIIIe siècle qui s’était enfermée jusqu’à l’explosion révolutionnaire : c’est le principe de la « méritocratie » qui irrigue tout ce siècle, quel que soit le régime, monarchiste, impérial ou républicain.

C’est Victor Duruy, ministre de Napoléon III, qui instaure l’épreuve de philosophie ; c’est Jules Ferry, ministre républicain, qui impose la composition de français. Tous ont le même objectif : rendre le bac de plus en plus difficile. Et tous utilisent la même arme : substituer aux oraux des origines des épreuves écrites.

Cette politique « méritocratique » sera maintenue jusqu’à la moitié du XXe siècle : en 1945, il y a 28 000 bacheliers. On est passé de 2 à 3 % d’une classe d’âge.

Après commence la grande Révolution qui va abattre « l’élitisme républicain » au nom de « la démocratisation ». Une révolution qui se fera en trois temps. Il revenait à deux communistes de donner le premier coup de pioche avec le fameux rapport Langevin-Wallon de 1945 : la « démocratisation » concurrence désormais la transmission des savoirs. Un ministre giscardien, pétri d’angéliques intentions, René Haby, leur donne la main trente ans plus tard : c’est la fameuse loi Haby, qui instaure le « collège unique ». Enfin, c’est paradoxalement le chantre de « l’élitisme républicain », Jean-Pierre Chevènement, qui lui donne le coup de grâce, avec son objectif de « 80 % d’une génération au niveau bac ».

Dans les années 1960-1970, le dynamisme de l’économie, le développement des nouveaux métiers de « cadres », le niveau exceptionnel de l’école primaire et secondaire héritée de la IIIe République, tout permet de marier vaille que vaille démocratisation et élitisme.

À partir des années 1980, la démocratisation devient massification. C’est le temps du « bac pour tous » et du droit au bac : « On remonte les notes sur injonction du rectorat, on invite à la bienveillance ; on multiplie les options pour gagner des points ; on insiste sur les “compétences”. »

Tous les observateurs lucides s’accordent sur la décadence du parchemin : « Le bac joue le rôle social que tenait le certificat d’études primaires jusque dans les années 1960 et la licence celui qu’il tenait il y a près d’un demi-siècle. »

Mais la valeur juridique du bac n’a pas changé — le droit d’entrer à l’université — et sa valeur sentimentale auprès des Français reste élevée : d’où la désillusion, en particulier des classes populaires, quand elles constatent que leurs enfants bacheliers ont souvent des situations sociales inférieures aux leurs.

Alors que faire ? Achever le bac, que des générations de ministres depuis quarante ans ont consciencieusement étranglé ? Le dernier en date est Jean-Michel Blanquer qui, avec un discours sur l’élitisme républicain, est revenu aux épreuves orales d’origine, pour mieux cacher les béances dans l’expression écrite et le raisonnement de la plupart des élèves. Comme s’il signait discrètement son forfait.

L’alternative est donc simple, en tout cas en théorie : soit prendre acte que le bac est mort et le supprimer. Soit prendre acte que les Français y restent attachés, et reprendre la politique suivie au XIXe siècle, c’est-à-dire le rendre de plus en plus difficile et réduire sévèrement le nombre de bacheliers. En Allemagne, le nombre d’Abitur est de 33 % d’une classe d’âge, et en Suisse, les « matu » ne sont que 20 %. En France, le bac coûte cher (200 à 300 millions d’euros) et le niveau est d’une médiocrité affligeante. Mais, comme le remarque Robert Colonna d’Istria avec finesse : « Si on observait le niveau des 2 % à 3 % des meilleurs candidats au baccalauréat, on constaterait probablement qu’il est strictement identique à celui de leurs camarades bacheliers diplômés cent ans plus tôt, à l’époque où dans une tranche d’âge il n’y avait que 2 ou 3 % de diplômés. Comprenne qui pourra. »

On pourrait transposer la célèbre apostrophe révolutionnaire de Sieyès sur le Tiers-État au baccalauréat : « Qu’est-ce que le bac aujourd’hui ? Rien. Qu’a-t-il été : Tout. Que veut-il ? Redevenir quelque chose. » Mais qui osera faire la Révolution ?

 


La grande histoire du baccalauréat, 
par Robert Colonna d’Istria,
paru le 6 mai 2021,
chez Plon, 
à Paris,
352 pp.
ISBN-10 : 2 259 304 990 
ISBN-13 : 978-2259304993


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